11/03/16

A la recherche du méthane de Mars

Lundi prochain 14 mars va s'envoler vers Mars depuis Baïkonour une sonde européenne nommée TGO, à la recherche de traces de vie. Trace Gas Orbiter va partir à la recherche de traces de méthane.



L’atterrisseur Schiaparelli se détachant de TGO (ESA/ATG Medialab)
Sur Terre, la méthane est produit essentiellement par des bactéries, et pas uniquement dans l'intestin des vaches. La détection de méthane dans la fine atmosphère de Mars serait une preuve indirecte de l'existence passée (ou présente) de micro-organismes. TGO vérifiera non seulement la présence de méthane mais il permettra aussi de déterminer ses sources, ses zones d'absorption et ses variations saisonnières. TGO est munie de spectromètres du dernier cri offrant la meilleure sensibilité pour la détection du méthane, mais aussi d'autres gaz.
TGO arrivera en orbite martienne en octobre, après 7 mois de voyage. Et TGO emporte avec elle une surprise : un petit atterrisseur nommé Schiaparelli (du nom du célèbre astronome italien du XIXème grand observateur de Mars), qui devrait être largué le 19 octobre pour atterrir 6 minutes plus tard dans le Meridiani Planum à l'aide de son parachute et de rétrofusées. Schiaparelli n'est prévu que pour une mission d'ordre météorologique de courte durée (quelques jours) et doit surtout ouvrir la voie au futur rover européen prévu pour 2018. En effet, Schiaparelli va tester plusieurs technologies prévues pour ExoMars, notamment son parachute et un radar altimétrique.  

C'est une autre sonde européenne, Mars Express, qui a la première détecté la présence de méthane sur Mars en 2004 avec des concentrations de l'ordre de 10 parties par milliard (ppb). Puis d'autres mesures à partir de télescopes terrestres ont confirmé cette détection peu de temps après. Mais comme la lumière UV détruit facilement les molécules de CH4 en quelques centaines d'années, les chercheurs en ont déduit que la source de méthane devait être récente. De plus, la forme des émanations laissait supposer qu'elles provenaient de bouffées concentrées et relativement insensibles aux vents qui devraient les disperser en quelques jours sur de grandes surfaces.
Mais le méthane peut aussi avoir d'autres origines que des organismes vivants, comme des réactions chimiques entre certaines roches et de l'eau, ou la dégradation de molécules organiques contenues dans des poussières ou des micrométéorites.

Le rover américain Curiosity, arrivé sur Mars en 2012 est lui aussi muni de détecteurs de méthane et en a observé une brutale bouffée (7 ppb) en 2014 qui a duré quelques mois, mais cette mesure reste aujourd'hui controversée, d'autant que ses mesures depuis lors n'ont jamais dépassé 0,5 ppb.
Les planétologues s'accordent globalement sur le fait que le cycle du méthane sur Mars est très mal compris. TGO, qui devrait fonctionner jusqu'en 2022 devrait apporter de précieux éclaircissements. 

TGO possède deux spectromètres, l'instrument belge NOMAD et le russe ACS qui peuvent détecter du méthane jusqu'à des concentrations de 0,020 parties par milliard. Cette très haute sensibilité est obtenue grâce à la méthode envisagée d'observation du coucher et du lever de soleil à travers la fine atmosphère de Mars. Les raies d'absorption du méthane peuvent ainsi être clairement observées dans la lumière du Soleil. Et selon la présence de poussières parasites, les mesures de TGO pourraient couvrir toute la profondeur de l'atmosphère martienne jusqu'à la surface, là où les concentrations du précieux gaz devraient être les plus importantes.
Les deux spectromètres de TGO fonctionneront également en regardant directement la surface et la lumière réfléchie du sol, ce qui permettra de produire des cartographies des sources de méthane, si elles existent, mais avec une sensibilité beaucoup moins bonne.

Parmi les autres gaz que TGO traquera, on retrouve les composés soufrés qui sont un signe d'activité volcanique. Si ces composés soufrés sont trouvés accompagnant du méthane, les chercheurs pourraient conclurent plus facilement sur une origine géologique plutôt que biologique du CH4.
Les spectromètres NOMAD et ACS suivront également les mouvements atmosphériques du CO2 et de la vapeur d'eau, avec une mesure de température, fournissant des données cruciales pour modéliser le climat martien.

Outre une bien meilleure connaissance de l'atmosphère de Mars, TGO permettra, avec Schiaparelli, de poser sur le sol de la planète rouge le premier engin non-américain qui devrait fonctionner plus de 20 secondes. Rien que pour cela, cette mission possède un caractère historique.

Source : 
Mars orbiter to sniff for methane
Eric Hand
Science  Vol 351 Issue 6278 (11 March 2016)

08/03/16

L'Univers relativiste simulé pour la première fois

Des physiciens suisses de l'université de Genève viennent de rendre public un code de simulations numériques qui permet de simuler l'expansion de l'Univers directement à partir des équations de la Relativité Générale. Jusqu'alors, les codes de simulation étaient simplifiés en considérant des interactions newtoniennes. Cette nouveauté devrait permettre de comprendre en détail l'évolution de l'Univers, de la formation des grandes structures à son expansion accélérée par la mystérieuse énergie noire.



Les ondes gravitationnelles générées pendant la formation des
structures dans l’Univers. Les structures (distribution des masses)
sont indiquées comme points brillants, les ondes gravitationnelles par
des ellipses. La taille de l’ellipse est proportionnelle à l’amplitude
de l’onde et son orientation représente la polarisation (R. Durrer/UNIGE)
Ce code de calcul appelé Gevolution est fondé sur l'application exacte des équations d'Einstein, calculant la métrique de l'Univers à partir de son contenu en masse-énergie. Il intègre des mouvements de rotation de l'espace-temps ainsi que l'émission d'ondes gravitationnelles, ce qu'aucune simulation dynamique n'avait encore jamais pris en compte. L'équipe de Ruth Durrer du  Département de physique théorique de l'Université de Genève est publiée dans Nature Physics.

Le gros défaut des simulations d'Univers antérieures, outre le fait qu'elles étaient fondées sur la gravitation Newtonienne, était qu'elles étaient statiques, certes avec un résultat approximé correct pour des vitesses assez lentes (inférieures à 300 km/s), mais avec de grosses contraintes sur l'origine des champs gravitationnels forcément non relativiste. Elles devaient donc faire des hypothèses restrictives sur le secteur "sombre" (matière sombre et énergie sombre). Ici, avec Gevolution, toutes les composantes de matière et d'énergie peuvent prendre n'importe quelle valeur. L'Univers simulé évolue au cours du temps, l'espace-temps se trouve en expansion, dans lequel apparaissent des grandes structures cosmiques qui évoluent sous l'effet à la fois de l'expansion de l'espace-temps et des interactions gravitationnelles (courbure de l'espace-temps).

