dimanche 4 septembre 2022

Découverte de 13 pulsars (d'un coup!) dans l'amas globulaire NGC 1851


13 nouveaux pulsars d'un coup viennent d'être détectés dans l'amas globulaire NGC 1851 par le projet TRAPUM Large Survey utilisant le radiotélescope MeerKAT. Il s'agit de 6 pulsars millisecondes isolés et de 7 pulsars binaires, dont un en couple avec une autre étoile à neutrons, et un en couple avec une naine blanche massive. L'étude a été publiée dans Astronomy&Astrophysics.

Les amas globulaires ont historiquement été des cibles de choix pour les études de pulsars radio. Ceci est dû à leur nature, qui en fait théoriquement des pépinières de pulsars extrêmement fécondes. Les amas globulaires sont des systèmes stellaires anciens (plusieurs milliards d'années) qui sont maintenus ensemble par leur propre gravité, ce qui donne une distribution sphérique des étoiles. Dans leurs noyaux, la densité du nombre d'étoiles peut atteindre jusqu'à 1 million pc-3, soit jusqu'à 1 million de fois les valeurs typiques trouvées dans le voisinage du Soleil. Dans des environnements aussi encombrés, il est assez fréquent qu'une vieille étoile à neutrons interagisse gravitationnellement avec des systèmes binaires au sein de l'amas. Si la rencontre est suffisamment proche, elle peut provoquer l'éjection du membre le plus léger de la binaire précédente et la formation d'un nouveau système binaire, composé d'une étoile à neutrons et d'une étoile de séquence principale. L'étoile évolue ensuite, remplit son lobe de Roche et commence à transférer de la matière à l'étoile à neutrons, qui peut ainsi être "recyclée". Pendant cette phase, le système est considéré comme une binaire à rayons X de faible masse (LMXB). Beaucoup de ces systèmes évoluent ensuite pour former des pulsars millisecondes, l'étoile à neutrons subissant une accélération de sa rotation par l'accrétion de matière. La formation de LMXBs par voie dynamique est la raison pour laquelle on estime qu'il y a, par unité de masse stellaire, environ 1000 fois plus de LMXBs et pulsars millisecondes dans les amas globulaires que dans le disque galactique.
Les recherches de pulsars dans les GCs sont avant tout limitées par la sensibilité de nos instruments : en raison des grandes distances ( > 5 kpc) de ces systèmes stellaires, seuls les pulsars les plus brillants peuvent être détectés. Après une décennie caractérisée par un taux de découverte lent, principalement dû à une limite de sensibilité atteinte par les radiotélescopes existants, une nouvelle augmentation du nombre total de pulsars dans les amas globulaires a récemment eu lieu, nous en parlions encore récemment le 22 août dernier avec le cas de NGC 6397 (épisode 1371).
Au cours des trois dernières années, la population totale de pulsars trouvés dans des amas globulaires a augmenté de plus de 50 %, atteignant, au moment de la rédaction de cet article, 258 pulsars connus dans 36 amas différents. Si quelques-unes de ces nouvelles découvertes résultent de la mise à niveau des instruments des radiotélescopes Parkes et GMRT, la grande majorité a été découverte par les deux nouvelles installations radio majeures : le télescope chinois FAST (Five-hundred-meter Aperture Spherical Telescope, et le radiotélescope sud-africain MeerKAT. Malgré leurs conceptions et leurs zones de collecte totales très différentes, FAST et MeerKAT permettent de faire un bond en avant dans la sensibilité brute disponible pour les expériences de recherche de pulsars dans leurs hémisphères respectifs. Ainsi, depuis sa première observation sur des amas globulaires en 2018, FAST a découvert plus de 30 nouveaux pulsars dans des amas globulaires (découvertes publiées en 2020 et 2021), dont certains dans des amas sans pulsars connus auparavant. De même, MeerKAT a commencé à observer les amas globulaires en 2019, avec une première campagne de recensement menée dans le cadre du projet de grand relevé MeerTime. Au cours de celle-ci, un échantillon de neuf amas globulaires prometteurs hébergeant des pulsars déjà connus a été observé. Ces observations n'utilisaient que les 44 antennes centrales du réseau, de manière à sacrifier une certaine sensibilité pour un champ de vision accru. La recherche de nouveaux pulsars s'est avérée fructueuse, puisque huit nouveaux pulsars millisecondes ont été découverts dans six amas différents (Ridolfi et al. 2021).

