Une équipe d'astronomes a fait une découverte sur la formation des jeunes étoiles dans le Grand Nuage de Magellan, en utilisant le télescope spatial Webb et le Grand Réseau Millimétrique/Submillimétrique ALMA. Leur étude, publiée dans The Astrophysical Journal, donne un nouvel aperçu des premiers stades de la formation d'étoiles massives en dehors de notre galaxie.
La formation d'étoiles massives joue un rôle essentiel en influençant la chimie et la structure du milieu interstellaire. La formation des étoiles se déroule dans des amas, les étoiles massives dominant la luminosité de l'ensemble. Aux premiers stades de leur formation, les vents à grande vitesse provenant des flux et des jets peuvent chauffer et comprimer le gaz environnant. Cela peut ensuite déclencher ou éteindre une nouvelle formation d'étoiles, en fonction de la distribution de densité du gaz comprimé. Et aux stades ultérieurs, le rayonnement ultraviolet de ces étoiles massives ionise le milieu interstellaire environnant.
Il y a 6 à 7 milliards d’années, les superamas d’étoiles étaient le principal moyen de formation des étoiles, produisant des centaines de nouvelles étoiles par an dans notre galaxie. Ce type de formation d’étoiles est en déclin, et les superamas d’étoiles sont très rares dans notre Univers local. On ne connaît aujourd’hui que deux superamas d’étoiles dans la Voie Lactée et un dans le LMC, tous deux vieux de plusieurs millions d’années. Ochsendorf et al. ont étudié en 2017 les jeunes objets stellaires (ce qu'on appelle des YSO : Young Stellar Objects) dans le LMC en utilisant la photométrie avec les télescopes spatiaux Spitzer et Herschel et ils ont trouvé deux principales régions de formation d'étoiles : la première est 30 Doradus, l'hôte du superamas d'étoiles R136, et la seconde est N79, hôte du candidat superamas H72.97-69.39, qui serait âgé d'à peine 100 000 ans. On sait que 30 Doradus a connu quatre épisodes de formation d'étoiles au cours des 25 derniers millions d'années, tandis que N79 est en train d'intensifier son activité de formation d'étoiles et pourrait un jour rivaliser avec le taux de formation d'étoiles et la luminosité élevée de 30 Doradus.
Le LMC est une galaxie satellite de notre Voie Lactée, et est situé à près de 160 000 années-lumière de la Terre. Cette distance relativement proche et son orientation face en font un laboratoire idéal pour étudier la formation d’étoiles extragalactiques. Omnarayani Nayak et ses collaborateurs ont utilisé l’instrument MIRI (Mid-Infrared Instrument) de Webb pour observer 11 YSO isolés dans la région N79 du LMC pour mieux comprendre l'effet des vents stellaires à grande vitesse, des chocs à faible vitesse des flux sortants, du rayonnement UV, du rayonnement retraité de la poussière et de la pression du gaz ionisé chaud sur le nuage moléculaire géant parental.
Comme l’abondance d’éléments lourds dans le LMC est deux fois moindre que celle de notre système solaire, il montre des conditions de formation d’étoiles similaires à celles qui existaient il y a 6 à 7 milliards d’années dans notre galaxie. Cela donne aux astrophysiciens un aperçu de la manière dont la formation d’étoiles aurait pu se dérouler dans l’univers jeune.
Nayak et ses collaborateurs observent une variété d'YSO à un stade précoce et tardif. Ils ont en particulier examiné en détail les caractéristiques spectrales de six YSO, à savoir les raies d'émission de l' H2 (hydrogène moléculaire), les raies d'émission d'hydrocarbures polyaromatiques (HAP), les raies d'absorption du silicate et celles de glace en phase solide et gazeuse.
Les raies de H2 dans l'IR moyen proviennent soit du rayonnement UV des étoiles massives, soit de l'excitation collisionnelle due à des chocs chauffant le gaz moléculaire. Les mêmes photons UV entrent en collision avec les molécules de HAP, ce qui conduit à l'excitation de divers modes de flexion et d'étirement et décompose les molécules de HAP de grande taille en molécules plus petites. Les électrons éjectés des molécules de HAP peuvent alors chauffer davantage le gaz local. Une émission de H2 excédentaire par rapport aux raies d'émission de HAP a déjà été observée dans les noyaux galactiques actifs en 2010 et dans des galaxies ultralumineuses en 2006, et on pense qu'elle provient des chocs.
La présence de raies d'absorption de silicate et de glace avec peu ou pas de H2 et des raies d'émission à structure fine, indique des très jeunes protoétoiles intégrées dans leur nuage de gaz natal, où les photons UV de l'étoile centrale n'ont pas encore ionisé le gaz environnant. Les différentes raies d'émission et d'absorption identifiées dans un spectre indiquent en fait l'âge de la protoétoile centrale ainsi que la distribution granulométrique et l'ionisation des HAP, ainsi que l'origine des chocs.
Les images de MIRI obtenues par Nayak et ses collègues montrent que les étoiles les plus massives se rassemblent près de l'amas stellaire H72.97-69.39, et que les moins massives se répartissent à la périphérie de N79, un processus qu'on appelle la ségrégation de masse. Et ce que l'on pensait jusqu'alors être une seule jeune étoile massive s'est révélé être un amas de cinq jeunes étoiles. L'une des cinq jeunes étoiles est plus de 500 000 fois plus lumineuse que le Soleil, et est entourée par plus de 1 550 jeunes étoiles.