L’objectif initial des chercheurs était de pouvoir prédire l’amplitude et l’impact des ondes gravitationnelles, ainsi que ceux de la rotation de l'espace-temps (qu'on appelle aussi le frame-dragging) qui sont induits par la formation des grandes structures cosmologiques.
Les physiciens ont pour cela découpé l'équivalent d'une portion cubique d'Univers en 60 milliards de mailles contenant chacune une particule ayant une certaine masse (équivalent à une portion de galaxie), pour observer les mouvements d'ensemble obtenus.
Les chercheurs ont fait appel à un logiciel de calcul permettant de résoudre des équations partielles différentielles (en l'occurrence les équations d'Einstein) qu'ils ont appliqué sur chacune de leurs 60 milliards de mailles, le tout grâce au supercalculateur du Centre de Calcul de Lugano en Suisse.
Le code calcule les 6 degrés de liberté de la métrique relativiste et dérive la géodésique de l'espace-temps de manière dynamique.
Comme le frame-dragging et les ondes gravitationnelles n'avaient encore jamais été introduits dans une simulation, les résultats qu'obtiennent Durrer et ses collaborateurs leur permettent de confronter enfin l'expansion simulée avec l'expansion réelle telle qu'elle est observée.
Les premières simulations ont été effectuées dans le cadre d'un modèle cosmologique classique avec une constante cosmologique et de la matière noire "froide" (non relativiste, des WIMPs) et sans tenir compte des neutrinos. 

Elles donnent des résultats assez proches des simulations fondées sur la gravitation newtonienne, mais les chercheurs s'attendent à quelques nouveautés après avoir introduit un modèle d'énergie noire dynamique...
Ce type de confrontation simulation réaliste-observation en modifiant certains paramètres comme autant d'ingrédients dans la recette de l'Univers va permettre aux physiciens de tester la Relativité Générale à des échelles beaucoup plus vastes que ce que l'on savait faire jusqu'à aujourd'hui. L'approche des chercheurs suisses est très générale et ils indiquent qu'elle peut être appliquée à tous les cas où l'approximation newtonienne est défaillante ou imprécise comme la présence d'énergie noire dynamique, de matière noire "chaude" (relativiste) ou encore les explosions de supernovas par effondrement de cœur (SN de type II).
L'énergie noire encore si mal comprise pourrait bien dévoiler un coin de sa réalité grâce à des 0 et des 1.


Source :
General relativity and cosmic structure formation
J. Adamek et al.
Nature Physics (7 march 2016) 

06/03/16

Et si LIGO avait détecté des vestiges de trous noirs primordiaux ?

Je ne résiste pas à vous faire part d'une étude qui vient d'être mise en ligne sur Arxiv et qui propose une explication ébouriffante pour les trous noirs d'environ 30 masse solaires détectés par LIGO : ils pourraient être des vestiges de trous noirs primordiaux et une telle population de trous noirs pourrait expliquer une grande partie de la matière noire...


Il ne s'agit pas de l'étude d'un théoricien seul dans son coin mais de celle d'une équipe constituée notamment du prix Nobel Adam Riess et du fameux Marc Kamionkowski, tous du Department of Physics and Astronomy de l'Université Johns Hopkins à Baltimore.
Illustration de la fusion de trous noirs (LIGO)

Il se trouve que selon les modèles théoriques concernant les trous noirs primordiaux, des trous noirs qui se seraient formés dans les tous premiers instants de l'Univers et notamment dans la phase d'inflation, une plage de masse est toujours compatible pour expliquer la masse manquante (ou matière noire). Cette plage de masse se situe entre 10 et 100 masses solaires. C'est à partir de cette hypothèse que les astrophysiciens de l'Université Johns Hopkins ont fait leurs calculs. Ils montrent que les vestiges des trous noirs primordiaux auraient non seulement pour masse la plus probable 30 masses solaires (qui se trouve être la masse des trous noirs trouvée par LIGO, ce qui a dû mettre la puce à l'oreille de ces spécialistes), mais qu'ils se distribueraient différemment des trous noirs stellaires, ceux issus de la mort d'étoiles massives. Les vestiges de trous noirs primordiaux se répartiraient sous le forme de halos, sous forme de "grappes" de trous noirs. Au sein d'un tel halo, très semblable dans sa forme au halo de matière noire entourant une galaxie tel qu'il est généralement imaginé aujourd'hui, des trous noirs voisins pourraient s'"attraper" avec une probabilité assez faible, devenir liés gravitationnellement en perdant de l'énergie gravitationnelle par l'émission d'ondes gravitationnelles, puis petit à petit ils spiraleraient l'un vers l'autre pour finir par fusionner. C'est un tel événement qu'aurait pu détecter LIGO selon Simeon Bird et ses collègues.

La probabilité d’occurrence de tels événements est assez imprécise du fait de notre connaissance imparfaite de la structure des halos galactiques aux petites échelles. Mais les estimations raisonnables qui ont été effectuées par les astrophysiciens de Baltimore donnent une valeur qui se trouve dans la plage déterminée par LIGO à partir de l'événement GW 150914, c'est à dire entre 2 et 53 événements par an dans un volume de 1 Gpc3 (1 Gpc = 3.26 milliards d'années lumière).

Les événements de fusion de vestiges de trous noirs primordiaux peuvent théoriquement être distingués des fusions de trous noirs stellaires, grâce à leur masse prédominante (aux alentours de 30 masses solaires) d'une part (alors que les trous noirs stellaires peuvent avoir un peu n'importe quelle masse), et d'autre part par leur caractéristique orbitale (une orbite plus elliptique que pour un couple binaire "classique", générant alors des harmoniques à plus haute fréquence dans les ondes reçues. Enfin, les nombreux événements de ce genre qui peupleraient les halos des galaxies devraient produire un bruit de fond d'ondes gravitationnelles particulier. Ces caractéristiques particulières dans le signal des ondes ne sont pas encore accessibles aux instruments de détection d'ondes gravitationnelles actuels mais le seront dans les futurs détecteurs. Mais la détermination des masses des trous noirs, elle, est bien accessible dès aujourd'hui et pourrait donner de bons indices.

Le taux d'occurence de ces événements, évalué par Bird et ses collègues, indique que LIGO, VIRGO et leurs homologues pourraient détecter plusieurs milliers de fusion de trous noirs primordiaux, et autant de masse invisible (noire) durant leur durée d'exploitation de quelques années... en attendant les futurs observatoires gravitationnels que seront le Einstein Telescope, DECIGO et BBO. Si la prochaine fusion de trous noirs observée par LIGO donne à nouveau une trentaine de masses solaires pour chaque composante, cette hypothèse sera d'autant plus renforcée, et terriblement excitante, comme disent les américains...


Source : 

Did LIGO detect Dark Matter ?
S. Bird et al.

