lundi 16 janvier 2023

Webb déniche des galaxies "petits pois" à l'époque de la réionisation


Une nouvelle analyse spectrale des galaxies lointaines imagées par le télescope spatial James Webb montre qu'elles partagent des similitudes remarquables avec les galaxies "petits pois", une classe rare de petites galaxies dans notre arrière-cour cosmique. L'étude est parue dans The Astrophysical Journal Letters.

Les observations Early Release Observations du JWST tiennent toutes leurs promesses dans la caractérisation de l'univers à l'aube cosmique. C'est ici avec le spectrographe NIRSpec que James Rhoads (NASA Goddard Space Flight Center) et ses collaborateurs ont observé trois galaxies située à un redshift z d'environ 8 pour déterminer leurs métallicités, températures de gaz et ionisation. La plus éloignée des trois, J0723–7326 a un redshift de 8,49, ce qui signifie qu'elle se trouve 600 millions d'années post Big Bang. Ces galaxies offrent la première opportunité de comprendre les propriétés physiques des galaxies de l'époque de la réionisation grâce à la spectroscopie détaillée de raies d'émission dans le visible (dans le référentiel au repos), vues dans l'infra-rouge par Webb.
Les astrophysiciens comparent ensuite les abondances et les rapports de raies d'émission trouvées à un échantillon proche de galaxies "petis pois" (green peas en anglais), une population de galaxies à raie d'émission proches, qui apparaissent souvent comme des petites boules vertes et dont les propriétés UV ressemblent aux galaxies de l'époque de la réionisation et qui ont souvent de grandes fractions d'échappement du continuum Lyman. Les galaxies "petits pois" ont été découvertes et nommées en 2009 par des bénévoles participant au Galaxy Zoo , un projet où des scientifiques citoyens aident à classer les galaxies dans de nombreuses images du Sloan Digital Sky Survey. Les petits pois se distinguaient comme de petits points ronds et non résolus avec une teinte nettement verte, conséquence à la fois des couleurs attribuées aux différents filtres dans les images composites du relevé et d'une propriété des galaxies elles-mêmes. Ces galaxies petits pois ne représentent que 0,1% des galaxies proches dans le relevé SDSS. La couleur de ces galaxies est inhabituelle car une fraction importante de leur lumière provient de nuages ​​​​de gaz brillants. Les gaz émettent de la lumière à des longueurs d'onde spécifiques, contrairement aux étoiles, qui produisent un spectre de couleur continu. Les galaxies petit pois peuvent être petites, mais leur activité de formation d'étoiles est inhabituellement intense pour leur taille, elles produisent donc une lumière ultraviolette brillante.


Rhoads et ses collaborateurs relèvent d'autres similitudes frappantes entre leurs trois galaxies à décalage vers le rouge élevé et les galaxies "petits pois" proches. Elles couvrent la même gamme de métallicité, alors qu'un redshift de 8 positionne les premières à peine 650 millions d'années après le Big Bang alors que les secondes se trouvent 13 milliards d'années après. Et elles ont une morphologie compacte similaire, qui serait typique des galaxies dominées par les raies d'émission et qui serait donc valable à tous les décalages vers le rouge. Sur la base de ces similitudes avec les petits pois dont les caractéristiques sont assez bien connues de par leur proximité, Rhoads et ses collaborateurs estiment que les trois galaxies lointaines qu'ils ont observées avec Webb, avec leurs empreintes chimiques détaillées, pourrait être les galaxies les plus primitives identifiées à ce jour. Le petit pois le plus éloigné des trois ne contient par exemple que 2% de l'abondance d'oxygène d'une galaxie comme la nôtre. Il s'agit dans les deux cas de galaxies très compactes puisque les unes comme les autres font environ 4000 années-lumière de diamètre seulement (5% de la taille de la Voie Lactée).
Ces trois galaxies de type "petits pois" mais très éloignées ont été dénichées en arrière plan de l'amas de galaxies SMACS 0723, la première image profonde de Webb produite l'année dernière. La masse de l'amas en fait une lentille gravitationnelle, qui à la fois grossit et déforme l'apparence des galaxies d'arrière-plan. La plus éloignée des trois galaxies petits pois observées par Rhoads et al. a été agrandie environ 10 fois par l'effet de l'amas, fournissant une aide significative en plus des capacités sans précédent du télescope (les deux autres : par un facteur 2,7 et 1,6). 

Les astrophysiciens concluent que, comme ces galaxies qui sont toutes les trois de puissantes émettrices de raies monochromatiques, avec des spectres rappelant les galaxies petits pois proches, cela corrobore les conclusions antérieures selon lesquelles les galaxies petits pois proches sont parmi les meilleures analogues des galaxies à décalage vers le rouge élevé de l'époque de la réionisation. 
Les analogues à faible décalage vers le rouge pour les galaxies de l'époque de la réionisation ont été d'une valeur considérable ces dernières années, car elles ont permis d'étudier dans des objets proches des propriétés qui ne pouvaient pas être directement étudiées dans les galaxies faibles et décalées vers le rouge de l'aube cosmique. Le télescope Webb permet désormais des mesures directes des nombreuses quantités physiquement intéressantes qui peuvent être dérivées des raies d'émission. On peut citer la métallicité, la température, le paramètre d'ionisation, la densité et la pression du gaz. Mais malgré cela, l'importance des analogues locaux reste intacte parce que certaines propriétés restent hors d'atteinte à un décalage vers le rouge élevé en raison de la sensibilité. Par exemple, l'émission radio du gaz atomique dans des galaxies uniques peut être étudiée dans les galaxies petits pois proches comme cela a été fait en g2021 et 2022 par Kanekar et al. et Purkayastha et al., or c'est bien hors de portée dans l'univers jeune. D'autres mesures importantes sont également exclues à fort décalage vers le rouge, notamment la fraction d'échappement des rayonnements ionisants, qui ne peut pas être observée efficacement à z ≳ 4 en raison de l'absorption par le gaz neutre résiduel dans le milieu intergalactique. La détection de fractions d'échappement du continuum de Lyman de plusieurs dizaines de pourcents, et même supérieur à 50 % dans certaines galaxies petits pois, est un ingrédient clé pour comprendre les sources de réionisation. 
Ainsi, Webb permet désormais d'établir la validité des populations analogues locales avec des détails et une confiance sans précédent, ce qui ouvre la voie à de nouveaux progrès en utilisant à la fois les jeunes galaxies les plus éloignées et les plus proches.

Source

Finding Peas in the Early Universe with JWST
James E. Rhoads et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 942, Number 1 (3 january 2023)

Illustrations

1. Localisation des trois galaxies similaires à des petits pois observées par Webb à z ~8 (Goddard Space Flight Center/Rhoads et al.)
2. Comparaison de spectres d'émission entre deux petits pois locales et les trois de l'époque de réionisation (après correction du décalage dû à l'expansion cosmique) (Goddard Space Flight Center/Rhoads et al.)

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