Les premières observations de MeerKAT ont ensuite permis d'envisager un relevé plus approfondi des pulsars d'amas globulaires, qui a débuté à la mi-2020 dans le cadre du programme TRansients And PUlsars with MeerKAT (TRAPUM). Contrairement aux observations précédentes, l'étude TRAPUM sur les pulsars d'amas globulaires exploite jusqu'à 288 faisceaux liés sur le ciel, empilés radialement à partir du centre de l'amas globulaire. Cela signifie que les astrophysiciens utilisent jusqu'à la totalité des 64 antennes de MeerKAT, ce qui augmente considérablement la sensibilité par rapport au recensement initial de l'amas. TRAPUM est appliqué sur un total de 28 amas globulaires cibles, et inclut des observations utilisant différentes bandes de fréquence, en fonction de la distance à l'amas. 
L'un des amas globulaires sélectionnés pour l'étude TRAPUM est NGC 1851, qui est l'objet de cette étude de Alessandro Ridolfi (INAF) et ses collaborateurs . Il s'agit d'un amas assez compact, situé dans la constellation australe de Columba à une distance de 11,95 ± 0,13 kpc, loin sous le plan galactique. Jusqu'à récemment, NGC 1851 était connue pour être l'hôte d'un unique pulsar binaire, mais très particulier, PSR J0514-4002A (également connu sous le nom de NGC 1851A). Découvert par Freire et al. (2004) avec le GMRT, puis chronométré avec le Green Bank Telescope (GBT) et le GMRT à des fréquences similaires  en 2007 et en 2019. NGC 1851A est un pulsar milliseconde de 4,99 ms sur une orbite large et extrêmement excentrique (e = 0,89). Cette caractéristique a permis de mesurer précisément deux paramètres post-képlériens (relativistes), ce qui a conduit à une détermination précise des masses des composants du système, ce qui est rarement possible. NGC 1851A est très probablement le résultat d'une interaction d'échange secondaire, où l'étoile originale de faible masse qui recyclait le pulsar a été remplacée par la compagne actuelle, massive (1,22 M⊙). L'existence d'une binaire aussi particulière a motivé les recherches de l'équipe de Ridolfi dans cet amas, car ils soupçonnaient que d'autres systèmes de ce type pourraient y être présents.
Et, le moins que l'on puisse dire c'est qu'ils ont eu raison ! Grâce à leurs observations de NGC 1851 avec MeerKAT à 13 reprises de janvier à novembre 2021, Alessandro Ridolfi et son équipe ont détecté 13 nouveaux pulsars, jusqu'alors inconnus. Pour tous ces pulsars, les chercheurs présentent les paramètres cinématiques, astrométriques et orbitaux de base, ainsi que leurs propriétés polarimétriques, lorsque celles-ci sont mesurables. Ils les nomment avec le nom de l'amas suivi d'une lettre dans l'ordre de leur découverte.
Tous sont des pulsars millisecondes, avec des périodes qui s'étalent entre 2,81 et 6,63 ms, sauf un (NGC 1851 I) dont la période est un peu plus longue (32,65 ms). Et six d'entre eux apparaissent isolés (NGC 1851 B, C, J, K, M, N), et parmi les sept autres, deux (NGC 1851 D et E) sont accompagnés d'étoiles moribondes (une étoile à neutrons et une étoile naine blanche) et montrent des orbites larges et extrêmement excentriques (e > 0.7). 
Cette fraction d'environ la moitié de pulsars isolés et la moitié de pulsars binaires est tout à fait similaire à ce qui est observé dans des amas globulaires riches en pulsars, comme Terzan 5, M28, NGC 6440 et NGC 6441.
Les pulsars NGC 1851 F, G, H, I et L sont situés dans des systèmes binaires avec des compagnes de faible masse et des orbites à faible excentricité. Les chercheurs notent que les pulsars F, G et H ont des périodes orbitales de l'ordre de 2 à 16,94 jours, ce qui est typique des binaires pulsar-naine blanche. Les pulsars I et L, en revanche, ont des périodes orbitales d'environ 1 jour, ressemblant d'avantage à des "dos rouges" (le pulsar étant accompagné d'une étoile de très faible masse qui est irradiée par le pulsar).  Mais comme il n'apparaît pas d'éclipse des pulsations radio comme c'est souvent le cas dans les dos rouges, les astrophysiciens penchent vers des compagnes plus compactes, notamment là encore des naines blanches mais de faible masse. 
Evidemment, pour Alessandro Ridolfi comme pour nous, les pulsars les plus intéressants parmi ces 13 nouveaux sont les deux pulsars millisecondes binaires à forte excentricité : NGC 1851 D et E. Leurs paramètres orbitaux ont été déterminés avec une grande précision . Ces systèmes ressemblent à NGC 1851 A, le pulsar binaire précédemment connu dans l'amas : ils ont de grandes excentricités orbitales et des compagnes massives, ce qui suggère qu'ils sont très probablement le résultat de rencontres d'échange secondaires, dans lesquelles la naine blanche He originale de faible masse qui a recyclé ces pulsars a été remplacée par le compagnon actuel, plus massif. NGC 1851 D est sur une orbite de 5,69 jours avec une excentricité de e = 0,86. Pour une masse de pulsar typique de 1,4 M⊙, les chercheurs déduisent une masse de compagnon supérieure à 0,48 M⊙. Par conséquent, selon eux, il doit s'agit d'une naine blanche carbone-oxygène massive. Le pulsar a également été détecté à plusieurs reprises dans les données existantes des radiotélescopes GMRT et GBT. En utilisant ces données, Ridolfi et ses collaborateurs ont ainsi pu étendre sa solution orbitale jusqu'à mai 2005, lorsque le GBT avait commencé à observer régulièrement NGC 1851 A.