03/03/16

GN-z11, la galaxie la plus lointaine de l'Univers : 13,4 milliards d'années-lumière

Hubble vient de pulvériser le record de distance de la galaxie la plus lointaine observée : elle s'appelle GN-z11 et a un redshift z=11,1 soit à 13,4 milliards d'années-lumière, alors que le précédent record se situait à z=8,68, soit 13,2 milliards d'années-lumière.



GN-z11 (ESA/NASA/P. Oesch et al., Yale University)
Cette toute petite galaxie extrêmement jeune et étonnamment lumineuse en son genre, se trouve seulement 400 millions d'années après le Big Bang. C'est en poussant le télescope spatial Hubble à ses limites que l'équipe menée par Pascal Oesch (Université de Yale) ont trouvé ce joyau là où l'univers n'avait que 3% de son âge actuel. Il s'agit d'une véritable prouesse réussie avec ce vieux Hubble, que les astronomes pensaient impossible avant la mise en orbite de son successeur, le Webb Telescope.
GN-z11 avait déjà été observée par le passé et sa distance évaluée une première fois en déterminant sa couleur grâce à Hubble et au télescope Spitzer. Cette fois-ci, les astrophysiciens ont utilisé l'instrument WFC3 (Wide Field Camera 3) de Hubble pour mesurer la distance de GN-z11 par spectroscopie en mesurant directement son redshift (décalage spectral vers le rouge produit par l'expansion cosmique). La précédente détentrice du record de distance déterminée par spectroscopie était une galaxie qui avait un redshift z de 8,68, mais GN-z11, elle, a un redshift de 11,1, se situant donc 200 millions d'années plus tôt dans l'histoire cosmique que le précédent record, à 13,4 milliards d'années-lumière de distance.
Les astrophysiciens pensent déjà qu'ils ne parviendront pas à faire mieux avec Hubble avant l'arrivée du télescope Webb, comme le dit Pieter van Dokkum de l'université de Yale : "C'est une réussite extraordinaire pour le télescope Hubble. Il est parvenu à pulvériser tous les records antérieurs tenus depuis des années par des télescopes terrestres beaucoup plus grands. Ce nouveau record tiendra très certainement jusqu'au lancement du JWST".

GN-z11 est environ 25 fois plus petite que votre Voie Lactée, et ne possède que 1% en masse des étoiles de notre galaxie. C'est un embryon de galaxie mais qui semble grossir très vite, car elle forme des étoiles à un taux 20 fois supérieur au taux actuel de notre galaxie. C'est cette intense formation d'étoiles qui rend GN-z11 suffisamment brillante pour être vue et analysée par Hubble et Spitzer.
Les chercheurs sont étonnés de voir une galaxie ayant déjà une masse de 1 milliard de masses solaires si peu de temps après la singularité initiale du Big Bang (400 millions d'années après).

Cette observation laisse présager de très belles découvertes par le télescope Webb dès 2018, mais aussi par le télescope WFIRST (Wide Field Infrared Survey Telescope) de la NASA, qui, a eux deux, devraient explorer en détails cette zone de l'Univers peuplée des toutes premières galaxies. Ils pourraient en trouver des milliers parmi les plus distantes.

Sources :

Communiqué de la NASA :
Communiqué de Yale University

Article de P. Oesch et al. accepté pour publication dans The Astrophysical Journal

Découverte de bouffées rapides d'ondes radio répétitives

Il y a tout juste une semaine je vous parlais d'une observation exceptionnelle d'une FRB, une bouffée rapide d'ondes radio pour la première fois localisée en distance. Les FRB font encore parler d'elles cette semaine, mais pour une autre raison : une équipe vient de trouver qu'elles peuvent se répéter de nombreuses fois, pour un même astre...



Cette nouvelle observation bouleverse complètement l'image que les astrophysiciens avaient commencé  à ce faire au sujet de ces bouffées d'ondes radio. En effet, le fait qu'elles semblaient être des phénomènes uniques, non répétables, a mené les astrophysiciens à penser que leur origine devait être un processus cataclysmique comme la fusion de deux étoiles à neutrons ou encore l'effondrement d'une "grosse" étoile à neutron. Mais cette FRB nommée FRB 121102 découverte en novembre 2012 avec le radiotélescope de 305 m de Arecibo, est réapparue 10 fois de suite après sa première apparition en novembre 2012! Les astrophysiciens sont sûrs que ces 11 bouffées rapides d'ondes radio proviennent bien du même objet astrophysique par l'observation de sa dispersion spectrale, indiquant une distance similaire.

Les 11 bouffées de FRB 121102 (diagrammes temps-fréquence)
(L. Spitler et al., Nature)
Le fait que de telles bouffées peuvent se répéter montre que le phénomène qui en est à l'origine n'est pas destructif pour l'objet en cause. Il ne peut pas s'agir dans le cas de FRB 121102 d'une fusion de deux étoiles à neutron.
Mais les chercheurs, qui publient leur découverte dans la revue Nature, penchent tout de même pour une origine du type jeune étoile à neutron fortement magnétisée, qu'on appelle aussi un magnétar.
La répartition temporelle des bouffées est un peu particulière, car la première, celle qui a donné son nom à la FRB a eu lieu le 2 novembre 2012, puis les deux suivantes sont apparues le même jour le 17 mai 2015 et enfin les 8 dernières se sont toutes succédées à nouveau au cours d'une même journée, le 2 juin 2015, séparées entre quelques dizaines de secondes et près de 10 minutes. 

Parmi les hypothèses possibles imaginées par l'astronome américaine Laura Spitler (Max-Planck-Institut für Radioastronomie) et ses collaborateurs, on trouve une éruption géante à la surface d'un magnétar qui pourrait produire de telles émissions, mais cette piste reste peu probable du fait qu'aucun magnétar proche n'a été observé en train de produire plus d'une éruption géante en quarante ans de suivi. Une autre piste un peu plus sérieuse proposée par les chercheurs serait un pulse radio "géant" d'un pulsar extragalactique. Mais la distance de cette bouffée rapide d'ondes radio n'étant pas connue, l'interprétation reste délicate. 
Presque toutes les autres FRB connues sont suivies de manière assez régulière, notamment avec le radiotélescope australien Parkes, et elles n'ont jamais montré de répétitions. Les chercheurs se demandent donc si FRB 121102 est représentative de toutes les FRB ou non, ils remarquent quand même que le radiotélescope Parkes avait une sensibilité qui lui aurait permis de détecter seulement 2 des 11 bouffées de FRB121102, les deux plus intenses. Un suivi plus sensible pourrait ainsi dévoiler peut-être de bien plus nombreuses FRB répétitives...

Mais Laura Spitler et son équipe concluent leur article en évoquant l'idée que FRB121102 est peut-être simplement complètement différente des autres FRB et pourrait impliquer un tout autre phénomène. L'avenir nous le dira certainement.


