jeudi 27 août 2020

Mégaconstellations de satellites vs. Astrophysique : 1 - 0


Les mégaconstellations de satellites qui sont en cours de déploiement vont fondamentalement modifier l’astronomie et l’astrophysique. Une nuit sans aucun passage de satellite ne sera plus jamais la norme. Si les 100 000 (ou plus) satellites en orbite basse qui sont proposés par différentes sociétés spatiales parmi lesquelles SpaceX, Amazon, Oneweb, et d’autres encore, sont déployés, aucune combinaison de méthodes ne permettra de réduire efficacement l’impact de leur éclat dans le ciel nocturne sur les programmes d’observation astronomique. Ces conclusions viennent d’être rendues publiques dans un rapport conjoint de l’American Astronomical Society et du consortium NOIRLab qui regroupe de nombreux observatoires astronomiques américains financés par la National Science Foundation (NSF). Ce rapport est disponible en ligne ici.


Les astronomes professionnels commencent tout juste à saisir l’ampleur de l’impact des constellations de satellites de communication destinées à fournir du réseau internet n’importe où sur Terre. Les premières dizaines de satellites de ce genre ont été lancés au printemps 2019 et depuis lors les lancements se succèdent. C’est pour essayer de quantifier concrètement l’impact sur les programmes scientifiques que la NSF et l’AAS ont organisé la rencontre SATCON 1 (Satellite Constellations 1) regroupant près de 250 professionnels (astrophysiciens et ingénieurs de sociétés spatiales) du 29 juin au 2 juillet dernier. Ce rapport en est le compte-rendu, exposant les faits observés, les prédictions et explorant des solutions de mitigation des effets désastreux qu’auront ces dizaines de milliers satellites. Car les effets des constellations de satellites sont bien catastrophiques pour la science. Les outils d’observation les plus touchés seront les télescopes optiques à grand champ qui sont dédiés à imager tout le ciel en continu à la recherche d’événements transitoires, comme le Vera Rubin Observatory et son grand télescope de 8,4 m qui doit entrer en fonction en 2022.


Dès l’année dernière, le ciel des astronomes professionnels a changé, avec de plus en plus de traînées apparaissant sur les images à longue pose des grands télescopes. Les domaines touchés sont très nombreux, allant de l’étude des populations d’étoiles dans notre galaxie et les galaxies proches à la recherche d’astéroides géocroiseurs, en passant par l’identification de sources d’ondes gravitationnelles par leur contrepartie optique ou encore la recherche et l'étude d’exoplanètes ou de supernovas. Des simulations de visibilités ont été effectuées par les chercheurs pour la réunion du SATCON, en prenant en compte 30000 satellites de seconde génération de SpaceX situés à moins de 614 km d’altitude et 48000 satellites de OneWeb positionnés à 1200 km. Les résultats indiquent que pour toutes les altitudes, leur visibilité reste constante durant toute la durée du crépuscule (jusqu’à ce que le Soleil soit à 18° sous l’horizon). Mais il y a une différence cruciale entre les satellites positionnés à 600 km et à 1200 km. Les satellites les plus hauts sont visibles non seulement en début et en fin de nuit, mais aussi durant toute la nuit en été, n'entrant jamais dans l'ombre de la Terre… Et il n’y a pas que les traînées lumineuses qui apparaissent lors des longues poses. Un éclat sporadique (ou périodique) important peut aussi induire des artefacts non corrigeables sur les imageurs des télescopes, selon les chercheurs.
Des discussions ont déjà eu lieu entre les scientifiques et des sociétés comme SpaceX, qui a déjà mis en orbite près de 600 satellites de ce type en 9 lancements (60 satellites par lancement), le dernier en date ayant eu le 18 août dernier et 5 autres lancements étant prévus d'ici à la fin de l'année. 
Amazon, de son côté, recevait en juillet, alors que le rapport de SATCON était en cours de rédaction, l'approbation du gouvernement Trump pour lancer les 3236 premiers satellites de sa constellation Kuiper...
De très gros efforts doivent être faits pour réduire l’impact de ces constellations au minimum. SpaceX a montré qu’il était possible de réduire l’albédo de ces merdes satellites en les orientant différemment, en ajoutant un écran ou bien en les peignant en noir, mais ces solutions sont encore loin d’être parfaites. La peinture noire produisant un échauffement du satellite néfaste pour son électronique, celle-ci ne serait finalement pas retenue par SpaceX… D'après les chercheurs, les constructeurs pourraient aussi fournir aux observatoires les trajectoires, très détaillées, de manière à ce qu’elles soient connues à l’avance et que les observations astronomiques soient adaptées en conséquence. Mais cela n’enlèvera pas le fait qu’un temps d’observation conséquent sera perdu à jamais.


