Avec une résolution et une sensibilité sans précédent, le télescope spatial James Webb produit des images infrarouges de la naissance d’étoiles comme on n'en a jamais vues auparavant. En plus d'être de jolies images, ces images peuvent révéler des informations sur la matière expulsée d'une protoétoile dans des détails inédits. Une équipe d’astrophysiciens a pointé le télescope Webb vers une de ces régions emblématiques : un puissant jet interstellaire nommé Herbig-Haro 211, qui est éjecté à grande vitesse d'une protoétoile dans le complexe nébuleux de Persée. Ils publient leur étude (et leurs images) dans Nature.
Le nuage moléculaire de Persée est formé de gaz moléculaire et de poussière, il est situé à 321 parsecs de la Terre. Au cœur des jets Herbig-Haro 211 se trouve une protoétoile de classe 0 : HH 211 mm, dont la masse n'est actuellement que de 0,08 M⊙ mais qui est en train de s'accréter à partir d'un tore de gaz et de poussière de 0,2 M⊙ qui l'entoure. En étudiant des jets tels que Herbig-Haro 211, les astronomes veulent comprendre comment les gaz et poussières froids et diffus se transforment en nouvelles étoiles.
On sait depuis longtemps que la formation des étoiles et des planètes s'accompagne non seulement de l'accumulation de matière, c’est-à-dire une accrétion, mais aussi de son expulsion sous forme de jets hautement supersoniques pouvant s'étendre sur plusieurs parsecs. Comme l’accrétion et l’activité des jets sont corrélées et que les jeunes étoiles acquièrent rapidement l’essentiel de leur masse, les jets les plus puissants sont associés aux protoétoiles les plus jeunes. Cette période coïncide aussi avec le moment où la protoétoile et ses environs sont cachés derrière des quantités de poussière qui produisent une forte extinction visuelle. Les interféromètres millimétriques peuvent sonder ces objets mais uniquement pour les composantes les plus froides. Aucune information n’est fournie sur les constituants les plus chauds (supérieurs à 1 000 K) du jet, c’est-à-dire les gaz moléculaires, atomiques, ionisés et à haute température qui constitueraient l’épine dorsale du jet. La détection d’une telle colonne vertébrale repose sur l’observation dans l’infrarouge qui peut pénétrer à travers le voile de poussière. Le télescope spatial qui était utilisé dans ce but était Spitzer, en activité entre 2003 et 2020 et aujourd’hui, Webb a pris la relève.
Une approche pour étudier ces jets consiste à examiner la façon dont ils modifient leur environnement. Les données que Tom Ray (Dublin Institute for Advanced Studies, Dublin) et de ses collaborateurs ont acquises avec le télescope Webb suggèrent que le jet Herbig-Haro 211 a déjà parcouru une distance considérable à travers le nuage de Persée, au moins des centaines de fois plus grande que la largeur de notre système planétaire. Cela signifie que le jet s’est déjà écrasé sur de nombreux matériaux en cours de route, laissant dans son sillage des chocs interstellaires. Mais les gaz que les auteurs ont observés dans le jet indiquent qu’il se déplace à une vitesse relativement lente de quelques dizaines de kilomètres par seconde, de sorte que les chocs ne détruisent pas réellement le matériau environnant à l’échelle moléculaire. Au lieu de cela, ces chocs façonnent le nuage moléculaire et le milieu de formation des étoiles. Ray et al. ont utilisé l'un des instruments infrarouges du télescope Webb pour étudier les gaz entourant le jet. Différentes longueurs d'onde révèlent des informations sur des types spécifiques de molécules et de particules de poussière, ce qui a permis aux auteurs de déterminer les régions de Herbig-Haro 211 d'où émanent par exemple le monoxyde de carbone et l'hydrogène moléculaire. Ces informations, à leur tour, révèlent les détails des chocs générés par le jet lorsqu'il s'écrase sur la matière interstellaire, améliorant ainsi notre compréhension de la formation des étoiles.