Source : 

A repeating fast radio burst
L. G. Spitler et al.
Nature online (2 March 2016)

01/03/16

Vera à Woodstock [fiction]


La lumière du soleil était aveuglante. Dès que Vera avait trouvé le mot, elle avait décidé d’y aller. Comme Bob était en Californie pour encore dix jours, elle avait demandé à sa fille Judith de rester à la maison pour garder ses deux petits frères. Vera venait de contourner Baltimore et roulait maintenant sur la route 83 en direction de Harrisburg. « Qu’est-ce qu’il lui a pris de partir comme ça sans rien dire, juste en laissant ce mot succinct ? »
Vera ne comprenait plus son fils aîné. David venait tout juste de fêter ses dix-neuf ans deux semaines auparavant, le jour du retour des astronautes. Le mot laissé sur la table de la cuisine disait : « Je pars au festival de Woodstock avec les copains, on rentre dans trois jours». La famille Rubin était jusque-là très soudée, mais depuis que David avait rejoint l’université, il n’était plus le même. David avait complètement raté sa première année universitaire, alors qu’il avait toujours été un très bon élève, un modèle pour sa sœur et ses deux jeunes frères. Vera, chercheuse comme Bob, avait très mal vécu cet échec de David, et elle le suspectait d’avoir de mauvaises fréquentations. David traînait souvent avec une bande de hippies qui ne semblaient pas très portés sur les études. Elle était sûre qu’il était parti avec eux à ce festival de musique. Bob et Vera avaient décidé de remettre leur fils aîné dans le droit chemin en commençant par l’obliger à travailler dur durant tout l’été pour rattraper le retard qu’il avait accumulé depuis l’hiver. Vera ne pouvait pas accepter qu’il soit parti comme ça. Elle avait décidé d’aller le chercher elle-même à ce festival et de le ramener coûte que coûte à la maison pour le faire travailler deux fois plus. Elle savait ce qu’aurait dit Bob, sa réaction aurait été encore plus violente. Vera avait donc choisi de ne rien dire à son mari et de se débrouiller seule pour donner une bonne leçon à David.
Vera n’aimait pas écouter la radio en conduisant, elle préférait penser à ses observations de la galaxie d’Andromède. Messier 31 ne tournait pas rond, ou plutôt elle tournait vraiment trop vite. Les résultats qu’ils obtenaient étaient étranges. Ils étaient presque prêts à envoyer leur article maintenant, mais Vera avait toujours des doutes. Pouvait-il encore y avoir un biais dans ces mesures spectrométriques ? Il était quand-même très audacieux de proposer que les lois de la gravitation puissent être incorrectes aux grandes échelles ou qu’une matière invisible puisse exister majoritairement dans les galaxies spirales…
Vera s’arrêta peu avant Hazleton pour faire le plein de la Chevy et en profita pour téléphoner à la maison pour savoir si tout allait bien. Elle était sur la route depuis deux bonnes  heures, sous la chaleur écrasante du mois d’août, et il lui en restait facilement le double d’après la carte. Le festival se déroulait dans un coin reculé de l’état de New York, c’est Judith qui lui avait précisé, elle en avait eu vent au lycée. Vera avait quitté Bethesda le matin vers dix heures. Elle avait dû prendre sa journée au dernier moment, alors qu’elle voulait profiter de ce vendredi pour avancer sur la rédaction de l’article.
Cela faisait maintenant trois ans que Vera faisait des allers-retours en Arizona pour enregistrer des spectres de différentes régions de la galaxie d’Andromède à l’observatoire Lowell. De son côté, Kent, son collègue de l’Institut Carnegie faisait la même chose auprès du télescope de Kitt Peak. Ils avaient mis en commun leurs données pour obtenir une vue globale des vitesses de rotation du gaz et des étoiles dans toute la galaxie d’Andromède.  Il fallait retravailler une dernière fois l’article, la toute dernière version n’était pas satisfaisante. Le point le plus ennuyeux était bien évidemment cet écart énorme qu’ils trouvaient lorsqu’ils calculaient la masse de la galaxie. A partir de la matière visible, l’hydrogène et les étoiles, la masse qu’ils obtenaient ne faisait que huit pourcents de la masse qu’ils déduisaient à partir des mesures de vitesse, près de deux cent milliards de fois la masse du soleil. Fallait-il développer des hypothèses dans la conclusion de l’article ou bien simplement donner cet écart sans plus de commentaire, laissant cela à la charge de la communauté scientifique ? Vera réfléchissait à son travail lorsqu’elle aperçut sur le bord de la route un restaurant à l’enseigne pour le moins attractive, on y voyait la Lune, accompagnée d’une fusée et d’une galaxie, qui pouvait ressembler à Andromède. Il était temps de manger un morceau.
Il y avait beaucoup de monde dans la salle, surtout des jeunes. Vera trouva tout de même une place au bout d’une table où s’était installé un groupe de trois jeunes gens et quatre jeunes filles. Ils n’avaient pas l’air beaucoup plus âgés que David. Vera repensait à la conclusion de l’article pour The Astrophysical Journal. Elle savait que Kent voulait mettre l’accent sur l’anomalie de masse qu’ils trouvaient, car les données étaient très précises, il n’y avait pas de doute possible. Mais pour Vera, il était encore un peu trop tôt. Il faudrait regarder ce que donneraient les courbes de rotation d’autres galaxies avant de pouvoir généraliser et annoncer l’existence d’une masse invisible. Elle comprenait Kent, ces observations avaient un caractère révolutionnaire, mais il ne fallait pas se tromper, on entrerait dans un nouveau monde.


