Les noyaux actifs de galaxie (AGN) sont formés de disques de gaz massifs qui s'accrètent sur des trous noirs supermassifs. Ces disques sont pour la plupart instables à la fragmentation, ce qui leur permet de former des étoiles, et ils apparaissent dans les noyaux riches en étoiles des galaxies, ce qui leur permet aussi de capturer des étoiles via une variété de mécanismes. Indépendamment de la façon dont elles y parviennent, les étoiles intégrées dans les disques d'AGN évoluent de manière profondément différente, ce qui peut donner lieu à des étoiles extrêmement massives et donc au final à des trous noirs et à des sursauts gamma par exemple. Les modèles d'évolution dans lesquels les étoiles sont traitées comme stationnaires à l'intérieur d'un disque immuable prédisent un état dans lequel les étoiles ne subissent aucune évolution chimique/nucléaire : le gaz frais provenant du disque réapprovisionne leur cœur plus rapidement que l'hydrogène n'est brûlé comme l'ont montré en 2021 Cantiello et al. et Dittmann et al.. C'est à ce titre que ces étoiles massives sont dites "immortelles".
Adam Jermyn (Flatiron Institute) et ses collaborateurs ont fait une estimation du nombre d'étoiles de ce type. Les chercheurs ont fait le calcul pour un AGN de référence, mais uniquement pour le cas d'étoiles capturées et non formées par fragmentation, et ils trouvent un nombre compris entre 100 et 10000 étoiles supermassives de ce type, qui devraient être confinées à l'intérieur d'un rayon de 0,03 pc. On parle ici d'étoiles ultra massives de l'ordre de 300 masses solaires qui normalement brûlent très vite leur hélium, puis leur carbone et leur oxygène pour exploser rapidement ensuite en supernova en quelques millions d'années. Mais ici, elles continuent à vivre longtemps car réalimentées en hydrogène en permanence.
Dans le cas d'un disque d'AGN qui dure 100 000 ans, les chercheurs montrent que les étoiles capturées ont quand-même une chance d'accaparer du gaz et de devenir très massives car la densité du gaz est très élevée (ρ ≳ 10-9 g cm-3 à l'intérieur d'un rayon de 1000 rayons de Schwarzschild. Dans ces régions et pendant cette courte période, environ 1000 étoiles sont capturées et croissent jusqu'à 300M⊙. Pour que toutes ces étoiles deviennent immortelles, il faut donc une perte de masse du disque de 3M⊙/an, soit trois fois la variation de masse totale typique d'un tel disque (1 M⊙/an), donc la structure du disque sera substantiellement altérée par la présence d'étoiles encastrées, et Jermyn et ses collaborateurs prédisent que la population d'étoiles immortelle doit donc être dans ce cas limitée par le gaz disponible dans les disques à courte durée de vie. La majeure partie de ce gaz sera consommée par les étoiles les plus internes, car ce sont elles qui croissent le plus rapidement, il devrait alors coexister 300 étoiles immortelles et 700 étoiles mortelles avec des masses importantes. Ces étoiles mortelles, contrairement aux étoiles immortelles plus massives, vivront encore après la dissipation du disque de l'AGN et pourraient expliquer, selon les chercheurs, la population d'étoiles massives (une centaine) qui est observée au centre de la Voie Lactée où l'on pense justement qu'une phase AGN s'est produite il y a environ 2 à 8 millions d'années (voir ici).
Dans le cas d'un disque d'AGN qui persiste pendant 10 millions d'années, c'est une population de l'ordre de 20000 étoiles qui sera capturée. Comme précédemment, ces étoiles accrètent de l'hydrogène et deviennent très massives. Là encore, le processus pourrait consommer plus que le total de l'apport du disque mais les chercheurs calculent qu'il y aurait juste assez de gaz dans le disque pour accompagner cette croissance : au total ces étoiles ont besoin d'environ 0,6M⊙ par an de gaz pour atteindre 300M⊙, ce qui est légèrement inférieur au total du disque de 1 M⊙ par an. Les astrophysiciens en concluent que la population complète des 20000 étoiles capturées sont immortelles.
Selon eux, ces étoiles peuvent profondément modifier la chimie des disques d'AGN, en les enrichissant en hélium par au moins un facteur 2 et en les appauvrissant en hydrogène. De plus, en considérant ensuite les fusions qui peuvent apparaître entre ces étoiles et d'autres objets du disque (autres étoiles immortelles ou objets compacts), ils suggèrent que les fusions étoile-étoile entraînent une perte de masse rapide du reste du disque, tandis que les fusions étoile-objet compact peuvent in fine donner lieu à des résultats exotiques comme des fusions de trous noirs. Et le nombre de fusions estimé est de l'ordre de 1 tous les 10000 ans.
Enfin, Jermyn et son équipe examinent ensuite comment ces étoiles réagissent lorsque le disque finit par se dissiper vers la fin de sa vie, et constatent qu'elles peuvent alors rendre de la masse au disque assez rapidement pour prolonger sa durée de vie d'un facteur 2 et/ou qu'elles peuvent entraîner de puissants écoulements hors du disque qui peuvent au contraire accélérer sa dissipation... Après la disparition complète du disque de l'AGN, ces étoiles immortelles deviennent mortelles et vont perdre rapidement leur masse puis exploseront pour former une population de trous noirs de masse autour de 10M⊙.
Or dans la population de trou noirs détectés par LIGO-Virgo (avant leur fusion), il y a un soupçon d'empilement autour de la valeur de 10M⊙. Si cette accumulation est réelle et associée à des étoiles post-AGN, cela implique que les AGN jouent un rôle important dans les fusions de trous noirs qui sont observées avec LIGO-Virgo.
Même si ils ne se sont intéressés qu'aux étoiles capturées dans le disque des AGN et devenant immortelles, Adam Jermyn et son équipe ont également fait une estimation du taux de formation d'étoiles par fragmentation dans les disques d'AGN : ils trouvent que les étoiles formées in-situ pourraient dépasser en nombre les étoiles capturées de plus d'un facteur 10. Mais ils concèdent la nature simpliste de leur calcul et appellent à des études plus sophistiquées du taux de formation d'étoiles, car un tel nombre d'étoiles immortelles pourrait modifier profondément la chimie, la structure et l'évolution des disques d'AGN.
En raison des interactions complexes et encore incertaines entre ces étoiles encastrées et le disque d'accrétion formant le noyau actif galactique, de leur ubiquité plausible et de leur impact sur la structure et l'évolution du disque, Jermyn et ses collaborateurs concluent que les étoiles immortelles doivent être incluses dans tous les modèles de disque qui se veulent réalistes et que le travail doit être approfondi pour réduire les incertitudes sur la physique des disques d'accrétion et aller au delà de simples estimations d'ordres de grandeur.
Source
Effects of an Immortal Stellar Population in AGN Disks
Adam Jermyn et al.
The Astrophysical Journal, Volume 929, Number 2 (20 April 2022 )
Illustration
Schéma d'une population d'étoiles immortelles encastrées dans un disque d'AGN (Jermyn et al.)
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