vendredi 30 septembre 2022

Découverte d'une étoile à neutrons invisible


Généralement, les étoiles à neutrons sont découvertes par des observations aux longueurs d'onde radio, X ou gamma. Mais dans de très rares cas, le suivi du spectre d'une étoile dans le domaine visible peut prouver qu'elle tourne autour d'une étoile à neutrons invisible par ailleurs. C'est une telle découverte d'une étoile à neutrons candidate qui vient d'être faite grâce au relevé spectroscopique LAMOST, et qui est publiée dans Nature Astronomy.

En exploitant la richesse de grandes bases de données spectroscopiques, la méthode de la vitesse radiale peut être mise en oeuvre pour découvrir des systèmes qui abritent un objet compact caché en orbite autour d'un compagnon stellaire lumineux : trou noir ou étoile à neutrons. Une poignée de systèmes ont été découverts récemment, tels que trois trous noirs stellaires : MWC 656 (2014), LB-1 (2019) et J0521 + 4359 (2019). Ces trous noirs résident dans des binaires avec une période orbitale typiquement supérieure à 50 j. En associant des relevés spectroscopiques et photométriques multi-époques, leur masse peut être calculée par la dynamique. Étonnamment, seuls deux candidates étoiles à neutrons potentielles ont été découvertes par cette méthode dynamique à ce jour, à savoir J0521 + 4359 (2019) et V723 Monocerotis (2021). Mais dans ces deux cas, la masse élevée qu'aurait l'étoile à neutrons, fait plus pencher les astrophysiciens vers des trous noirs d'environ 3 masses solaires, situés dans ce qu'on appelle parfois encore le "mass gap" (le désert existant entre les étoiles à neutrons les plus massives et les trous noirs les plus petits). 
La candidate d'aujourd'hui est désignée par LAMOST J1123 + 4007, et se trouve dans une binaire spectroscopique contenant une étoile M optiquement visible à une distance de 318 parsecs. 
Le 22 février 2015, Tuan Yi (Xiamen University) et ses collaborateurs chinois ont observé que l'étoile M a montré un changement de vitesse radiale d'environ 270 km.s-1 en environ 68 min. Un décalage de vitesse aussi important et rapide, ainsi que les variations ellipsoïdales caractéristiques qui apparaissant sur les courbes de lumière multibande indiquent la présence d'une compagne invisible relativement massive. 
En utilisant la spectroscopie de suivi du télescope de 5 mètres de Palomar et la photométrie de haute précision de TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite), les chercheurs chinois sont parvenus à mesurer la masse de la compagne de l'étoile naine : elle est de 1,24+-0,03 M⊙. 
Ils obtiennent cette valeur de masse grâce à la connaissance de toutes les propriétés observées et dérivées de l'étoile naine visible, et en modélisant la courbe de vitesse radiale et la courbe de lumière ellipsoïdale, en fixant pour l'étoile naine une masse de 0,61  M⊙ et un rayon de 0,63  R⊙.
Or, comme les étoiles de la séquence principale avec cette masse sont exclues (car elles seraient alors visibles), cela laisse deux possibilités, comme souvent : soit c'est une étoile à neutrons soit une naine blanche massive.  Mais les astrophysiciens chinois ont noté l'absence de rayonnement UV excédentaire qui proviendrait de la compagne s'il s'agissait d'une naine blanche. Ils en concluent donc qu'il doit s'agir très probablement d'une étoile à neutrons. 
Mais des observations radio profondes ont également été menées avec le radiotélescope FAST (Five-hundred-meter Aperture Spherical radio Telescope) et n'ont pas permis de détecter d'émission pulsée ou persistante. Et J1123 + 4007 n'est pas non plus détectée dans de nombreux relevés de rayons X et gamma, ce qui suggère que l'étoile à neutrons candidate n'est ni en train de pulser (ou bien le faisceau est très en dehors de notre ligne de visée), ni en train d'accréter de la matière de sa compagne. 
Selon les chercheurs chinois, J1123 + 4007 pourrait être un ancêtre des binaires à rayons X de faible masse (LMXB). Le facteur de remplissage du lobe de Roche de la naine est f  = R1 / RL1  ≃  0,9, où RL1 est le rayon du lobe de Roche. Selon le mécanisme de freinage magnétique, les chercheurs calculent le moment où l'étoile naine remplira son lobe de Roche et lorsque l'étoile à neutron commencera à accréter son gaz. Cela devrait commencer dans 20 mégannées selon eux. 
Les calculs de synthèse des populations binaires montrent que le taux de natalité des systèmes pré-LMXB comme J1123 + 4007 est d'environ 1 tous les 100000 ans, et qu'il existe environ 10000 à 100000 LMXB dans notre Galaxie. On peut donc estimer qu'il y a environ 200 systèmes comme J1123 dans notre galaxie (20 millions années x 10−5 par année)  et donc le rapport du nombre de systèmes de type J1123 sur le nombre de LMXB serait d'environ 1 sur 100. De plus, Yi et ses collaborateurs notent que dans certaines LMXB transitoires, l'atmosphère du donneur subit une expansion et une contraction alternées sous l'effet de l'irradiation de l'étoile à neutrons. Ainsi, J1123 pourrait également être une LMXB transitoire, mais qui serait actuellement en phase de contraction et manifestant un état de repos.

Les résultats de l'équipe de Yi illustre leur capacité à découvrir des objets compacts cachés dans des binaires proches non accrétantes, grâce à l'utilisation conjointe de la spectroscopie optique à domaine temporel et de la photométrie à haute cadence, qui seules peuvent permettre de déceler le mouvement orbital d'une petite étoile au sein d'un couple dont l'autre composante est totalement invisible. Et on voit que la méthode de la mesure de la vitesse radiale est capable de découvrir des binaires hébergeant des objets compacts quelle que soit leur séparation orbitale, a contrario des mesures astrométrique de précision de Gaia, qui peuvent certes trouver des objets compacts dans des binaires, mais seulement avec des très grandes périodes orbitales qui se comptent en semaines ou en années...

Source

A dynamically discovered and characterized non-accreting neutron star–M dwarf binary candidate
Tuan Yi et al.
Nature Astronomy (22 septembre 2022)

Illustration

Evolution dans le temps de la vitesse radiale et du flux optique de J1123 + 4007 (Yi et al.)

1 commentaire :

Anonyme a dit…

Très intėressant! Heureusement que vous donnez l'essentiel du contenu de l'article en français. Merci !