19/03/12

Les Chinois en Tête dans la Course aux Neutrinos !

Les chinois sont désormais parmi les meilleurs dans la course aux neutrinos. Il n'a fallu aux physiciens chinois que 55 jours pour produire une mesure très précise d'un des 5 paramètres fondamentaux régissant l'oscillation des neutrinos, savoir l'angle de mélange dénommé théta 13.
Jusqu'à présent, on connaissait relativement bien 4 de ces 5 paramètres, les deux écarts de masse entre les trois saveurs et deux des trois angles de mélange (paramètres qui décrivent comment se mélangent les différents neutrinos). Il restait à mesurer le plus précisément possible ce dernier théta 13. Plusieurs expériences dans le monde sont dans la course, que ce soit auprès de réacteurs comme l'expérience Double Chooz en France ou RENO en Corée du Sud, ou bien en utilisant des faisceaux de neutrinos comme T2K au Japon, ou MINOS aux Etats-Unis.

site de la centrale nucléaire de Daya Bay.
Mais grâce à leurs détecteurs plusieurs fois plus imposants que ceux de leurs concurrents (100 tonnes) et un bon flux d'antineutrinos électroniques produit par six réacteurs de près de 3 GW, les physiciens chinois de Daya Bay ont pu mesurer l'angle théta 13 avec une bonne précision en moins de deux mois et trouvent une valeur de 8.8° +- 0.8. Les expériences concurrentes n'avaient jamais pu atteindre une précision aussi bonne.
Cette mesure consiste à mesurer le flux d'antineutrinos qui sort des réacteurs nucléaires à deux ou plus différentes distances. La différence de flux mesurée entre les deux localisations des détecteurs donne très directement une valeur de l'angle de mélange recherché.
L'élément clé qui a permis aux chercheurs chinois de doubler leurs concurrents sur le fil est sans conteste la taille de leurs détecteurs. Un mois de prise de données à Daya Bay correspond à 4 mois à Double Chooz, par exemple. Il se trouve aussi que l'expérience T2K japonaise a dû être brutalement interrompue le 11 mars 2011 du fait du terrible  tremblement de terre/tsunami. S'il n'avait pas eu lieu, les japonais auraient atteint aujourd'hui cette même précision.
Détecteurs utilisés à Daya Bay
Le fait que théta 13 ne soit pas égal à zéro est très encourageant pour la suite des événements. En effet, cela rend possible les recherches pour savoir si les neutrinos et les antineutrinos oscillent de la même manière. Ce comportement potentiellement différent entre particules et antiparticules leptoniques est crucial. Il est dénommé dans le jargon la violation de parité CP. Et si elle est avérée, cette violation de CP dans le secteur leptonique pourrait permettre de comprendre l'asymétrie semblant exister entre matière et antimatière dans l'Univers. C'est donc un résultat avec des implications non négligeables.
La Chine joue désormais dans la cour des grands en physique des particules. Et c'est un juste retour des investissements consentis par le gouvernement chinois qui n'a pas hésité à inciter fortement ces scientifiques de haut niveau émigrés aux Etats-Unis notamment de revenir travailler en Chine, en finançant aisément les recherches. L'expérience de Daya Bay a coûté environ 35 millions de dollars, dont les deux-tiers payés par la Chine, le restant l'étant par une collaboration de plusieurs pays (Etat-Unis, Russie, Taiwan, Rép. Tchèque).
Les quatre années qui viennent à Daya Bay vont être consacrées à mesurer encore avec plus de précision les paramètres du neutrino. Suite à cette phase, de nouveaux détecteurs devraient être positionnés à 60 kilomètres des réacteurs, pour cette fois-ci permettre de déterminer la hiérarchie des masses des trois neutrinos, qui est encore inconnue aujourd'hui.
Les chinois seront là encore en concurrence avec les japonais (T2K) et les américains (NoVA), mais l'expérience acquise et leur détermination semble d'ores et déjà  leur donner des ailes, pour le plus grand bénéfice de la science...


Source : Science 16 March 2012  Vol. 335 no. 6074 pp. 1287-1288

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