13/10/23

7 nouvelles éruptions volcaniques observées sur Io


Une étude publiée dans The Planetary Science Journal détaille 170 nuits d'observation du satellite jovien Io avec le télescope infrarouge IRTF de la NASA. Au cours de cette période, les astronomes ont pu observer 7 nouvelles éruptions volcaniques sur le petit satellite, augmentant le nombre total d'éruptions observées de 18 à 25. 

Io attire beaucoup l’attention des planétologues qui utilisent des observatoires terrestres et spatiaux, ainsi que des sondes. Ce n’est pas seulement parce que Io est le corps volcanique le plus actif du système solaire, mais c'est aussi parce que certaines des formes de volcanisme les plus extrêmes apparaissent régulièrement à sa surface. Les éruptions volcaniques sont les événements les plus brillants sur Io, avec une puissance supérieure d'un ordre de grandeur à celle des points chauds volcaniques typiques d'Io. Malgré leur très grande luminosité maximale, ces éruptions sont de courte durée et leur contribution moyenne dans le temps au rayonnement total d'Io n'est que de 1 à 2 % (Veeder et al. 2012). Jusqu'à aujourd'hui, 18 événements d'éruptions volcaniques ont été enregistrés sur Io (Veeder et al. 2012 ; Cantrall et al. 2018). En 1996, Spencer & Schneider avaient estimé qu'elles devaient avoir une fréquence  d'environ une par mois. Ils avaient calculé cette fréquence à partir du taux de détection combiné de plusieurs campagnes de 1978 à 1995. Au cours de ces observations, il y avait environ 1,8 % de chance d'observer une éruption sur n'importe quelle zone de Io. Ces premières estimations ont étonnamment bien résisté au cours des décennies suivantes.

Une fois qu'une éruption est observée, elle disparaît généralement dans l'émission de fond d'Io en quelques jours. Bien qu'elles ne contribuent pas de manière significative à l'émission totale moyenne dans le temps d'Io, les éruptions représentent les événements les plus énergétiques observés sur Io et dominent son spectre dans la bande infrarouge de 2 à 5 µm . Ils atteignent des températures effectives estimées entre 1 000 et 2 000 K, les températures les plus élevées (> 1500 K) nécessitant des compositions de lave ultramafique (des roches magmatiques pauvres en silice). Bien que la majeure partie de la perte de chaleur d'Io se fasse à travers les points chauds volcaniques beaucoup plus nombreux mais individuellement moins énergétiques, la compréhension des mécanismes responsables de la génération d'éruptions de forte puissance et de haute température est essentielle à une compréhension du système volcanique d'Io.

Christian Tate (Cornell University) et ses collaborateurs ont élaboré une campagne d'observation de Io au sol entre juin 2016 et janvier 2022, conçue pour surveiller Io pendant la mission de la sonde Juno de la NASA autour de Jupiter, avec des survols de Io. Ces observations font partie d'une campagne de surveillance à long terme de l'Io menée à l'aide du télescope infrarouge IRTF de la NASA sur le sommet de Maunakea à Hawaï. Les astrophysiciens ont effectué des mesures de photométrie de 2 à 5 µm, à la fois en cas d'éclipse (Io passant juste devant Jupiter), d'occultation (Io passant juste derrière Jupiter) et d'éclairage solaire normal. Ces données inédites accumulées sur une période de 6 ans fournissent un aperçu de la distribution temporelle et spatiale des éruptions sur Io. Un point notable est que les 7  éruptions qui ont été détectées ont toutes été observées dans l’hémisphère arrière d’Io et notamment dans la région de Pillan Patera. Parmi ces 7 éruptions, trois ont été observées lors d'éclipses de Io et quatre en éclairage solaire : 2 en 2018, 2 en 2019, 1 en 2020 et 2 en 2021. Elles ont été nommées 
201801A, UP-254W, 201905A, 201906A, 202010A, 202108A et 202108D.