Ray et ses collaborateurs ont utilisé deux canaux avec des bandes passantes étroites et moyennes qui se chevauchent partiellement et ont tenté d'isoler la source de lumière que le télescope infrarouge Spitzer avait précédemment observée à 4,5 µm sur cet objet. Sur la base de leur fréquence, il avait été supposé que les signaux étaient étroitement liés aux flux sortants de jeunes étoiles, qui devaient contenir soit de l'hydrogène moléculaire (H2), soit du monoxyde de carbone (CO), soit les deux gaz.
Ray et coll. ont effectivement trouvé une émission associée à la fois au monoxyde de carbone et à l'hydrogène moléculaire dans la plage de longueurs d'onde de 4,5 à 5 µm , une correspondance étroite avec les flous verts capturés par Spitzer. Les chercheurs ont ensuite comparé la distribution spatiale des données de Webb calibrées avec celle des données Spitzer et ont trouvé une similitude frappante entre les deux.
Mais ensuite, Ray et coll. ont « soustrait » l’hydrogène moléculaire de leurs données sur le CO et ont obtenu une image particulièrement intéressante, car elle offre un aperçu des différences qui existent entre les modes de production du CO et du H2. La séparation des deux constitue un diagnostic crucial dans la modélisation des chocs interstellaires. L'image de Ray et ses collègues suggère que le CO émane principalement des régions internes de Herbig-Haro 211 et des bords des fronts de choc, tandis que le H2 provient de la colonne centrale et de toute la largeur de l’épine dorsale de l’écoulement. Il est donc clair pour les chercheurs que l’hydrogène moléculaire peut survivre à certains chocs qui détruisent les molécules de CO. Mais le fait que du CO soit encore visible sur les bords des chocs implique que les deux gaz contribuent aux flous verts, remettant en question l’hypothèse selon laquelle les signaux de Spitzer sont dominés par l’émission de H2. Alternativement, il pourrait s'avérer qu'il y ait quelque chose de spécial dans la région particulière autour de Herbig-Haro 211. En effet, des chocs capables de détruire des molécules ont déjà été observés dans d’autres systèmes d’écoulement protostellaires.
Ray et son équipe estiment que les caractéristiques d’émission qu’ils observent dans les jets sont dues à des chocs au cours desquels le matériau du jet à plus grande vitesse s’écrase sur un matériau plus lent devant lui. Pour eux, c’est donc la différence de vitesse entre ces composantes, peut-être aussi petite que quelques dizaines de km s−1, qui détermine la vitesse de choc plutôt qu’une vitesse absolue. Il s’ensuit que les vitesses tangentielles des jets observées d’environ 100 km s−1 peuvent ne pas être les vitesses réelles de choc. De plus, de tels chocs à grande vitesse dissocieraient rapidement les molécules observées et produiraient une abondance d’espèces ionisées et atomiques qui ne sont pas observées. C’est pour cela que les chercheurs estiment que les chocs présents dans l'écoulement sortant de HH 211 soient de faible vitesse. Or, ces chocs à faible vitesse ont une capacité réduite à détruire les grains de poussière. Cela implique que les sorties de très jeunes protoétoiles comme HH 211 mm ne renvoient pas seulement du gaz vers le milieu interstellaire, mais également de la poussière qui a été traitée à travers un disque protostellaire.La conclusion importante de cette étude, fondée sur les données du spectromètre NIRSpec de Webb, est que les jets des protoétoiles seraient principalement des faisceaux moléculaires se déplaçant lentement, contrairement à ce que l'on trouve pour leurs homologues plus évoluées, tels que les étoiles de type T Tauri, dans lesquelles des espèces atomiques et ionisées se déplaçant plus rapidement (plus de 200 km s−1) sont présentes en abondance. Une modélisation et une analyse minutieuses seront toutefois nécessaires avant que les conclusions de Ray et al. puissent être appliquées plus largement à d’autres jeunes étoiles de notre Galaxie.
Source
Outflows from the youngest stars are mostly molecular
Tom Ray et al.
Nature volume 622 (24 august 2023)
https://doi.org/10.1038/s41586-023-06551-1
Illustrations
1. HH 211 imagé par le télescope Webb (Tom Ray et al.)
2. HH 211 avec annotations (Tom Ray et al.)
3. Image résultant de la soustraction du signal CO - hydrogène (Tom Ray et al.)
4. Tom Ray
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