Le rapport Impact of Satellite Constellations on optical astronomy and recommendations towards mitigations fournit non seulement une série de résultats scientifiques parmi les plus aboutis techniquement sur le problème, mais il donne aussi 10 recommandations : 3 pour les observatoires, 4 pour les sociétés spatiales et 3 pour les deux acteurs ensemble : 

Pour les observatoires : 
1 – Développer des logiciels de traitement d’image permettant d’identifier, modéliser, soustraire et masque des trainées des satellites
2 – Développer des logiciels de planification via la prédiction des heures de passage et des trajectoires des satellites
3- Développer des simulations des effets sur l’analyse de données du masquage des trainées de satellites pour déterminer un seuil de tolérance

Pour les sociétés spatiales :
1 – Faire systématiquement des mesures de réflectance poussées (bi-directionnelles) lors du design de leurs satellites, en plus de simulations.
2 – Faire en sorte que la lumière solaire réfléchie varie lentement avec la variation de la phase orbitale telle qu’elle est vue par un télescope à grande ouverture et grande étendue (surface x champ de vue).
3 – Faire en sorte de ne pas créer des réflexions spéculaires (sursauts de luminosité) dans la direction des observatoires, ou bien avoir un moyen de prédiction et de prévention à envoyer aux observateurs.
4 – Regrouper le plus possible les trains de satellites après le lancement permettant un passage rapide à travers une zone de pointage de télescope, et ajuster leur orientation pour minimiser la lumière réfléchie.

Pour les observatoires et les sociétés spatiales ensemble :
1 – Développer rapidement un effort coordonné d’observation des unités constituant aujourd’hui les constellations afin de les caractériser avec la plus grande précision.
2 – Déterminer la qualité des informations de position, télémétrie, etc, afin d’améliorer substantiellement les données de position de chaque satellite (un facteur 10 en précision est nécessaire), qui doivent être disponibles pour le public.
3- Adopter un nouveau format standardisé pour ces données de position, incluant les erreurs statistiques.
     
On le voit, ces recommandations apparaissent un peu tièdes, pour ne pas dire juste de bon sens dans une situation que les chercheurs semblent accepter, mis au pied du mur par des boites qui pensent que les gens trouveront cool de streamer des séries sur des vols long-courrier....
Mais comme le dit Connie Walker, du NOIRLab et qui a co-dirigé la rédaction de ce rapport : « La seule façon de supprimer l’impact des constellations de satellites sur les télescopes optiques et infra-rouge c’est de ne pas en lancer du tout, zéro! ». Il aurait pu être intéressant de commencer par là dans les recommandations, sans devoir accepter le fait accompli imposé par une poignée de milliardaires qui profitent de l’absence de régulation nationale ou internationale sur la luminosité maximale des satellites…
NOIRLab et l’American Astronomical Society ont prévu un nouveau rendez-vous l’année prochaine pour soulever les problèmes législatifs et politiques entourant les mégaconstellations. D’ici là, le groupe de conseil scientifique JASON, qui regroupe d’éminents physiciens américains et qui est également en train de travailler sur le sujet, aura rendu son rapport à la NSF. On peut craindre hélas qu’il ne soit pas beaucoup plus mordant envers Elon, Jeff et consorts.

Illustrations 

1) Vue d'artiste de la surpopulation de satellites (NOIRLab)

2) Trainées de satellites Starlink sur des poses multiples de 30 minutes au dessus du Canyon Bryce (Spencer Camera and Photo)

3) Image à grand champ (2,3°) de l'imageur Dark Energy Camera monté sur le télescope Víctor Blanco de 4 m de l'InterAmerican Observatory à Cerro Tololo (Chili), prise le 18 novembre 2019 (DECam DELVE Survey/CTIO/AURA/NSF)

4) Simulation du ciel observé durant 10 minutes par l'Observatoire Vera Rubin avec la présence de 47708 satellites lorsque le Soleil atteint -18,4° sous l'horizon (P. Yoachim / U. Washington /
Rubin Observatory)

3 commentaires :

Thierry Grenot a dit…

Bonjour Eric,
je réagis rarement (quoique lecteur assidu de vos posts), mais là... L'ingérence unilatérale de quelques hyper-sociétés pour des impacts clopinettes, c'est vraiment insupportable - dans la même veine que la privatisation (qui ne saurait tarder) de la lune de Mars ou autre satellite. Ce devrait être au minimum un sujet à traiter au préalable à l'ONU, mais on sera devant le fait accompli. En tout cas félicitations pour le signaler dans des termes 'non tièdes'.
Bien à vous
Thierry

Jérémy PINCHON a dit…

C'est vraiment la honte absolue qu'aucun gouvernement n'empêche ces quelques milliardaires mégalos de saloper le ciel nocturne...

C'était à peu près tout ce qui nous restait de potable en terme de patrimoine naturel, et même ça, notre économie capitaliste insensée va réussir à nous le bousiller, c'est tellement triste...

Comment c'est possible de ruiner en quelques années seulement, une voûte céleste qui émerveille les humains depuis des dizaines de milliers d'années ? Comment peut-on laisser faire ça ? A quoi servent nos politiques s'ils ne sont même pas foutus de simplement prendre soin de leur maison (même ça ils en sont incapables, j'ai même l'impression que c'est le dernier de leur souci).

Mais en même temps quand je vois que déjà dans la rue, les gens préfèrent jeter leurs détritus par terre, plutôt que dans une poubelle, je me dis qu'on est mal barré quand-même...

L6 Atmo a dit…

Vivement qu'une grosse éruption solaire crame toutes ces daubes et qu'elles se désorbitent! ou si un gentil white hat voulait bien détourner le X37b pour aller les désorbiter in situ, je lui en serai éternellement reconnaissant (et je serai pas le seul vu les coms précédents)