samedi 29 août 2020

Aux sources de l'eau terrestre


L'origine de l'eau que l'on trouve sur Terre a été un long sujet de débat parmi les scientifiques. D'après les modèles de formation du système solaire, la Terre, en tant que planète interne du système, ne devrait pas posséder d'eau. C'est donc un scénario impliquant l'apport d'eau par des corps externes (comètes) qui est privilégié, avec l'arrivée d'un bombardement de corps glacés, et le besoin d'expliquer une telle perturbation. Mais une nouvelle étude effectuée par des chercheurs français vient remettre ce scénario en cause : finalement les roches du système solaire interne contiendraient largement suffisamment d'eau pour expliquer la teneur de notre planète. Une étude parue cette semaine dans Science.


Laurette Piani (Universté de Lorraine/CNRS) et ses collègues français ont étudié la composition isotopique de météorites particulières qu'on appelle des chondrites à enstatite, des météorites pauvres en métaux lourds et riches en silicates. L’enstatite est un minéral du groupe des silicates qui est classé dans la famille des pyroxènes, contenant aussi du magnésium, de formule générale Mg₂Si₂O₆ mais pouvant contenir des traces d'éléments comme le fer, le calcium, le sodium, l'azote ou le nickel. Comme les chondrites à enstatite ont une composition isotopique similaire à celle des roches terrestres, on estime qu'elles sont représentatives des matériaux qui ont formé la Terre il y a 4,57 milliards d'années. Et les chondrites à enstatite étaient présumées être dénuées d'eau du fait qu'elles se sont formées dans la région interne du système solaire, à contrario des chondrites carbonées, formées dans les régions externes du système solaire riches en eau (glace).
En effet, les modèles de formation planétaire prédisent que le gaz de la nébuleuse protoplanétaire était trop chaud à proximité du jeune soleil pour former de la glace. L'eau sous forme de vapeur n'aurait pas pu s'incorporer dans les roches qui ont formé les planètes internes Mercure, Vénus, Terre et Mars. Dans ce modèle, seules les planètes externes à partir de Jupiter peuvent contenir de grandes quantité d'eau et autres volatiles car elles se seraient formées au delà de la "snow line", cette frontière virtuelle séparant la vapeur et la glace dans la nébuleuse protoplanétaire. 
Or la Terre contient de l'eau non seulement dans ses océans et son atmosphère, mais aussi l'équivalent de plusieurs océans à l'intérieur de sa croûte rocheuse. 

Mais Piani et ses collègues du Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques à Nancy montrent dans leur étude que les météorites de type chondrites à enstatite contiennent en fait suffisamment d'hydrogène pour produire trois fois le volume d'eau de nos océans. Ils montrent que le ratio isotopique D/H des chondrites à enstatite ainsi que la composition des isotopes de l'azote correspondent parfaitement à celles de la croûte terrestre. 
Les chercheurs ont mesuré les abondances et les ratios isotopiques à l'aide de spectromètres de masse sur 13 météorites de type chondrites à enstatite qui représentent tous les degrés de métamorphisme thermique. Ils ont étudié ces différentes sous-catégories pour évaluer les effets potentiels des interactions entre le corps parent (l'astéroide) et la météorite, des effets qui auraient pu altérer la teneur originelle en eau et la composition isotopique de l'hydrogène.

Il n'y aurait plus besoin de faire appel à un hypothétique bombardement massif de météorites carbonées et autres comètes venant du fin fond du système solaire pour expliquer la présence d'eau dans la manteau terrestre. La Terre aurait acquis son eau dès le début de sa formation, au moment de l'accrétion.
Ce scénario du bombardement apparaissant après la formation de la plus grande partie de la Terre était rendu nécessaire pour pallier le fait que les chondrites carbonées (riches en eau) ont une composition isotopique très différente de celle de la Terre et donc ne pouvaient pas en être les briques formatrices.
Un tel bombardement météoritique n'aurait pu avoir lieu que via une forte perturbation gravitationnelle comme une migration importante de Jupiter à travers le système solaire.
Le nouveau scénario de Piani et ses collaborateurs à l'avantage d'être beaucoup plus simple. En revanche, il ne donne pas de contraintes temporelles pour l'incorporation de l'eau dans la croûte terrestre. Si des événements de dégazage massif avaient eu lieu au début de l'histoire de notre planète, provoqués par exemple par l'apparition d'océans de magma ou là encore par un bombardement intense de météorites, ce scénario serait affaibli. 
Concernant la composition des océans de surface et de l'atmosphère de la Terre, Pianni et ses collègues indiquent que les chondrites à enstatite ne peuvent néanmoins pas l'expliquer à elles seules. Car les océans et l'atmosphère sont un peu plus riches en deutérium et en azote-15 que la croûte (et que les chondrites à enstatite donc...). Un tel enrichissement ne peut pas être expliqué par un échappement atmosphérique non plus, une idée qui avait avancée. Mais ce léger enrichissement isotopique est correctement reproduit en considérant un mélange de chondrites à enstatites et de chondrite carbonées, selon les chercheurs. En se fondant sur les compositions isotopiques et l'abondance en hydrogène, ils calculent pour le réservoir d'eau de surface une contribution de 4% de chondrites carbonées, qui monte à 15% en regardant les données de l'azote. L'apport externe en eau aurait donc eu lieu, mais à beaucoup moins grande échelle que ce que l'on pensait.
Pianni et ses collaborateurs ne peuvent pas fixer une date pour l'apport des chondrites carbonées sur Terre mais ils estiment qu'il doit nécessairement être tardif dans la phase de formation de notre planète, pour éviter de mener à une homogénéisation isotopique entre la surface et le manteau terrestre.

Il est à noter que des scénarios alternatifs sont toujours en embuscade, comme ceux invoquant la rétention d'eau dans les briques des planètes rocheuses : adsorption de surface sur les condensats de la nébuleuse ou rétention de vapeur autour des embryons de planètes, voire celui carrément d'une migration de la "snow line" à la faveur d'une variation importante de l'activité du Soleil... Le scénario de Pianni et ses collègues a pour lui la simplicité et une certaine élégance.


Source

Earth’s water may have been inherited from material similar to enstatite chondrite meteorites
L. Piani et al.,
Science 369, 1110–1113 (28 august 2020)

Illustration

Schéma de la répartition des types de chondrites dans le proto-système solaire : 1 = chondrite à enstatite; 2 : chondrites carbonées (Science)

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