Perdue dans ces pensées, Vera écoutait vaguement ce que disaient ces voisins, quand elle entendit soudain le mot « Woodstock ».
—Excusez-moi, vous vous rendez au festival de musique de Woodstock ?
— Oui, madame ! Trois jours de musique, de paix et d’amour ! Tout le monde y va ! répondit une petite blonde avec un large sourire.
— Moi aussi, j’y vais !
— Super ! s’exclama une brune qui était au bout de la table près de la vitre.
— Je vais chercher mon fils…
— Hein ? Chercher votre fils ? Pourquoi ? demanda un garçon qui portait des cheveux jusqu’aux épaules.
— Il n’avait pas le droit de sortir.
— Ooh… pas cool ça… Pas cool…
— Ah, non, et je ne vous le fais pas dire, rétorqua Vera.
— ‘fin… non, j’veux dire… Vous êtes pas très cool, quoi… répondit le garçon.
Vera le dévisagea durant deux secondes mais ne répondit pas. Elle avait fini son cookie et se dirigea rapidement vers la sortie, elle n’avait pas de temps à perdre.
Elle reprit la route 81 en direction de Scranton. Il y avait beaucoup plus de trafic qu’avant son arrêt. Vera calcula qu’elle arriverait à destination vers 17h. Il ne fallait pas aller dans la ville de Woodstock comme on pouvait le croire en lisant le nom du festival mais dans un village du nom de Bethel qui était à quelques dizaines de kilomètres de la ville.
Vera avait toujours avec elle des cartes détaillées, celles de la Pennsylvanie et de New York avaient déjà beaucoup servi, mais sans doute moins que celle de l’Arizona. Après Scranton, il fallait prendre la route 84 vers l’est jusqu’à Middletown puis la route 17 qui venait de New York City vers le nord et on arrivait ensuite à Bethel par une route de campagne à partir d’un bourg au nom étrangement italien, Monticello. Quelle idée avaient eu les organisateurs de ce festival de faire ça dans un coin aussi reculé ?
La circulation devenait maintenant un peu difficile. Une longue file de voitures se suivait à la queue leu leu. C’était curieux car il n’y avait absolument personne dans l’autre sens. La chaleur était toujours plus accablante. Il était 16h35. Il y avait devant une sorte de pick-up sur la plateforme duquel s’étaient entassés cinq personnes. Des jeunes. Elle les regardait qui discutaient en riant et pensait en même temps à Andromède. La voiture qui était derrière était aussi entièrement remplie, comme si il y avait un rassemblement de jeunes quelque part dans le coin. Vera songeait à quelles pourraient être les galaxies à étudier après M31 pour montrer un comportement similaire des courbes de rotation.
Ça freinait devant.
— A cette vitesse, je n’arriverai pas avant 18h, peut-être plus… Qu’est ce qui se passe ici ?
Les voitures roulaient maintenant au pas. C’était pénible. La troupe dans le pick up ne semblait pas le moins du monde affectée par l’embouteillage. Ils semblaient même beaucoup s’amuser. On venait de sortir du bourg de Monticello, traversé au ralenti. On voyait des habitants devant les maisons, ils semblaient n’avoir jamais vu autant de voitures traverser leur village. Puis un quart d’heure plus tard, ça n’avançait plus du tout. On était à peine à deux miles des dernières maisons de Monticello. Vera s’impatientait. Elle coupa le contact après dix minutes. Il était maintenant 18h15. Elle sortit de la Chevy et s’approcha des jeunes entassés dans le pick-up. D’autres personnes sortaient des voitures plus loin devant.
— Vous savez ce qui se passe par ici ? demanda-t-elle.
— C’est le festival ! répondit un jeune qui était assis en tailleur, tout le monde y va !
— Mais, vous parlez du festival de Woodstock ? C’est un gros événement ? demanda Vera, qui pensait que David était allé à un petit festival de musique de campagne d’à peine quelques centaines de personnes.
Une fille répondit :
— Mais tout le pays est en train de venir !
— Tout le pays ? rétorqua Vera qui se souvint brusquement ce que lui avait dit la petite blonde du restaurant.
— Mais bien sûr ! On devrait être cinquante mille … répondit la fille.
— Oh, on sera bien plus… Vous avez vu toutes ces voitures ? Je parie qu’on sera deux cent mille !.. reprit un deuxième garçon qui était coincé tout contre le bord du pick-up.
— Deux cent mille personnes ? dit Vera comme pour elle-même. Deux cent mille… Mais c’est impossible… Je ne trouverai jamais David.
Au moment où Vera comprit qu’elle s’était fourvoyée, une moto arriva dans le sens inverse en roulant lentement avec un passager derrière le conducteur. Il criait à tue-tête :
— Laissez les voitures sur les côtés dans les champs, l’accès est bouché aux véhicules, continuez à pied, vous y êtes presque ! Peace ! Laissez les voitures sur le bas-côté ! Continuez à pied ! C’est à quatre miles ! Peace !
Aussitôt, les cinq jeunes gens se regardèrent, et après un hochement de tête, sautèrent tous sur le route avec leur sacs à dos. Vera les vit s’éloigner et resta là sans trop savoir ce qu’elle devait faire. De derrière elle, des flots de jeunes gens faisaient la même chose tandis que les conducteurs des voitures manœuvraient pour positionner leur véhicule dans le champ tout juste moissonné qui longeait la route sur la gauche. Il régnait une atmosphère étrange. Tous ces gens à peine plus vieux que David, et pour certains peut-être plus jeunes, semblaient épris de la même ferveur. Vera les observait la dépasser, les écoutant au passage. On entendait des encouragements joyeux, une sorte de bonheur enfantin d’aller voir Joan Baez ou Janis Joplin, des noms que Vera avait déjà entendus ou qui lui étaient complètement étrangers. Certains chantaient en marchant. La plupart portaient des balluchons et il y en avait qui fumaient certainement autre chose que du tabac vu l’odeur.
Vera était stupéfaite de voir cette foule converger vers ce lieu tout à fait improbable. Elle se mit à marcher lentement avec le flot, regardant autour d’elle, des fois qu’elle aperçoive David, mais plus par réflexe que par volonté de le retrouver. C’était absolument impossible et elle le savait désormais.  
A peine un yard plus loin, la route faisait un virage au-delà des arbres et elle voyait les gens pointer du doigt l’horizon. Vera se rapprocha puis monta sur le talus pour regarder dans la direction indiquée. C’était là-bas, dans le fond d’un vallon fraîchement moissonné. Une foule immense semblait s’amasser au loin ; on voyait les gens qui s’agglutinaient par petits groupes multicolores.

Cette multitude donnait au vallon un aspect émouvant qui ressemblait à celui de la galaxie d’Andromède vue dans un petit télescope. David était là quelque part. Vera sentit un frisson, elle savait maintenant comment conclure l’article. Le monde ne serait plus comme avant.

M90 : Une galaxie spirale vidée de son gaz

Les galaxies peuvent perdre presque la totalité de leur gaz par "arrachement", c'est ce que vient de montrer une équipe internationale dirigée par des astrophysiciens français en étudiant la plus grosse galaxie de l'amas de Virgo, NGC 4569 (M90).



NGC 4569, en rouge: les queues de gaz arraché à la galaxie (CFHT)
Il est connu depuis longtemps que les galaxies qui évoluent au sein de gros amas de galaxies subissent les effets gravitationnels de leurs voisines proches ou moins proches. On y trouve par exemple moins de galaxies spirales que de galaxies elliptiques ou lenticulaires, ce qui est dû aux multiples interactions qu'elles subissent, les transformant en cassant leurs beaux bras spiraux, soit par fusions, soit par effets de marée. Les galaxies elliptiques ont la particularité de contenir moins de gaz que les galaxies spirales. Mais les galaxies spirales situées au cœur de denses amas semblent elles-aussi contenir moins de gaz que leur cousines plus isolées, et contiennent donc moins d'étoiles jeunes.
Les mécanismes qui ont été proposés par les astrophysiciens pour expliquer cette raréfaction du gaz dans les galaxies spirales au sein des amas sont d'une part l'effet de marée, et d'autre part le phénomène appelé la "pression dynamique". Cette pression dynamique est la force que ressent le gaz de la galaxie lorsque celle-ci se déplace au sein de l'amas et doit traverser le gaz chaud de ce dernier. Le gaz galactique en rencontrant le gaz de l'amas, subit une force de pression dans la direction opposée au mouvement de la galaxie dans l'amas. Un troisième processus pour expliquer la perte de gaz galactique fait intervenir le noyau des galaxies les plus actives, qui pourrait "souffler" le gaz et l'éjecter dans le milieu intergalactique.