NGC 1851 E est quant à lui dans une orbite de 7,44 j, un peu moins excentrique (e = 0,71), mais la compagne est plus massive : pour Mp = 1,4 M⊙, les chercheurs  calculent une masse de la compagne supérieure à 1,53 M⊙, ce qui indique que c'est très probablement une étoile à neutrons. 
Avec ces nouvelles découvertes, NGC 1851 se hisse maintenant à la quatrième place des amas globulaires riches en pulsars, à égalité avec M28 (14 pulsars), derrière Terzan 5 (39 pulsars), 47 Tucanae (29 pulsars) et Omega Centauri (15 pulsars). Sa population de pulsars présente des similitudes remarquables avec celle de M28, Terzan 5 et d'autres amas aux paramètres structurels comparables. Les pulsars nouvellement découverts sont tous situés dans la région la plus interne de NGC 1851 et permettront probablement, entre autres, des études détaillées de la structure et de la dynamique de l'amas. 
Alessandro Ridolfi et son équipe pensent déjà à la suite et à la recherche de pulsars supplémentaires au-delà du rayon de demi-masse de l'amas, des pulsars qui ont été jusqu'à présent exclus en raison de contraintes de calcul et de temps. Cela pourrait révéler, par exemple, des systèmes qui ont pu être éjectés du noyau de l'amas pendant les interactions d'échange secondaires, et qui n'ont pas encore eu le temps de retomber dans le noyau. En complément, des méthodes plus sophistiquées (mais souvent plus exigeantes en termes de calcul) pourront être utilisées pour la détection de pulsars, selon eux, telles que les recherches de saccades, les recherches de modulation de phase, les algorithmes de "template-banking" sur 3 ou 5 paramètres képlériens, ainsi que les algorithmes de "pliage rapide". Les trois premières méthodes ont un potentiel plus élevé de dévoiler des pulsars rapides dans des binaires extrêmement compactes, tandis que la dernière est plus sensible aux pulsars très lents et isolés. Grâce à ces recherches, nous pourrons savoir si l'absence intrigante de pulsars araignées est réelle ou si elle résulte des limitations actuelles de nos techniques de recherche. 
Ensuite, avec des observations supplémentaires, des solutions temporelles pour tous les pulsars pourraient être obtenues ce qui permettrait une détermination beaucoup plus précise de leurs positions projetées, et donc de rechercher d'éventuelles contreparties en rayons X dans les données de Chandra, ainsi que les contreparties optiques ou infra-rouge des pulsars binaires dans les données de Hubble et de Webb .
En outre, la poursuite du chronométrage des quatorze pulsars de NGC 1851 dans les années à venir permettra de mesurer les mouvements propres et les dérivées de la période de rotation pour tous les pulsars. Cela permettra de contraindre le potentiel gravitationnel de l'amas et de sonder la présence de matière non lumineuse, comme un éventuel trou noir de masse intermédiaire en son centre. Une étude plus approfondie des motifs de scintillation observés dans les pulsars, pourrait aussi mettre en lumière la présence éventuelle d'un milieu intra-amas, comme cela a déjà été observé dans 47 Tuc.
Concernant les pulsars binaires, et en particulier pour les systèmes très excentriques NGC 1851 D et E, le chronométrage à long terme donnera des mesures précises du taux d'avancement du périastre, un des  paramètres post-képlériens très utiles pour déterminer les masses des différentes composantes individuelles. Une détection du retard de Shapiro peut aussi, lorsqu'elle est combinée avec une mesure de la dérivée de la vitesse de rotation, donner des masses précises. Pour NGC 1851E, il devrait être possible de mesurer le "retard d'Einstein (γE)", mais, comme dans le cas de NGC 1851A, cela prendra au moins une décennie d'après Ridolfi. Pour toutes les binaires, les mesures de la dérivée de la période orbitale donneront accès à une estimation fiable du taux de spin-down intrinsèque, du champ magnétique de surface et donc de l'âge des pulsars.

Au fur et à mesure que de plus en plus d'amas globulaires sont observés en radio à la recherche de signaux pulsés, on s'attend à voir augmenter de manière significative la population connue de pulsars dans d'autres amas globulaires. Autant de nouvelles détections qui offriront de nouvelles études menant à une compréhension beaucoup plus profonde des conditions et des processus physiques qui conduisent l'évolution de ces systèmes stellaires.


Source

TRAPUM discovery of 13 new pulsars in NGC 1851 using MeerKAT
A. Ridolfi et al.
A&A Volume 664 (3 August 2022)



Illustrations 

1. NGC 1851 par Damian Peach.
2.Variations à court terme de la densité de flux  dans le domaine temporel pour le pulsar isolé NGC 1851 C (à gauche) et le pulsar binaire NGC 1851 E (à droite) (Alessasndro Ridolfi et al.)
3. Compilation du nombre de pulsars détectés dans les amas globulaires (Alessasndro Ridolfi)
 

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