Claudio Ricci (Universidad Diego Portales, Chili) et ses collaborateurs n'en croyaient pas leurs yeux lorsqu'ils ont vu disparaître littéralement la source de rayons X associée au noyau actif de la galaxie 1ES 1927+65, puis réapparaître environ 300 jours plus tard. Il faut dire que les astrophysiciens ont eu beaucoup de chance d'avoir pu être les témoins de ce phénomène. Tout a commencé en mars 2018 lorsque le télescope du All-Sky Automated Survey for Super-Novae (ASSASN), dédié à la détection des supernovas, a enregistré une forte augmentation de luminosité de la galaxie à noyau actif 1ES 1927+65 dans le domaine visible et UV, une augmentation d'un facteur 40. Une telle augmentation de luminosité est quelque chose de commun pour un noyau actif de galaxie, mais il a tout de même attiré l'attention de Claudio Ricci et de plusieurs autres astrophysiciens, à tel point qu'ils sont parvenus à mobiliser de nombreux télescopes à rayons X pour essayer de suivre ce qui allait se passer dans ce domaine de longueurs d'ondes après le sursaut d'activité dans le visible.
Peu de temps après avoir commencé à suivre le rayonnement X provenant du voisinage proche du trou noir supermassif de la galaxie, le rayonnement issu de la "couronne" du trou noir, la zone située juste au dessus de son pôle, et qui et étroitement associé au disque d'accrétion qui l'entoure et aux champs magnétiques qu'il génère, Ricci et ses collaborateurs ont observé une brutale chute de la luminosité X : une chute d'un facteur 100 en l'espace de seulement 8 heures... Du jamais vu! Le suivi dans le temps devenu très vite passionnant, a fini par montrer une quasi totale extinction de la source de rayons X, avec une baisse de luminosité X d'un facteur 10 000 en seulement 100 jours... Les chercheurs ont notamment exploité le télescope NICER positionné à bord de l'ISS pour suivre l'évolution du flux de rayons X quotidiennement, ainsi que les télescopes spatiaux XMM-Newton, NuSTAR et Swift, plus sporadiquement mais sur une longue période de plus d'un an.
La couronne du trou noir supermassif semblait avoir complètement disparu. Or on estime que la couronne d'un trou noir supermassif, communément présente dans les noyaux actifs de galaxies, est produite lorsque des particules chargées sont piégées et accélérées localement dans des boucles de reconnexions de champ magnétique au dessus du pôle du trou noir. Ces reconnexions de lignes de champ magnétique apparaissent après qu'elles ont été distordues et brisées par l'effet de la rotation très rapide du disque d'accrétion du trou noir au plus près de l'horizon des événements. La disparition de cette couronne émettrice de rayons X énergétique doit donc être directement liée à la zone la plus interne du disque d'accrétion du trou noir selon les chercheurs. Si elle a disparu soudainement, c'est donc le signe qu'il s'est produit quelque chose dans la zone interne du disque d'accrétion du trou noir... C'est ce raisonnement qui amène Ricci et ses collaborateurs à proposer une hypothèse très intéressante pour expliquer le phénomène : une étoile aurait pu avoir été disloquée par le trou noir par effet de marée gravitationnelle, et ses débris auraient eu pour effet de "creuser" le disque d'accrétion de gaz dans sa région interne, la plus proche de l'horizon des événements. L'interstice créé ainsi dans le disque d'accrétion aurait suffit pour éteindre complètement les lignes de champ magnétique et donc la couronne du trou noir.
Ce qui a mené les astrophysiciens sur cette piste audacieuse, c'est simplement la forte hausse de luminosité dans le visible qui avait été observée au départ par ASSASN. Elle apparaît en effet tout à fait cohérente avec une destruction maréale d'étoile par un trou noir supermassif de 1 million de masses solaires d'après Ricci et ses collaborateurs. Cette dislocation aurait déstabilisé suffisamment la région interne du disque d'accrétion pour y créer l'interstice suffisant pour modifier fortement la forme globale du champ magnétique généré par le disque d'accrétion autour du trou noir.
Les chercheurs calculent ensuite à partir de cette hypothèse quelle doit être la distance séparant la couronne du trou noir, à partir de l'estimation des autres paramètres en jeu comme la masse du trou noir (1 million de masses solaires) et la distance maximale pour produire une destruction d'étoile avec cette masse. Le résultat est 4 minutes lumière, soit à peine 75 millions de km du centre du trou noir. Ce résultat est le plus précis concernant les caractéristiques de la couronne des trous noirs supermassifs.
Depuis, la couronne du trou noir de 1ES 1927+65 est réapparue, même si elle est moins lumineuse en rayons X qu'avant sa brutale disparition. Ricci et ses collaborateurs ont tout de même décidé de continuer à suivre l'évolution de cette source qui pourrait d'après eux encore montrer des surprises...
Source
The Destruction and Recreation of the X-Ray Corona in a Changing-look Active Galactic Nucleus
C. Ricci et al.
The Astrophysical Journal Letters 898, L1 (16 july 2020)
https://doi.org/10.3847/2041-8213/ab91a1
Illustration
Vue d'artiste du phénomène proposé par Ricci et al. pour expliquer la disparition brutale de la couronne du trou noir de 1ES 1927+65 (NASA / JPL-Caltech.)
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