Une étude des cyclones polaires de Jupiter a été menée durant cinq ans avec la sonde Juno et montre la très grande stabilité de ces structures étonnantes. Que ce soit au niveau du pôle nord ou du pôle sud de Jupiter, les huit vortex du nord et les 5 du sud sont restés presque imperturbables durant toutes ces années. L'étude est publiée dans Journal of Geophysical Research: Planets.
Les polygones réguliers des cyclones circumpolaires de Jupiter ont été découverts par Juno en 2017, et sont l'une des caractéristiques les plus déroutantes de la planète géante. L'observation de ces structures qui paraissent durables pose des questions sur le mécanisme de formation des cyclones, et sur leur structure verticale. Alessandro Mura (INAF) et ses collaborateurs ont exploité les données de la caméra infrarouge JIRAM (Jovian InfraRed Auroral Mapper) de Juno, qui ont été collectées au cours des 5 dernières années.
Le pôle Nord est occupé par un cyclone polaire (PC) qui est entouré de huit cyclones circumpolaires (CPC), tandis que le pôle Sud est lui peuplé de cinq cyclones entourant un cyclone polaire. Il avait été observé en 2018 que les CPC du sud avaient approximativement la même taille que le PC qu'ils entourent, tandis que les CPC du nord sont, en moyenne, plus petits que le PC du nord. L'année dernière, plusieurs observations ont été rapportées. Il est premièrement apparu que tous les cyclones présents dans les structures semblent durables et stables : les chercheurs ont estimé que leur durée de vie devait être supérieure à 20 ans. Ensuite, les structures formées par les CPC semblent tourner très lentement, les structures Nord et Sud ayant des vitesses de rotation différentes (respectivement 3° et 7° par an, vers l'ouest). Enfin, les cyclones sont soumis à des oscillations qui se propagent de l'un à l'autre et dont l'échelle de temps est de l'ordre de quelques mois.
Au sein de la structure formée par les CPC, de petits tourbillons anticycloniques sont souvent observés, tant au pôle Nord qu'au pôle Sud. Ces anticyclones ont souvent une taille inférieure à 1 000 km, comme l'ont observé Adriani et al. en 2020. Pour les cyclones, les vitesses tangentielles augmentent à partir du centre jusqu'à un maximum d'environ 1000 km, où des valeurs typiques de 50 à 100 m/s sont atteintes, selon le cyclone spécifique considéré, tandis que les tourbillons anticycloniques plus petits ont également des vitesses plus faibles. Dans cette nouvelle étude, Mura et ses collaborateurs se concentrent sur les caractéristiques (stabilité et instabilité de la position) des plus grands cyclones. Il existe deux classes de modèles pour ces cyclones : des modèles convectifs " profonds " et des modèles " peu profonds ". Dans les modèles convectifs profonds, les cyclones sont générés dans la couche mixte de surface sous l'influence de panaches convectifs qui s'enracinent profondément dans l'atmosphère jovienne et échangent de la chaleur de la partie interne à la base de la couche mixte. Dans les modèles peu profonds, c'est un forçage de surface qui est responsable de la formation de tourbillons en équilibre géostrophique, donc caractérisés par un faible champ de vitesse verticale (par rapport à la vitesse horizontale).
Parmi les modèles convectifs, un modèle récent de Siegelman et al. (2022), a montré qu'à des échelles de l'ordre de 100 km ou moins, la turbulence aux pôles de Jupiter est dominée par des instabilités convectives peu profondes qui peuvent alimenter en énergie des cyclones beaucoup plus importants. Parmi les modèles peu profonds, des études ont été réalisées soit en tenant compte des (petites) accélérations verticales et en supposant que l'échelle verticale de l'écoulement turbulent est beaucoup plus petite que l'échelle horizontale, ou en utilisant l'approximation barotrope, où le champ de vitesse vertical est constant et les accélérations verticales nulles.
Li et al. ont ainsi pu reproduire en 2020 la dérive vers le pôle et le regroupement en motifs polygonaux réguliers qui sont stables, si la couche peu profonde qui les accueille n'est pas trop fine ou trop profonde et seulement si chaque cyclone est protégé par un anneau anticyclonique de vorticité.
Les images infra-rouge de Juno montrent que les cyclones migrent autour de ce qui peut sembler être des positions d'équilibre, avec des échelles de temps de quelques mois mais, en dehors de cela, les systèmes cycloniques sont extrêmement stables. L'analyse des observations que font les planétologues montre que le mouvement des cyclones autour de leur position d'équilibre n'est pas corrélé avec leur position, si l'on suppose une approximation barotrope (où la pression varie avec la densité). Ainsi, une explication dynamique différente de la dérive barotrope est nécessaire pour expliquer la stabilité observée. Par ailleurs, chaque cyclone a une morphologie particulière, qui diffère des autres et qui est stable sur le laps de temps observé dans la plupart des cas.