L'équipe dirigée par Alessandro Boselli du Laboratoire d'Astrophysique de Marseille (CNRS/Université Aix-Marseille) a utilisé l'instrument MegaCam installé sur le télescope CFHT (Canada France Hawaï Telescope) à Hawaï pour observer directement du gaz en train de s'échapper d'une galaxie spirale. Ils ont pour cela observé une longueur d'onde spécifique émise par l'hydrogène, la raie Hsur la galaxie NGC 4569 (plus connue des astronomes amateurs sous le nom M90) distante de 60 millions d'années-lumière. Ils observent la présence d'une longue traînée de gaz derrière la galaxie dans le direction opposée à son mouvement au sein de l'amas. Cette queue de gaz fait environ 5 fois le diamètre de la galaxie.
Les chercheurs, par comparaison avec des modèles physico-chimiques d'évolution galactique montrent que le gaz émettant en Ha dans cette queue correspond à une large fraction du gaz qui a été arraché de la galaxie, ce qui indique qu'il a été ionisé au cours du processus d'arrachement. L'équipe de Alessandro Boselli montre enfin que le processus de la pression dynamique semble efficace dans les galaxies massives (plus de 100 milliards de masses solaires en étoiles) situées dans des amas en formation de masse intermédiaire (100 000 milliards de masses solaires).
Cette observation donne la preuve aux astronomes que le mécanisme de la pression dynamique est dominant sur NGC 4569 et qu'il est en train de la vider de tout son gaz. Ils ont en effet évalué la quantité de gaz arraché à la galaxie et arrivent au chiffre de 95%. NGC 4569 ne peut donc presque plus produire de nouvelles étoiles.
Cette observation est importante car elle montre que le processus de la pression dynamique est le processus dominant dans l'arrachement du gaz et donc dans la réduction de l'activité de la formation d'étoiles. Les astrophysiciens avaient plutôt privilégiés jusqu'alors l'effet des noyaux actifs pour jouer ce rôle, ils vont donc devoir ajuster leurs modèles.

Cette belle observation fournit une avancée dans la compréhension des interactions des galaxies au sein des amas et le rôle que joue leur environnement dans leur évolution.

Source : 

Spectacular tails of ionized gas in the Virgo cluster galaxy NGC 4569,
A. Boselli et al.
Astronomy & Astrophysics 587, A68 (2016)

27/02/16

Découverte d'une nouvelle particule exotique à 4 quarks

La collaboration de physique des particules DZero à Fermilab qui exploite les données de l'accélérateur Tevatron (désormais à l'arrêt) vient d'annoncer la découverte d'une toute nouvelle particule encore jamais vue : une particule formée de 4 quarks différents.


 (crédit ; Fermilab)
Les particules composées de quarks sont soit des mésons (formés d'un quark et d'un antiquark) comme les pions ou les kaons, ou soit des baryons (formés d'un mélange de trois quarks et antiquarks) comme les protons et les neutrons. Les physiciens avaient imaginé qu'il pouvait exister des particules plus complexes et exotiques faites d'une paire de quarks supplémentaire. Des indices ont été obtenus l'année dernière sur l'existence d'un pentaquark, une particule comportant 5 quarks. Mais aujourd'hui c'est une particule à 4 quarks qui vient d'être isolée, une nouvelle espèce de particule exotique vivant seulement une fraction de nanosecondes : un tetraquark.

Schéma de la désintégration du tetraquark X(5568) (Fermilab)
Les physiciens de DZero dépouillent des Petaoctets de données acquises il y a déjà plusieurs années entre 2002 et 2011 auprès du grand collisionneur américain Tevatron à Fermilab près de Chicago qui collisionnait des protons et des antiprotons à la recherche de particules exotiques qui se désintègrent notamment en paires de mésons (des mésons Bs et Pi). Le méson Bs se désintègre en mésons J/Psi et Phi, qui a leur tour se désintègrent rapidement en paires de muons/antimuons et Kaon/antiKaon respectivement. C'est par la détection de ces particules secondaires que le méson Bs est clairement identifié. Avec le méson Pi associé, l'état à quatre quarks est trouvé comme étant la seule particule possible pouvant être à leur origine. 
Elle est appelée pour le moment un tetraquark, ou encore X(5568), de par sa masse qui vaut 5568 MeV. Les physiciens de DZero ont produit au total 133 tetraquarks en excès par rapport au bruit de fond dans leurs collisions protons-antiprotons. 
Le fait que le tetraquark X(5568) se désintègre en méson Bs par interaction forte indique un fait étonnant : les quatre quarks et antiquarks qui le composent sont tous de saveur différente ; bottom, strange, up et down. Cela fait de X(5568) une particule vraiment exotique. 

La structure interne de ce tetraquark est encore très mal comprise par les physiciens des particules : les quatre quarks pourraient être liés entre eux de façon très intime ou bien ils pourraient former deux paires de quarks/antiquarks liées entre elles à la manière d'une molécule (à une échelle bien pus petite bien sûr).
Les chercheurs vont maintenant essayer de mesurer les propriétés de cette nouvelle particule exotique et d'autres candidates potentielles, en termes de masse, durée de vie, spin, parité ainsi que leurs probabilités de désintégration en différents états. Ces informations devraient permettre de fournir un éclairage nouveau sur l'interaction forte qui lie les quarks entre eux pour former les particules qui nous constituent.


Source : 

Observation of a new Bs0π± state
D0 Collaboration
soumis à Physical Review Letters


25/02/16

La distance d'une bouffée rapide d'ondes radio déterminée pour la première fois

Pour la première fois depuis leur découverte en 2007, la distance d’une bouffée rapide d’ondes radio (ou FRB, Fast Radio Burst), a enfin pu être déterminée, ouvrant de riches perspectives.



