Le grossissement des étoiles lors de leur formation est un peu mieux compris grâce à l'observation rare d'un disque en forme de spirales autour d'une étoile massive naissante. Cette découverte suggère que les étoiles massives grossissent par à-coups. Une étude publiée dans Nature Astronomy.
C'est une étoile en cours de formation mais qui pèse déjà 12 masses solaires que Xi Chen (Université de GuangZhou) et ses collaborateurs ont étudiée dans le domaine des ondes radio en mesurant des raies d'émission de type maser correspondant à trois molécules : HDO, HNCO et 13CH3OH. L'étoile en question est nommée G358-MM1 et se trouve à 22000 années-lumière. Elle a été observée avec le radiotélescope chinois de 65 mètres Tianma Radio Telescope (TMRT) et avec l'américain Karl Jansky Very Large Array (VLA). L'imagerie des émissions radio des molécules caractéristiques permet aux astrophysiciens de déterminer la présence de sous-structures en forme de spirales dans le disque d'accrétion entourant la toute jeune étoile. Des simulations numériques avaient déjà prédit que de telles sous-structures pouvaient être produites dans un disque instable gravitationnellement autour d'une étoile jeune de grande masse. Et des observations à haute résolution effectuées avec ALMA avaient également montré la présence de telles spirales. Une bouffée d'accrétion, qui est la manifestation d'une brutale augmentation du taux d'accrétion induite par une instabilité gravitationnelle dans le disque, peut se traduire par une brusque augmentation de luminosité. Mais jusqu'à aujourd'hui, le lien entre ces bouffées d'accrétion et la présence de sous-structure dans le disque n'avait jamais pu être mise clairement en évidence. C'est désormais chose faite avec cette observation de structures spirales via des raies d'émission spécifiques qui disparaissent très vite, au bout d'un mois environ. Xi Chen et ses collaborateurs relient cette émission transitoire à un phénomène de bouffée d'accrétion.
Les chercheurs montrent que les spirales observées, en coïncidence avec une augmentation transitoire de luminosité sont le signe d'une instabilité temporaire du disque d'accrétion autour de l'étoile. Le disque d'accrétion fait de gaz et de poussière se désintègre par morceaux compacts qui viennent nourrir l'étoile en formation. Les spécialistes avaient prédit depuis longtemps le phénomène d'accrétion de matière au sein d'un disque épais, avec du gaz frais venant remplir en continu le disque depuis l'extérieur, le faisant grossir lui aussi. Celui entourant G358-MM1 a un diamètre de 1340 Unités astronomiques. Mais l'effet gravitationnel de l'étoile centrale n'est que secondaire, c'est l'effet gravitationnel du disque lui-même qui affecte sa stabilité, causant des mouvements de matière spécifiques menant à l'apparition de spirales. Une autre conséquence de cette instabilité gravitationnelle est l'apparition de morceaux compacts de gaz et de poussière, qui vont survivre à leur chute vers l'étoile naissante malgré l'énorme pression de radiation qu'elle exerce. Xi et ses collaborateurs en concluent que les étoiles massives en cours d'accrétion au sein d'un disque de gaz et de poussière grossissent par à-coups, en absorbant la matière par paquets, ce qui a pour effet de produire des sursauts de luminosité transitoires. Mais ces bouffées de luminosité sont très difficiles à observer car l'étoile est engoncée dans un disque souvent très épais. La technique employant la détection de l'émission maser de certaines molécules contenues dans le disque d'accrétion apparaît plus simple et plus efficace pour tracer ce qui se passe autour d'une telle étoile massive naissante.
A partir de la position et de l'information sur la vitesse obtenue par l'analyse spectroscopique des raies maser (qui est on le rappelle l'équivalent du laser mais en ondes radio au lieu des longueurs d'onde visibles), Xi et ses collaborateurs ont non seulement pu modéliser correctement le forme des structures spirales du disque d'accrétion, mais ils ont aussi pu déterminer le flux de matière qui existe le long des bras spiraux, des régions extérieures vers l'intérieur, avant de nourrir l'étoile.
G358-MM1 est la première proto-étoile massive dont la soudaine augmentation de luminosité coïncide clairement avec la formation de spirales, signe d'une instabilité gravitationnelle du disque. Le lien peut alors être établi, avec l'appui de modèles théoriques, entre la variation de luminosité et l'accrétion de paquets de matière compacts produits par ces instabilités internes. Les astrophysiciens concluent que l'accrétion conduite par les propriétés physiques du disque de gaz et de poussière doit être un mécanisme commun à la formation des étoiles, qu'elles soient de grande masse ou de faible masse. Reste un petit mystère : la nature des molécules détectées par leur émission maser : de l'eau lourde (HDO) comportant du deutérium (isotope lourd de l'hydrogène) et de l'éthanol comportant l'isotope 13 du carbone (un neutron supplémentaire) ... les chercheurs ne savent pas (encore) pourquoi ce sont ces molécules très particulières qui sont excitées dans ce disque d'accrétion.
Source
New maser species tracing spiral-arm accretion flows in a high-mass young stellar object
Xi Chen et al.
Nature Astronomy (2020)
https://doi.org/10.1038/s41550-020-1144-x
Illustrations
1) Vue d'artiste de la proto-étoile massive G358-MM1 et la structure spirale de son disque d'accrétion observée par son émission maser (Xi Chen (Guangzhou University, China) et Zhi-Yuan Ren (National Astronomical Observatories, Chinese Academy of Science, Beijing, China)
2) Reconstruction de la forme des bras spiraux de G358-MM1 à partir des données d'émission maser (Xi et al.)
2 commentaires :
Bonjour,
Il me semble qu'il s'agit du méthanol et non de l'éthanol comme vous l'indiquez en fin d'article.
Bonjour,
Instabilité gravitationnelle d'un disque d’accrétion massif, avec structures spirales et bouffées d’accrétion semblent être assez génériques des étoiles en formation, y compris de faible masse, comme en témoigne le cas de RU Lupi : T Tauri de 0.7 Mo à 400 AL, on lui connaissait par ALMA un disque compact de gaz+poussières de R=120 ua avec des anneaux et des lacunes témoignant d'une probable formation planétaire. Des observations plus récentes avec ALMA ont montré des structures gazeuses plus externes révélées par des raies du CO, en particulier des bras spiraux s'étendant jusqu'à 1000 ua du centre. Les mécanismes évoqués sont : la gravité propre du disque massif, l’accrétion de matériau interstellaire, la perturbation par une autre étoile proche. Cf J. Huang et Al., the astrophysical journal. https://arxiv.org/abs/2007.02974
Le taux d’accrétion élevé et la variabilité photométrique de RU Lupi amène à le rapprocher des systèmes FU Orionis (T Tauri à forte variabilité spectrale et photométrique par bouffées d'accrétion), et donc aussi de G 358-MM1, avec des échelles spatiales comparables malgré des masses stellaires très différentes.
Personnellement, je trouve fascinant la similitude des structures d'accrétion (disques, jets, spirales) à des échelles aussi différentes, des petites étoiles aux grandes galaxies en passant par les AGN.
@ Julien : éthanol ou méthanol, qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse des profondeurs de l'espace !
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