En utilisant le télescope Subaru et le télescope spatial Hubble, une équipe de chercheurs a trouvé des preuves de la présence d'une protoplanète jovienne autour de l'étoile AB Aurigae orbitant à grande distance (93 unités astronomiques). Elle pourrait être directement liée à la forme en spirale du disque entourant l'étoile. L'imagerie directe de protoplanètes intégrées dans des disques autour d'étoiles naissantes comme AB Aurigae sont une clé pour comprendre la formation des planètes géantes gazeuses comme Jupiter. L'étude est parue dans Nature Astronomy.
La quasi-totalité des près de 5 000 exoplanètes connues et détectées indirectement orbitent autour de leur étoile à moins de 30 UA, c'est à dire à l'échelle du système solaire. Le modèle de formation des planètes gazeuses qui est le plus accepté est un modèle dit d'accrétion de noyau, dans lequel une jeune géante gazeuse se forme en construisant lentement un noyau de plusieurs masses terrestres, puis en accrétant rapidement le gaz du disque protoplanétaire qui l'entoure. Il permet d'expliquer la présence de géantes gazeuses telles que Jupiter et Saturne à ces endroits relativement proches d'une étoile. Mais les rares exoplanètes qui ont pu être directement imagées ont typiquement des orbites larges de l'ordre de 50 à 300 UA et sont généralement plus de 5 fois plus massives que Jupiter. Or, les conditions physiques du disque protoplanétaire à ces distances pourraient ne pas permettre leur formation in situ d'un par accrétion de noyau. Un modèle alternatif proposé par Boss et ses collaborateurs en 1998 fait intervenir l'instabilité du disque protoplanétaire, à savoir un processus violent et rapide d'effondrement gravitationnel qui conviendrait mieux à la formation de planètes géantes gazeuses supermassives à une distance de l'ordre de 100 UA de leur étoile.
Les images directes de protoplanètes encore en formation, qui se trouvent intégrées dans des disques autour d'étoiles naissantes, peuvent alors fournir des indices essentiels sur le lieu et le mode de formation des planètes joviennes à toutes les échelles. La première détection incontestable par imagerie directe de protoplanètes, PDS 70 b et c, en 2018 et 2019 a révélé la formation de planètes joviennes autour d'une étoile de masse quasi-solaire à des échelles (~20 à 35 UA) plus petites que les orbites de la plupart des planètes imagées directement.
Ce système protoplanétaire, le seul incontestable connu à ce jour, PDS 70 bc, montre la formation de planètes joviennes à proximité de l'étape finale de leur assemblage, où les jeunes géantes gazeuses ont déjà accrété un matériel substantiel du disque protoplanétaire, ce qui a dégagé une cavité fortement appauvrie en gaz et poussière dans le disque. La détection de protoplanètes qui seraient encore imbriquées dans un disque riche en gaz et en poussière révèlerait la formation de planètes à des stades plus précoces, étape clé de leur assemblage. C'est ce que viennent d'observer Thayne Currie (National Astronomical Observatory of Japan) et ses collaborateurs avec AB Aur b.
De nombreux disques protoplanétaires présentent une structure potentiellement liée à des planètes qui se situeraient à de grandes distances de leur étoile, notamment des bras spiraux (dont le premier cas avait rapporté en 2012). Mais, jusqu'à présent, aucun de ces systèmes n'avait montré une détection directe de protoplanètes elles-mêmes. La découverte de Currie et son équipe change la donne. Le disque en forme de spirale qui entoure AB Aurigae montre très nettement dans les images des télescopes Subaru et Hubble un agrégat de gaz qui ne serait rien d'autre qu'une planète géante en formation. L'étoile AB Aurigae est une étoile très jeune de seulement 5 millions d'années et 2,4 masses solaires, qui se situe à 156 pc (508 AL) du Soleil. La protoplanète quant à elle a un âge estimé de 1 million d'années et une masse d'environ 10 masses joviennes.
En cherchant dans les archives du télescope Hubble, Currie et ses collègues ont pu comparer une image de 2007 avec une image de 2021 où l'on distingue clairement que l'angle de position d'AB Aur b change, ce qui est cohérent avec un mouvement orbital dans le sens inverse des aiguilles d'une montre.
D'après les données, AB Aur b a un rayon apparent de θ ≈ 0,045″, ce qui fait une dimension de 7 UA! C'est encore une grande zone d'émission dont la taille est comparable au rayon de Hill (rayon d'influence gravitationnelle) d'une planète de 4 masses joviennes située à 90 UA de son étoile.
Pour expliquer la morphologie et l'émission d'AB Aur b, les astrophysiciens ont généré une image synthétique de la lumière diffusée par le disque protoplanétaire d'AB Aur plus l'émission d'une protoplanète intégrée au même endroit qu'AB Aur b. L'émission de la protoplanète est modélisée comme un simple corps noir de 2 200 K avec une luminosité correspondant aux valeurs observées d'AB Aur b. Le modèle est agnostique quant à savoir si cette émission provient d'une atmosphère de planète nue ou d'une enveloppe ou d'un disque circumplanétaire. La planète encastrée simulée apparaît comme un objet légèrement étendu, en accord avec les données, car la poussière protoplanétaire située à proximité diffuse la lumière de la planète encastrée. La photométrie de la planète modèle correspond à peu près à celle mesurée pour la protoplanète. L'image simulée en lumière polarisée ne montre pas de signal clair à l'endroit de la planète, en accord avec la non-détection de AB Aur b en polarimétrie.
Ensuite, pour expliquer l'existence de AB Aur b dans le contexte des modèles de formation de planètes, Currie et son équipe considèrent un modèle d'instabilité de disque dans lequel un disque protoplanétaire produit de multiples fragments à des distances comparables à celles de AB Aur b. A partir des profils de densité et de température du disque et de la surdensité, ainsi que de la taille du disque, les chercheurs produisent des simulations d'images en lumière diffusée dans le proche infrarouge du système. Dans l'image de lumière diffusée, la surdensité formée par l'instabilité du disque produit bien une caractéristique brillante qui est cohérente avec les observations de AB Aur b.
Pour Thayne Currie et ses collaborateurs, la preuve de la présence d'au moins une protoplanète autour de AB Aur à une grande distance de l'étoile a des implications importantes pour notre compréhension de l'endroit où se forment les planètes. La plupart des études analysent les caractéristiques démographiques des planètes imagées et entièrement formées pour contraindre leur formation, mais l'emplacement actuel d'une exoplanète peut être différent de celui où elle s'est formée.
AB Aur b fournit des preuves directes que des planètes plus massives que Jupiter peuvent se former à des séparations proches de 100 Unités Astronomiques, plus du double de la distance du Soleil aux objets de la ceinture de Kuiper, ce qui est en contraste net avec les attentes du modèle canonique d'accrétion du noyau. Par ailleurs, le disque protoplanétaire d'AB Aur présente de multiples bras spiraux, et AB Aur b apparaît comme un amas situé à proximité de ces bras ce qui pourrait fournir une autre preuve directe que les planètes joviennes peuvent se former par instabilité du disque et non par simple accrétion de noyau.
Source
Images of embedded Jovian planet formation at a wide separation around AB Aurigae
Thayne Currie et al.
Nature Astronomy (4 april 2022)
Illustrations
1. Images de AB Aur b obtenues avec le télescope Subaru (Currie et al.)
2. Mouvement de AB Aur b à 13 ans d'intervalle, imagé par le télescope Hubble (Currie et al.)
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