Les FRB sont des très brèves bouffées de rayonnement dans le domaine des ondes radio. Elles ne durent généralement que quelques millisecondes. Les 17 FRB qui ont été découvertes depuis une dizaine d’année se répartissent uniformément dans le ciel. Leur origine est aujourd’hui totalement inconnue et on peut dire que le nombre d’idées émises pour expliquer ce phénomène dépasse le nombre de FRB connues...
Les astrophysiciens dirigés par Evan Keane (Jodrell Bank Observatoy, université de Manchester) qui publient leur observation dans la revue Nature cette semaine ont étudié le signal radio d’une FRB apparue le 18 avril 2015 (et donc appelée FRB 150418), grâce à l’utilisation du radiotélescope australien Parkes dans le programme SUPERB (SUrvey for Pulsars and Extragalactic Radio Bursts).
A gauche : détails de la galaxie elliptique en zooms successifs, où a été trouvée la bouffée rapide radio FRB 150418,
à droite : pic radio détecté par le télescope Parkes (David Kaplan/Etan Keane) 
La bouffée en elle-même n’a duré que 0,8 millisecondes, mais elle a été suivie étrangement par une émission radio évanescente durant quelques jours, qui d’après les chercheurs est liée à la FRB avec une probabilité de 99,8%. Cette émission successive a alors pu être suivie par l’un des nombreux radiotélescopes qui avaient été prévenus de l’apparition de la FRB, le ATCA (Australia Telescope Compact Array)Une fois la source radio localisée et son décalage spectral mesuré, d’autres télescopes observant dans le domaine visible ont été pointés dans cette direction un peu plus tard, notamment le télescope Subaru au Mauna Kea à Hawaï. Ils ont trouvé à cet endroit une galaxie elliptique dont la distance a été à nouveau mesurée par le décalage spectral de sa lumière. Les chercheurs trouvent une distance de 1,9 milliards de parsecs, soit 6,2 milliards d’années-lumière.
C’est la première FRB parmi les 17 connues à ce jour dont nous connaissons la distance. Le fait de connaître sa distance va permettre d’un peu mieux comprendre l’origine de ces mystérieuses bouffées rapides d’ondes radio. Tant qu’on ne connait pas la distance d’une telle source de rayonnement, on ne peut par exemple pas savoir quelle quantité d’énergie a été émise. Parmi les hypothèses imaginées pour expliquer ces FRB, les astrophysiciens ont proposé des événements de fusion d’étoiles à neutrons ou encore d’évaporation de micro trous noirs…

Le radiotélescope australien Parkes (CSIRO) 
Dès la découverte de la première FRB rapportée en 2007 mais qui datait de 2001 (FRB 010724), une dispersion avait était observée dans le signal : le temps d’arrivée dépendait de la fréquence de l’onde électromagnétique : les hautes fréquences arrivaient très légèrement plus tôt au sein de la bouffée que les basses fréquences. Cet effet de dispersion vient de l’absorption de l’onde électromagnétique par la matière intergalactique rencontrée au cours du trajet depuis la source jusqu’à nos radiotélescopes. L’étude de la dispersion spectrale permet alors aux chercheurs d’estimer la quantité de matière rencontrée sur la distance parcourue par la bouffée de rayonnement. On voit que la connaissance précise de la distance nous séparant de la source revêt un caractère crucial ici pour évaluer une densité de matière.

Avec l’étude de la dispersion de FRB 150418 et connaissant sa distance, les chercheurs ont pu établir précisément la densité d’électrons rencontrés par les photons au cours de ce voyage de plus de 6 milliards d’années. Cette bouffée rapide d’ondes radio devient ainsi une sonde cosmologique qui permet de mesurer la quantité de matière baryonique présente dans l’Univers à grande échelle (la matière ordinaire, hors matière sombre). Or un des problèmes actuels rencontrés en astrophysique est le problème dit des « baryons manquants » : une proportion importante de la matière baryonique (plusieurs dizaines de pourcents) qui doit être présente n’est toujours pas bien identifiée, semant le doute sur le modèle cosmologique. Les astrophysiciens estiment qu’elle réside sous la forme de gaz chaud au sein des amas de galaxie et dans de larges filaments reliant les amas de galaxies. Or la valeur déduite grâce au signal de FRB 150418 indique que la matière baryonique sous forme ionisée est bien là dans les bonnes proportions (celles du modèle standard de la cosmologie), pour le volume d’Univers considéré.
Les radiotélescopes ATCA (CSIRO)

La connaissance de la distance permet aussi à Keane et ses collaborateurs d’estimer l’énergie et la puissance émises au cours de cette bouffée rapide d’ondes radios. L’énergie émise vaut 8.1031 Joules, une énergie équivalente à ce que produit le Soleil durant 2 jours, mais ici en moins d’une milliseconde ! La puissance (l’énergie par unité de temps) correspondante vaut 1035 Watts (environ un milliard de fois celle du Soleil).

Cette propriété énergétique de FRB 150418, associée à l’existence de la source radio rémanente ainsi que son origine dans une galaxie elliptique, un type de galaxies peuplées de vieilles étoiles plutôt que de jeunes, amènent  Keane et ses collègues à penser que son origine serait bien la coalescence de deux objets compacts, notamment un couple d’étoiles à neutron.

De telles fusions d’étoiles à neutrons sont théoriquement détectables par leurs ondes gravitationnelles avec LIGO ou VIRGO mais FRB 150418 aurait été inaccessible pour LIGO car étant trop lointaine. D’autres FRB plus proches et  détectées précocement en radio pourraient permettre de valider (ou invalider) l’hypothèse de la coalescence d’étoiles à neutrons, grâce à l’association de la détection d’ondes gravitationnelles en coïncidence. La détection des FRB devrait en effet bientôt faire un bond en avant avec l’arrivée attendue en Chine du radiotélescope Five-hundred-meter Aperture Spherical Telescope de 500 m de diamètre.


Sources :

The host galaxy of a fast radio burst
E. F. Keane et al.
Nature 530, 453–456 (25 February 2016)


Cosmology: Home of a fast radio burst
Duncan Lorimer
Nature 530, 427–428 (25 February 2016)

23/02/16

Le couple de trous noirs de LIGO aurait pu naître au sein d'une seule et même étoile

Le couple de trous noirs détecté par LIGO grâce à ses ondes gravitationnelles aurait pu avoir une origine très particulière: issu d'une seule et même étoile hypermassive. Cette hypothèse fait l'objet d'une publication dans the Astrophysical Journal Letters



Les interprétations commencent à apparaître autour du couple de trous noirs d'une trentaine de masses solaires observé par LIGO et qui a formé l'événement gravitationnel GW150914. L'interprétation publiée aujourd'hui est issue d'une observation par le télescope gamma Fermi-LAT. Fermi-LAT a en effet détecté une bouffée de rayons gamma 0,4 seconde après l’événement détecté par LIGO qui a duré environ 1 seconde, et situé dans une région du ciel compatible avec la direction déterminée grossièrement par LIGO. Alors que lors de la fusion de deux trous noirs isolés on ne s'attend pas à voir un rayonnement gamma accompagnant le phénomène,  l'astrophysicien américain Abraham Loeb propose un cas où les deux événements peuvent avoir lieu simultanément. Il s'agit du cas d'une étoile hypermassive en fin de vie qui s'effondre pour former un trou noir. Et Abraham Loeb (Harvard Smithonian Center for Astrophysics) utilise volontiers l'image d'une femme enceinte de jumeaux. Il montre qu'une supernova produite par ce type d'étoile aurait pu engendrer non pas un seul trou noir mais deux. Un tel processus est théoriquement possible dans un cas très particulier : si l'étoile qui s'effondre possédait une très grande vitesse de rotation. Dans ce cas, le cœur de l'étoile peut prendre la forme d'une haltère et finir par se fragmenter rapidement en deux morceaux de masse semblable au cours de l'effondrement, qui forment alors irrémédiablement deux trous noirs quasi identiques très rapprochés l'un de l'autre (cohérent avec les déductions des données de LIGO).

