mercredi 13 avril 2022

Bernardinelli-Bernstein : la plus grosse comète connue fait plus de 100 km de diamètre


Le 8 janvier dernier, le télescope Hubble a été braqué vers une comète pas comme les autres : C/2014 UN271 (Bernardinelli-Bernstein). C'est la comète la plus énorme que l'on connaisse. Les astronomes ont mesuré la taille de son noyau, qui vaut 119 km de diamètre! L'étude, qui confirme une étude indépendante très récente menée par des astronomes français avec ALMA, est publiée dans The Astrophysical Journal Letters

La précédente détentrice du record était la comète C/2002 VQ94, dont le noyau était estimé à 100 km de diamètre. Man-To Hui (Université des sciences et technologies de Macao) et ses collaborateurs Etats-Uniens ont ont observé Bernardinelli-Berstein avec l'instrument Wide Field Camera 3 de Hubble avec lequel ils ont effectué 5 images de 285 s de pose chacune.  Ils étaient intéressés par cet objet transneptunien atypique qui semblait actif même situé à plus de 20 UA du Soleil. La comète a été observée pour la première fois en 2014 par le Dark Energy Survey (DES) à une distance héliocentrique de 29,3 UA, par Pedro Bernardinelli et Gary Bernstein et a été suivie durant plusieurs années depuis. Les chercheurs se doutaient qu'elle devait être particulièrement grosse mais ils devaient obtenir de meilleures données pour le confirmer, avec la difficulté inhérente à l'imagerie d'un noyau cométaire qui est enveloppé d'une énorme coma poussiéreuse. 
La comète est actuellement trop éloignée pour que son noyau puisse être résolu visuellement par Hubble. Mais les données de Hubble montrent un pic lumineux à l'emplacement du noyau et les astronomes ont créé un modèle informatique de la coma environnante et l'ont ajusté aux images du télescope spatial. Ensuite, la lumière de la coma a été soustraite pour laisser apparaître le noyau seul.
L'équipe de Man-To Hui a ensuite comparé la luminosité du noyau à des observations radio récentes réalisées avec ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array). Les chercheurs révèlent que les mesures sont proches des premières estimations de taille fournies par Emmanuel Lellouch (LESIA) et son équipe avec ALMA en février dernier, qui obtenaient un diamètre de 137 km. En terme d'albedo, les valeurs sont également très proches : Man-To Hui et ses collaborateurs trouvent 0,044 là où Lellouch et son équipe trouvent 0,049. Les données suggèrent de manière convaincante que la surface du noyau est plus noir que du charbon et qu'il est vraiment très gros...  

C/2014 UN271 provient du nuage de Oort et cela fait plus d'un million d'années qu'elle est en train de se rapprocher du Soleil. Sa masse estimée est de l'ordre de 100 000 fois plus qu'une comète ordinaire. Elle a une orbite très particulière, très excentrique (e=0,9993) et presque à 90° du plan de l'écliptique, avec une période de 3 millions d'années. Son aphélie voisine les 0,5 années-lumière (31000 UA!) et son périhélie est encore très grand : elle ne s'approchera au plus près du Soleil qu'à une distance de 10,9 Unités Astronomiques (un peu plus loin que la distance de Saturne), ça sera en 2031. Les astronomes estiment qu'elle pourrait n'être que la partie émergée de l'iceberg. Il pourrait exister beaucoup d'autres noyaux cométaires de cette taille, que les astronomes pourraient identifier grâce à l'amélioration de la sensibilité de nos télescopes. Seul le télescope spatial Hubble possède aujourd'hui la précision et la sensibilité nécessaires pour faire une estimation définitive de la taille du noyau.

À partir du profil de luminosité de surface mesuré de la coma, dont le gradient logarithmique varie azimutalement entre 1,0 et 1,7 en raison de la pression du rayonnement solaire, les chercheurs trouvent une perte de masse qui est compatible avec une production en régime permanent, et non avec une éjection impulsive, comme celle qui serait produite par une éruption. En utilisant la photométrie, ils estiment une valeur du taux de perte de masse qui est énorme : elle produit 1 tonne de poussière par seconde ! (à une distance héliocentrique de ∼20 UA).
La comète Bernardinelli-Bernstein fournit un indice précieux sur la distribution des tailles des comètes dans le nuage de Oort et donc in fine sur sa masse totale. Les estimations de la masse du nuage de Oort, qui doit se situer au minimum à 2000 UA du Soleil, varient considérablement, pouvant aller jusqu'à 20 fois la masse de la Terre. Évoqué pour la première fois en 1950 par l'astronome néerlandais Jan Oort, le nuage éponyme reste une théorie car les innombrables comètes qui doivent le composer sont trop faibles et trop éloignées pour être observées directement. Cela signifie que la plus grande structure du système solaire est pratiquement invisible... On estime par exemple que les sondes Voyager n'atteindront pas la zone interne du nuage de Oort avant 300 ans et pourraient mettre jusqu'à 30 000 ans pour le traverser... 

Source

Hubble Space Telescope Detection of the Nucleus of Comet C/2014 UN271 (Bernardinelli-Bernstein).
Man-To Hui et al.
The Astrophysical Journal Letters  929, L12 (11 april 2022)

Illustration 

C/2014 UN271 (Bernardinelli-Bernstein) imagée par Hubble et isolement du noyau par traitement informatique  (NASA, ESA, Man-To Hui (Macau University of Science and Technology), David Jewitt (UCLA)Image Processing: Alyssa Pagan (STScI))

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