L'observation de CPCs de longue durée pose des questions concernant leur mécanisme de formation, et si ces cyclones sont des structures profondes ou peu profondes. Mura et son équipe observent qu'après 5 ans, la structure 8 + 1 PC Nord et la structure 5 + 1 PC Sud montrent de très faibles changements. Selon eux, la durée de vie d'un cyclone unique est donc supérieure à 25 ans et peut-être même supérieure à 75 ans. De plus, les cyclones uniques apparaissent avoir une morphologie particulière et celle-ci est souvent conservée après 5 ans. En particulier, c'est la première fois que les chercheurs peuvent observer à nouveau le système des CPCs du Nord depuis sa découverte en 2017, et ils constatent que la structure est presque inchangée.
Les chercheurs concluent que le mouvement relatif des cyclones n'est pas expliqué par le modèle de "dérive bêta" si l'on suppose que tous les cyclones ont une taille et un profil radial de vitesse tangente similaires, ce qui est effectivement suggéré par le fait qu'ils sont observés aux sommets de polygones réguliers. Il reste cependant la possibilité que le modèle puisse reproduire le mouvement de dérive observé avec des paramètres différents, variant d'un cyclone à l'autre. Et le fait que chaque cyclone a une morphologie particulière différente, qui a été conservée pendant 5 ans, et qui est rapporté ici, soutient cette possibilité. En résumé, Mura et ses collègues concluent que l'observation des vents sommitaux des cyclones ne permet pas d'expliquer leur mouvement. Parmi les nombreuses alternatives, il existe soit des modèles " peu profonds ", soit des modèles " profonds ". Dans le premier cas, il se pourrait par exemple qu'un anneau anticyclonique, entourant les cyclones, fournisse un bouclier, nécessaire à la stabilité du modèle polygonal (Scarica et al., 2022). Ce modèle est soutenu par les observations JIRAM de cette étude. Dans le second cas, les quantités clés des observations JIRAM sont probablement la vitesse angulaire différente et le nombre différent de cyclones observés aux deux pôles, ce qui suggère des régimes de nombre de Rayleigh légèrement différents aux deux pôles, peut-être dus à des profils de stratification différents. Cette hypothèse peut soutenir les suggestions de Cai et al. (2021) expliquant que les tourbillons se produisant dans les géantes gazeuses se forment par convection turbulente planétaire profonde ce qui, sous certaines conditions favorables, permet la stabilité des configurations.
Pour finir, Mura et ses collaborateurs rapportent quelques observations nouvelles par rapport à leurs précédentes d'il y a cinq ans. La première est l'apparition récurrente d'un petit cyclone "intrus" dans la même lacune du pôle nord, à mi-chemin entre CPC1 et CPC5. Le fait que les cyclones intrus puissent avoir un endroit préféré est assez difficile à expliquer en termes d'effet bêta, selon eux, et également parce que les intrus semblent simplement apparaître, plutôt que de dériver dans l'espace entre CPC1 et CPC5. Les chercheurs notent cependant que leur échantillonnage temporel (2 mois) peut cacher certains mouvements plus rapides. A la fin de la mission Juno, la période de son orbite sera réduite à 1 mois, ce qui devrait permettre d'avoir une meilleure compréhension de ces phénomènes.
La deuxième observation nouvelle est la présence de deux petits cyclones, qui ont duré au moins 7 mois, à l'intérieur du noyau de CPC4, ce qui suggère que les petites caractéristiques à l'intérieur des noyaux de cyclones pourraient être plus stables que les grandes caractéristiques à l'extérieur.
Enfin, un élément substantiel à prendre en compte pour une théorie de la stabilité des cyclones est la preuve qu'il existe seulement 4 classes morphologiques différentes dans lesquelles on peut diviser les 15 cyclones des deux pôle, et que, à de très rares exceptions près, les cyclones ont tendance à conserver la même morphologie tout au long de la période d'observation. Il s'agit du paramètre le plus complexe à utiliser comme entrée d'un modèle parce qu'il est difficile de définir une quelconque quantité à partir de la morphologie des observations. Néanmoins, au fur et à mesure que les modèles de formation et de stabilité des cyclones deviennent disponibles et cohérents avec les observations, ils peuvent ensuite être testés à la lumière de ces propriétés morphologiques. Bien que la modélisation avec un tel niveau de détail puisse demander beaucoup de temps et d'efforts, et puisse ne pas être possible dans un futur immédiat, les observations de ces différences entre les cyclones démontrent l'importance d'avoir une couverture aussi continue que possible de ce qui se passe aux pôles de Jupiter...
Source
Five Years of Observations of the Circumpolar Cyclones of Jupiter
A. Mura et al.
Journal of Geophysical Research:planets (05 September 2022)
Illustrations
1. Image infra-rouge des cyclones du pôle Nord de Jupiter (Mura et al.)
2. Image infra-rouge des cyclones du pôle Sud de Jupiter (Mura et al.)
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