17/10/24

Des galaxies massives très déficientes en matière noire dans une simulation cosmologique


La découverte récente que la galaxie elliptique massive NGC 1277 possèderait moins de 5 % de matière noire par Sebastien Comeron et al. (2023) a questionné la possibilité qu'un tel objet puisse vraiment exister dans un univers régi par les lois physiques du modèle ΛCDM. Pour creuser cette question, Ana Contreras-Santos de l'Université de Madrid et ses collègues ont effectué une étude qu'ils viennent de publier dans Astronomy&Astrophysics. 

Les astrophysiciens, plutôt que de rechercher une autre galaxie ayant les mêmes caractéristiques que NGC 1277 (une galaxie massive de 160 milliards de masses solaires située dans l'amas de galaxies de Persée), qui s'apparenterait à chercher une aiguille dans une grosse botte de foin, ont préféré utiliser des simulations de l'univers. Il s'agit de la simulation du projet Three Hundred, dans laquelle une portion d'Univers ΛCDM est reproduit dans tous ses détails, où naissent et évoluent des galaxies au sein de 324 amas de galaxies de toutes tailles. Ils peuvent ainsi lancer de nombreuses simulations et chercher numériquement les quantités de matière noire présentes dans les galaxies simulées. On peut ensuite retracer l'histoire évolutive des galaxies pour déterminer les processus physiques qui seraient à l'origine de leur manque de matière noire si c'est le cas. 

Ana Contreras-Santos et ses collaborateurs ont effectivement trouvé dans les milliers de galaxies simulées deux galaxies elliptiques massives déficientes en matière noire qui sont tout à fait comparables à NGC 1277. Ces galaxies ont toutes deux une masse stellaire d'environ 100 milliards de masses solaires et qui correspond à 85% de leur masse totale. 

En observant comment ont évolué ces deux spécimens, les chercheurs montrent que les deux galaxies commencent leur vie avec des halos de matière noire beaucoup plus massifs, puis sont dépouillés par des effets de marée pour se retrouver réduits par un facteur 100. Ce dépouillement a lieu lors da chute de ces galaxies dans le puits gravitationnel de leur amas respectif, alors que la masse stellaire reste intacte grâce à sa concentration centrale beaucoup plus forte. Et Contreras-Santos et al. montrent ensuite par une analyse statistique que pour toutes les galaxies satellites massives des amas simulés, le rapport masse stellaire/masse totale final est fortement influencé par leur nombre d'orbites autour des amas de galaxies et leur distance aux péricentres. Les galaxies avec plus d'orbites et des péricentres plus proches sont plus déficientes en matière noire. 

L'image qui se dégage de cette étude est que le dépouillement de la matière noire d'une galaxie augmente proportionnellement à sa proximité avec le centre de l'amas et au temps qu'elle y passe.  Cela  signifie donc que le mécanisme qui dépouille les galaxies naines de faible masse peut également être efficace dans les elliptiques massives comme NGC 1277.

Ce que montrent surtout Contreras-Santos et ses collaborateurs, c'est que des galaxies elliptiques massives déficientes en matière noire peuvent se former dans les simulations cosmologiques sans nécessiter de physique particulière. Mais cependant, elles sont rares : les chercheurs estiment que ces systèmes représentent 0,5 % de la population des galaxies satellites de masse supérieure à 10 milliards de masses stellaires. 

Pour parvenir à ce chiffre, les chercheurs on défini les galaxies massives déficientes en matière noire comme celles dont le rapport masse stellaire / masse noire est supérieur à 1, ou encore M stellaire / M tot ≥ 0,5, avec un seuil en masse stellaire de  40 milliards M⊙. Avec ces critères, Contreras-Santos et son équipe trouvent 302 galaxies massives déficientes en matière noire dans l'ensemble de leur échantillon de 324 amas qui contiennent chacun environ 200 galaxies. ce qui représente donc environ 0,5% de la population totale de galaxies dans les amas. En définissant des contraintes supplémentaires pour sélectionner les objets les plus extrêmes dans leur échantillon, les chercheurs trouvent 9 galaxies avec M * / M tot ≥ 0,8 et M * > 75 milliards M ⊙ , chacune d'entre elles étant dans un hôte différent, ce qui souligne encore plus la nature très rare de ce type de galaxies. Et parmi ces 9, il y a les deux cas extrêmes très similaires à NGC 1277, de plus de 100 milliards de masses solaires dont la masse stellaire est supérieure à 85% de la masse totale.

De telles galaxies massives mais déficientes en matière noire peuvent donc bien exister et seraient simplement des sous-produits naturels de l'évolution typique des galaxies dans les amas, sans exigence spécifique d'un scénario de formation exotique.

Ana Contreras-Santos et ses collaborateurs ne peuvent pas affirmer que le mécanisme de dépouillement progressif qu'ils proposent soit responsable de la formation de NGC 1277, mais que, si certaines conditions dans son évolution ont été satisfaites, elle a pu naturellement évoluer en galaxie massive déficiente en matière noire sans avoir besoin d'aller au-delà du modèle standard de formation et d'évolution des galaxies. Les chercheurs montrent également pour la première fois que les propriétés finales de ces galaxies sont une conséquence de processus astrophysiques (le dépouillement par effet de marée), et non un artefact numérique, comme c'était le cas dans des travaux précédents qui traitaient du même problème...


Source

The Three Hundred: The existence of massive dark matter-deficient satellite galaxies in cosmological simulations

Ana Contreras-Santos et al.

A&A, 690, A109 (02 octobre 2024)

https://doi.org/10.1051/0004-6361/202451271


Illustrations

1. Graphe du ratio M stellaire/Mtot en fonction de la masse stellaire (en échelle logarithmique) dans la simulation 

2. Ana Contreras-Santos 

7 commentaires :

heterogene a dit…

Merci d'avoir repris vos publications.

Anonyme a dit…

Enchantee de vous voir de retour

Anonyme a dit…

Merci!

Anonyme a dit…

Vous nous avez manqué ces 2 derniers mois! Très heureux de retrouver de retrouver vos podcasts si uniques sur le web

Anonyme a dit…

Très heureux de vous retrouver ! Merci !

Anonyme a dit…

Je confirme aussi que vous nous avez manqué et que j’ai été très heureux de voir une nouvelle publication. Bonne continuation

Xavier S. a dit…

Bonjour, je me joins au collège des contents de la reprise des publications et vous en remercie.
Concernant cet article, l'intérêt d'effectuer des simulations à partir de modèles et d'hypothèses plutôt lourdes (ici, je suppose: la relative méconnaissance du comportement de la matière noire en dehors de son empreinte gravitationnelle) ne serait-il pas un peu discutable? C'est certainement un bel exercice mené avec un bel outil performant, mais est-il vraiment exploitable? Ou figure-t-il parmi les points intéressants mais vite oubliés?