Vue d'artiste du couples d'étoiles massives MY Cameleopardis (38 et 32 masses
solaires respectivement, orbitant l'une autour de l'autre en 1,2 jours)
similaire au système qui aurait pu donner naissance finalement à GW150914
(Javier Lorenzo, Universidad de Alicante)
Les étoiles qui montrent des rotations extrêmes sont le plus souvent des étoiles résultant de la fusion de deux étoiles plus petites. Comme les deux étoiles auraient spiralé l'une vers l'autre de plus en plus vite avant de fusionner, l'étoile résultante aurait récupéré toute l'énergie de rotation du système (le moment cinétique). Pour que le cœur de cette étoile énorme fasse au moins 65 masses solaires (la somme des masses des deux trous noirs), l'étoile entière aurait dû faire plus de 100 masses solaires. Ce type d'événement de fusion d'étoiles générant des étoiles hypermassives peut se rencontrer au sein d'amas d'étoiles jeunes et denses.  

Les deux trous noirs qui se seraient formés au cours de l'explosion de cette étoile en rotation rapide n'auraient été séparés que par une distance très faible, estimée par l'astrophysicien américain à environ le diamètre de la Terre seulement. Ils auraient alors très vite fusionnés à leur tour en quelques minutes, fournissant le beau signal gravitationnel désormais mondialement connu.
Le nouveau trou noir issu de la fusion aurait absorbé ensuite du gaz résiduel de l'étoile à raison d'une masse solaire par seconde en produisant un jet de matière le long de son axe de rotation créant alors indirectement la bouffée de rayons gamma observée. Le télescope Fermi a détecté cette bouffée de rayons gamma juste 0,4 secondes après les ondes gravitationnelles GW150914 dans LIGO avec une probabilité de fausse alarme de 0,22%. Malheureusement, un autre télescope gamma, l'européen INTEGRAL, n'a pas enregistré de signal au même moment et ne confirme pas la bouffée de Fermi-LAT.

Même si cette explication n'est pas la bonne en réalité pour GW 150914, il n'en reste pas moins qu'elle est tout à fait plausible sur l'objet considéré comme hypothèse ici, et l'observation future de bouffées de rayons gamma en coïncidence avec des ondes gravitationnelles sur un seul et même événement astrophysique pourrait permettre d'évaluer la distance de l'événement par le décalage spectral de la lumière en même temps que directement à l'aide de l'amplitude des ondes gravitationnelles. Cela permettrait une nouvelle approche pour une mesure précise des distances cosmologiques en fonction du redshift.


Source : 

Electromagnetic Counterparts to Black Hole Mergers Detected by LIGO
Abraham Loeb (Harvard)
accepté pour publication par Astrophysical Journal Letters

22/02/16

Les étoiles binaires peuvent fournir les photons manquants pour la réionisation de l'Univers

Une nouvelle étude vient de trouver une explication pour la réionisation de l'Univers. Le modèle était semble-t-il trop simpliste, il fallait y intégrer que les premières étoiles étaient le plus souvent formées en couples, et ça change tout. 



Les premières étoiles sont nées environ 200 à 300 millions d'années après la singularité initiale dans un Univers sombre peuplé de gaz neutre. C'est le rayonnement de ces premières étoiles dans les toutes premières galaxies, qui a réionisé le milieu intergalactique pour former le milieu que nous connaissons aujourd'hui, un Univers peuplé d'hydrogène ionisé transparent à la lumière, là où il n'est pas "vide". Depuis que les chercheurs ont compris ce mécanisme, il subsistait un gros problème vis à vis du modèle théorique élaboré : il n'y avait visiblement pas assez d'étoiles primordiales ou en tout cas pas suffisamment de rayonnement UV susceptible de pouvoir sortir des galaxies pour avoir ionisé la totalité de l'Univers 800 millions d'années après la singularité. 

Exemple de système binaire
(J. Maiz Apellaniz, IAA/NASA/ESA/STScI/Science Photo Library).
Les modèles des galaxies jeunes, associés à des observations de galaxies proches, indiquaient que la fraction de photons UV s'échappant des galaxies n'était que de l'ordre de 1% (les 99 autres pourcents ne parvenant pas à sortir du gaz neutre galactique) alors qu'il faudrait qu'elle soit de 20% pour expliquer la complète réionisation du milieu intergalactique.
Les astrophysiciens pensaient que le déficit observé provenait du fait que les étoiles primordiales à l'origine de ce rayonnement ionisant sont des étoiles massives qui ne vivent donc pas longtemps. Elles n'auraient alors pas le temps de produire suffisamment de lumière UV qui parviendrait à transpercer le gaz de leur galaxie hôte et permettre ensuite à d'autres photons UV ultérieurs de pouvoir sortir aisément de la galaxie. 
Mais les chercheurs américains emmené par Xiangcheng Ma (California Institute of Technology) viennent de redécouvrir un élément connu mais qui se trouve finalement avoir des implications importantes vis à vis du rayonnement ionisant : les premières étoiles se formaient pour la majorité d'entre elles en couples. Or, depuis la construction des premiers modèles de réionisation par ces étoiles primordiales, l'existence de couples d'étoiles n'avait pas été pris en compte à cause de la complexité accrue que cela induisait pour les évaluations.

Quand ils reprennent les calculs cette fois-ci en considérant l'effet des étoiles binaires, les astrophysiciens obtiennent une fraction d'échappement de la lumière UV d'environ 20% : exactement ce qu'il faut pour expliquer le processus de réionisation!  
Le phénomène qui a lieu est qu'une étoile possédant une compagne peut lui accaparer de la matière lorsqu'elle est très proche d'elle, et cela a pour effet d'allonger la durée de vie de cette compagne devenue plus légère. Cette dernière peut alors émettre beaucoup plus de rayonnement UV ionisant, sur une plus longue durée. Pour arriver à ces résultats, les astrophysiciens ont simulé la vie d'une galaxie primordiale à partir de nos meilleures connaissances théoriques sur les étoiles qui s'y formaient.

Cette étude vient donc potentiellement clore le problème sur le plan du modèle théorique, reste maintenant à pouvoir mesurer directement, par l'observation, ces émissions ionisantes des galaxies primordiales. Une quête bien plus difficile encore à laquelle le télescope Webb devrait s'attaquer dès son lancement dans deux ans.

Source : 

Binary Stars Can Provide the "Missing Photons" Needed for Reionization
Xiangcheng Ma et al.
Soumis à Monthly Notices of the Royal Astronomical Society Letters
http://arxiv.org/abs/1601.07559