La forme des ondes gravitationnelles détectées encode non seulement la distance à laquelle l'événement a eu lieu mais aussi les propriétés dynamiques du système, incluant sa géométrie orbitale et les propriétés des deux trous noirs, notamment leur masse et leur rotation. Jusqu'à présent, la plupart des détections de fusion de trous noir impliquaient un rapport de masse entre les deux composantes inférieur à 2. Dans de tels systèmes gravitationnels quasi symétriques, la Relativité Générale indique que le signal des ondes gravitationnelles est dominé par une seule fréquence, la seconde harmonique de la fréquence orbitale du système binaire. Par ailleurs, seules deux détections (GW151226 et GW170729) avaient conclu à une valeur de spin effectif du système non nul (la somme, pondérée par la masse de chacun, de la composante de spin ((la rotation) ) orthogonale au plan orbital).
Une valeur nulle dans le cas d'un système symétrique signifie que les deux trous noirs n'ont pas de rotation ou bien qu'ils tournent dans des sens opposés. Une valeur non-nulle du spin effectif affecte significativement la dynamique de la fusion du couple et peut être mesurée de cette manière.
Les masses en jeu de ces deux trous noirs valent exactement 30,1 et 8,3 masses solaires, avec la production d'un trou noir de 37,3 masses solaires. La quantité d'énergie emportée par les ondes gravitationnelles lors de la coalescence vaut donc un peu plus que la masse du Soleil (1,1 masses solaires) et ce en moins d'une seconde !
Concernant les paramètres de rotation déduits de GW190412, ce train d'ondes gravitationnelles très particulier permet aux chercheurs de déterminer le spin du plus gros trou noir avec la meilleure précision jamais atteinte : son horizon des événements tournait à 44% de la vitesse de la lumière. Et le spin effectif du couple était non nul, c'est donc le troisième couple de trous noirs dans ce cas. L'analyse fine du signal gravitationnel montre également un effet très difficile à observer : une légère précession des spins, suggérant que les axes de rotation des deux trous noirs n'étaient pas alignés l'un par rapport à l'autre. Ce désalignement des axes de rotation pourrait signifier, selon les chercheurs de LIGO et Virgo, que le duo ne vient pas d'un ancien couple d'étoiles, mais que l'un des deux pourrait être le produit d'une fusion de trous noirs antérieure (le plus gros des deux).
En accord avec la théorie d'Einstein, l'asymétrie des masses induit ici la présence, détectée pour la première fois, en plus de la fréquence de la seconde harmonique, d'une harmonique plus élevée, correspondant à 3 fois la fréquence orbitale du couple. Grâce à cela, les physiciens gravitationnels ont pu tester les prédictions de la théorie dans un régime encore inexploré, notamment les moments multipolaires qui sont associés à ces harmoniques plus élevées. Vous vous en doutez certainement, la Relativité Générale en sort validée encore une fois...
L'information contenue dans les harmoniques élevées (multipôles élevés) permet aussi de lever l’ambiguïté entre la distance et l'inclinaison du système binaire : sans multipôles d'ordre supérieur, la distance déduite s'étale entre 400 et 1200 Mpc et l'angle d'inclinaison peut prendre toutes les valeurs entre 0 et 180°, mais grâce à la prise en compte des multipôles d'ordre élevé, l'angle d'inclinaison (du vecteur du moment cinétique total) par rapport à la ligne de visée est déterminé assez précisément : 45°, ce qui fige par la même la valeur de la distance : 740 Mpc.
A partir des détections précédentes de fusions de couples de trous noirs, les chercheurs avaient déduits que la probabilité de trouver des couples de trous noirs avec une certaine taille devait être décrite par une loi de puissance. Et l'inclusion de ce nouveau couple très asymétrique apporte de nouvelles contrainte sur cette loi de probabilité et les couples de masse attendus.
Les analyses précédentes suggéraient qu'un système asymétrique tel que celui de GW190412 avec un rapport de masses de 3,5 devait apparaître dans 1,7% des cas, mais avec cette détection, la probabilité monte à 25%!
La distance de GW190412 est déterminée avec une incertitude encore assez importante de l'ordre de 20%, mais cette distance est il est vrai, très grande : 740 (+130
−160) Mpc (2,41 milliards d'années-lumière). Dans le futur, la détection de nouvelles harmoniques d'ordre encore plus élevé dans les ondes gravitationnelles permettra de mieux déterminer la distance qui nous sépare du couple fusionnant, de quoi utiliser ces sources d'ondes gravitationnelles comme des chandelles standard permettant de mesurer la constante de Hubble -Lemaitre H0.
La détection d'autres systèmes asymétriques et la mesure de leur rotation devrait aussi nous éclairer sur les canaux de formation de ces couples de trous noirs. On sait dorénavant, et le récent GW190814 publié en juin l'a encore prouvé, que les fusions asymétriques sont monnaie courante chez les trous noirs, et extrêmement riches en informations...
Source
GW190412: Observation of a binary-black-hole coalescence with asymmetric masses
R. Abbott et al. (LIGO Scientific Collaboration and Virgo Collaboration)
Physical Review D 102, 043015 (24 August 2020)
Illustrations
1) Vue d'artiste du système binaire de trous noirs à l'origine de l'événement gravitationnel GW190412 (LIGO/Virgo)
2) Vidéo : simulation de la coalescence des deux trous noirs et modélisation des ondes gravitationnelles émises (LIGO/Virgo)
3) Graphique représentant la distance en fonction de l'angle d'inclinaison (avec et sans prise en compte des multipoles d'ordre élevé qui ont pu être détectés) (Abbott et al.)
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