Tate et son équipe ont également observé une zone d'éruptions répétées qui se nomme Acala Fluctus. Avant elle, la seule région d'éruptions répétées sur Io était la zone appelée Tvashtar. Ces deux éruptions successives au même endroit sont 201905A et 201906A, respectivement le 14 mai 2019 et le 25 juin 2019. La première s'étendait sur une superficie de 52 km² avec une température mesurée de 1160 K, tandis que la seconde était deux fois moins lumineuse, semblant s'étendre sur 37 km² et montrant une température quasi identique à la première de 1214 K.
Grâce au limbe de Io visible sur les images éclairées par le soleil, les chercheurs ont pu contraindre la localisation de l'éruption à 8° ± 9°N et 332° ± 11°W.
De plus, un faible point chaud avait persisté dans toutes les observations entre mai et juin 2021 à des phases d'occultation compatibles avec l'emplacement de 201905A et 201906A. Cela renforce l'idée que les deux éruptions ont eu lieu à partir de la même région source et que le point chaud en éruption était volcaniquement actif pendant environ 7 mois entre mars et octobre 2019. Ces deux points chauds ne sont associés à aucune éruption ou mini éruption observées précédemment.
Acala Fluctus (11°N, 337°W) est la région chaude la plus cohérente pour ces deux éruptions successives, pour Tate et son équipe, mais la sonde Galileo avait découvert plusieurs points chauds à proximité, comme Tol-Ava Patera (2°N, 322°W), et Fuchi Patera (28°N, 328°W). Tol-Ava Patera et Fuchi Patera étaient des zones actives à la fois pendant la mission Galileo et 1999 et 18 ans plus tard en 2017, lorsqu'elles ont été observés par des télescopes terrestres à optique adaptative. Acala Fluctus est quant à elle une région sombre qui est remarquable par ses coulées de lave et un panache à faible teneur en poussières détecté uniquement par les émissions aurorales pendant les éclipses

Les chercheurs en également noté qu'en août 2021, Io a présenté une forte activité volcanique lorsque deux puissantes éruptions sont rapidement apparues, les 13 et 27 août 2021 (202108A et 202108D). Contrairement aux observations précédentes, Tate et ses collaborateurs ont pu capturer à la fois l'intensité de la bande M et l'habituelle bande Lp avec le télescope IRTF, ce qui leur a permis d'obtenir non seulement des estimations de la température, mais aussi, et surtout la localisation des points chauds sur Io. Les images en bande M améliorent la localisation des points chauds en offrant un rapport plus favorable entre la lumière réfléchie et la lumière émise.
L'IRTF a ainsi capturé des images d'Io en lumière solaire réfléchie sept fois entre le 13 août et le 2 septembre, englobant toute la région équatoriale. Sur ces sept nuits d'observation, quatre d'entre elles - les 14, 19 et 21 août et le 2 septembre - n'ont pas présenté d'activité thermique inhabituellement élevée. Mais les trois autres nuits d'observation (13, 26 et 27 août) ont permis de détecter des points chauds exclusivement dans l'hémisphère arrière, entre 20°N et 30°S.
Le 13 août 2021, deux points chauds distincts, 202108A et 202108B, ont été observés. Le premier point chaud, le plus brillant, s'est révélé être une grosse éruption située près de Pillan Patera (9°S, 242°W), et le second, juste un point chaud, plus sombre, qui était selon les chercheurs probablement situé sur Loki Patera, dont on sait que la zone était active plusieurs semaines auparavant. 

Puis le 27 août 2021, Io a présenté l'éruption la plus importante de la campagne d'observations de Tate et son équipe. Elle a été nommée 202108D, avec une intensité de 402 GW sr-1 μm-1 dans la bande Lp, située près de 10°S et 183°W.  Les points chauds les plus proches de 202108D identifiés par Galileo à l'époque sont Aidne Patera (2°S, 178°W) et Haokah (19°S, 185°W). Mais aucun de ces points chauds ne semble être un candidat probable pour une éruption, et selon Tate et al., il est plausible que l'éruption 202108D provienne d'un nouveau point chaud ou d'un point chaud dormant. Lorsqu'ils ont à nouveau observé cet endroit les 22 et 24 septembre 2021, Io avait retrouvé ses valeurs nominales de luminosité infrarouge sans point chaud apparent.
Dans les images du 27 août, les chercheurs ont en revanche aperçu un point chaud secondaire qui a été dénommé 202108E, près de 10°S, 240°W, et ils estiment qu'il pourrait être la rémanence de l'éruption 202108A de Pillan Patera du 13 août, 2 semaines plus tôt. 

En conclusion, les auteurs rappellent qu'il existe désormais trois régions qui ont connu des éruptions récurrentes sur Io : la région d'Acala Fluctus et celle de Pillan Patera rejoignent la région Tvashtar. Dans l'ensemble, cette campagne démontre que les télescopes de classe moyenne comme l'IRTF peuvent contribuer de manière significative à l'étude du volcanisme de Io. Compte tenu de l'importance d'une surveillance régulière de l'activité changeante de Io, il est crucial que les campagnes d'observation au sol observent Io de façon continue, année après année, pour qu'elles nous permettent d'analyser le comportement complexe de Io. Cette étude en est un superbe exemple.


Source

Discovery of Seven Volcanic Outbursts on Io from an Infrared Telescope Facility Observation Campaign, 2016–2022
Christian D. Tate et al.
The Planetary Science Journal, 4:189 (October 2023)


Illustrations

1. Les 7 éruptions (plus 1 point chaud) observés sur Io par les auteurs (Tate et al.)
2. Les points chauds de Io imagés en infra rouge par la sonde Juno en 2022 (NASA)
3. Christian Tate

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