ALMA a aussi apporté des contributions significatives à l’étude des YSO dans le LMC, en particulier dans la région N79. Les précédentes observations effectuée avec ALMA dans cette région ont notamment révélé la collision de deux filaments de poussière et de gaz de plusieurs parsecs. C'est pile au point de collision que se trouve le superamas d'étoiles H72.97-69.39, qui abrite la protoétoile la plus lumineuse identifiée par le télescope Webb. La collision de filaments de gaz moléculaire pourrait ainsi être le catalyseur nécessaire à la création d’un superamas d'étoiles, selon les chercheurs. Les observations d’ALMA fournissent un contexte crucial pour comprendre l’environnement à plus grande échelle dans lequel ces YSO se forment. Cette étude permet par exemple aux astronomes d’étudier la relation entre les structures de nuages moléculaires à grande échelle et la naissance des protoétoiles et des amas.
Nayak et ses collaborateurs montrent que les masses respectives pour les amas d'étoiles qu'ils ont nommés E1, S1 et S2 sont respectivement de 18,3 ± 2,7, 25,4 ± 3,2 et 15,7 ± 4,5 M⊙. Selon eux, dans E1, c'est l'YSO Y2 qui est probablement la source dominante, Y4 est la source dominante dans S1 et Y9 est celle qui domine dans S2.
Les YSO observés présentent une variété de raies d'émission de HAP. Mais l'YSO Y4, la source ionisante centrale du candidat amas H72.97-69.39, ne présente aucune caractéristique de HAP, probablement en raison du rayonnement intense et des forts vents stellaires qui détruisent les hydrocarbures polyaromatiques environnants.
Les six étoiles YSO présentent en tous cas toutes plusieurs raies d'émission de l'hydrogène moléculaire H2. Y2 présente 16 raies d'émission H2 , soit le plus grand nombre de raies d'émission parmi toutes les sources étudiées dans cette étude. Y3, l'YSO le plus jeune, présente cinq raies H2. Les raies d'absorption importantes qui sont observées dans le spectre de Y3 indiquent quant à elles que cette protoétoile est enveloppée de poussière et qu'elle n'a pas encore commencé à ioniser le gaz environnant. Pour Nayak et son équipe, les raies H2 observées dans les spectres de Y3 pourraient aussi être dues à la source dominante, Y2, qui excite le H2.
Une autre caractéristique remarquable sont les raies d'émission [Ne II], [Ne III ], [Ar II ], [Ar III ] et [Fe II]. Elles indiquent la présence de chocs à grande vitesse (> 70 km s-1) dans Y1, Y2, Y4, Y6 et Y9. Des chocs à faible vitesse sont également présents dans ces YSO, car Nayak et al. identifient de fortes raies d'émission H2 et [Cl II]. Alternativement, les raies d'émission [Ne II ] et [Ne III ] peuvent aussi provenir d'YSO de masse élevée à proximité photoexcitant le gaz avec des photons UV et X extrêmes.
Les raies d'émission H I sont souvent observées lors de l'accrétion protostellaire et sont généralement abondantes dans les régions H II. Les taux d'accrétion de masse de Y1, Y2, Y4 et Y9 varient entre 1,22 × 10-4 et 1,01 × 10-2 M⊙ an-1 . Des taux d'accrétion de 10-4 M ⊙ an-1 ont été mesurés pour des étoiles de faible masse dans la Voie lactée. Selon Nayak et ses collaborateurs, la raison de ces taux d'accrétion élevés pour les YSO de N79 pourrait être soit que la force gravitationnelle domine dans les YSO de masse élevée, conduisant à un taux plus élevé, ou soit que les chocs et les vents contribuent au flux HI mesuré, conduisant à ce que les calculs des taux d'accrétion de masse soient des limites supérieures.
Concernant les caractéristiques d'absorption en phase solide et gazeuse, elles sont observées dans les spectres de Y1, Y3, Y4, Y6 et Y9. Mais l'YSO Y2 n'a aucune caractéristique d'absorption. Les astrophysiciens donnent une explication possible des caractéristiques d'absorption en phase gazeuse de HCN et de CO2 dans Y6 et Y9 : des vents à grande vitesse chaufferaient le gaz environnant à 100 K ou plus, ce qui conduirait à une augmentation de leur abondance. Les chercheurs notent que Y3 et Y9 ont également la caractéristique du doublet du CO2, Y3 ayant les raies d'absorption les plus importantes. Cet YSO a a des raies d'absorption importantes, probablement parce qu'il a moins de 10 000 ans, d'après Nayak et ses coauteurs.
Les astrophysiciens ont donc désormais observé des étoiles géantes à différents stades d’évolution, depuis de très jeunes protoétoiles jusqu’à des objets plus évolués ionisant leur environnement. Ces données fournissent aujourd'hui des informations sur la chimie complexe qui se produit dans ces pépinières d’étoiles, notamment la présence de molécules organiques et de poussière, ce qui relie la formation des étoiles à l’histoire plus vaste de la répartition des éléments et des composés dans l’univers.
Source
JWST Mid-infrared Spectroscopy Resolves Gas, Dust, and Ice in Young Stellar Objects in the Large Magellanic Cloud
Omnarayani Nayak et al.
The Astrophysical Journal, Volume 963, Number 2 (4 march 2024)
https://doi.org/10.3847/1538-4357/ad18bc
Illustration
1. Vue d'artiste d'un superamas d'étoiles avec des YSO (NSF/AUI/NSF NRAO/S.Dagnello)
2. Omnarayani Nayak
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