Vingt-huit.
C’est le nombre de neutrinos de très haute énergie qui viennent d’être
identifiés avec certitude comme provenant d’au-delà du système solaire, et même
de notre galaxie. La revue Science met cette semaine à l’honneur le travail de
la collaboration IceCube sur sa Une.
Vous vous souvenez sans doute que je vous
avais parlé de deux neutrinos ultra énergétiques, surnommées Bert et Ernie par
les physiciens de IceCube, qui montraient une énergie de plus de 1000 TeV. Ils
ont donc 26 petits frères, un peu moins énergétiques, mais tous au-dessus de 30
TeV, et dont 9 au-dessus de 100 TeV.
Ce
résultat est issu de l’analyse de données prises entre mai 2010 et mai 2012,
pour un total de 662 jours de comptage.
Première carte du ciel en Neutrinos (IceCube Collaboration), imageant la probabilité de provenance des 28 neutrinos détectés. |
Au
vu de leurs caractéristiques, notamment leur énergie, leur direction et leur
saveur, les physiciens peuvent affirmer que ces neutrinos n’ont pas une origine
terrestre, c’est-à-dire atmosphérique (de nombreux neutrinos sont produits par
des rayons cosmiques dans la haute atmosphère). Ils ne viennent pas non plus du
soleil, qui en produit des milliards chaque seconde. Non, ceux-là viennent
vraiment de très très loin. Pour établir cette affirmation, les physiciens de
IceCube dans leur article montrent comment ils ont tenté d’expliquer les
observations par toutes les hypothèses possibles. Et seule l’hypothèse
extragalactique survit.
Les
mécanismes de production de tels neutrinos sont aujourd’hui estimés être liés
aux rayons cosmiques de très haute énergie (des protons ou des noyaux légers),
ayant subi des accélérations lors d’événements violents (supernovae, trous
noirs, …). Ces particules très énergétiques interagissent alors dans le milieu
galactique ou intergalactique (sur du gaz ou même la lumière de fond) et
peuvent créer des particules, des mésons, qu’on appelle des pions et des kaons.
Ces pions ou kaons se désintègrent ensuite rapidement en produisant notamment
des neutrinos, qui auront une énergie proportionnelle à celle des protons
initiaux.
La
collaboration IceCube rassemble plus de 250 physiciens ingénieurs et techniciens
de 12 pays. Le détecteur, si on peut parler d’un seul détecteur, est constitué
de centaines de photomultiplicateurs (détecteurs de lumière) enfouis dans les
profondeurs de la glace antarctique, couvrant un volume total d’environ 1 km3.
Les
neutrinos interagissent avec les atomes d’eau solide et produisent alors des
particules chargées secondaires, qui vont à leur tour produire de la lumière
par l’effet Tcherenkov (quand une particule électriquement chargée va plus vite
que la vitesse de la lumière dans le milieu de propagation). C’est cette
lumière qui est détectée et mesurée : l’intensité lumineuse indique
l’énergie du neutrino incident, tandis que la répartition spatiale selon les
différents photomultiplicateurs donne une indication sur la direction de la
particule initiale.
En
fait, les neutrinos ultra énergétiques recherchés peuvent produire deux types
de particules secondaires : soit une cascade de plusieurs particules
chargées (électrons, positrons, …), soit un muon. Les modèles théoriques disent
qu’il devrait y avoir production de muon dans un tiers des cas. Et, comme
l’observation d’un muon permet de reconstruire la trajectoire du neutrino
incident avec une grande précision angulaire, de l’ordre du degré, les
physiciens se sont focalisés sur cette méthode de détection, dans le but avoué
de pouvoir déterminer la position dans le ciel de ces neutrinos hors normes, et
donc indirectement mieux comprendre les mécanismes d’accélération des protons
et des noyaux légers extragalactiques.
Là
où il y a quelque chose qui cloche (il y a toujours quelque chose qui cloche
avec les neutrinos, c’est pour ça qu’on les aime), c’est que les physiciens de
IceCube ne voyaient aucun événement ultra-énergétique de cette façon (en
cherchant les muons). En revanche, en ajoutant les événements de type
« cascades » dans leurs analyses des données, les neutrinos
extra-galactique sont apparus… Mais le revers de la médaille est qu’on a
beaucoup plus de mal à déterminer une position précise dans le ciel pour leur
origine. Leur nombre très réduit ne permet pas non plus de s’avancer sur une
source définie. Evidemment, ce n’est pas avec un seul photon que l’on pourrait
dire qu’il y a une galaxie dans sa direction… et c’est pareil pour les
neutrinos.
L’enjeu
est maintenant de pouvoir observer de nouveaux neutrinos ultra énergétiques avec la signature
muon, et surtout, voir plus grand, toujours plus grand, puisqu’ici le volume de
détection est un paramètre fondamental pour augmenter le nombre de candidats
pouvant prétendre participer à la naissance de l’astrophysique des neutrinos...
Référence :
Evidence for High-Energy Extraterrestrial Neutrinos at the IceCube
Detector
Science: Vol. 342 no. 6161
(22 Novembre 2013)
IceCube Collaboration
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