Une équipe de physiciens états-uniens a mesuré la probabilité d'une réaction clé qui intervient dans le cycle CNO du Soleil, en la reproduisant en laboratoire souterrain. Il s'agit de la capture d'un proton par un noyau d'azote-14 qui produit un noyau d'oxygène-15. Cet isotope de l'oxygène se désintègre ensuite en azote-15 en émettant un neutrino, dont la détection est cruciale pour connaître la composition du Soleil en éléments plus lourds que l'hélium. Ils publient leurs résultats dans Physical Review C.
Le cycle CNO est la principale source d'énergie dans les étoiles massives pendant leur phase de combustion de l'hydrogène, et, pour le soleil, il y contribue au niveau d'environ 1% seulement, la grande majorité de son énergie étant produite par le processus des chaînes pp. Le cycle CNO est donc pour le Soleil un mécanisme secondaire de conversion de l'hydrogène en hélium, mais la détection des neutrinos qu'il produit peut nous renseigner directement sur l'abondance de ces trois éléments dans le coeur du Soleil, et donc sur sa métallicité. Dans le modèle solaire standard, l'une des principales incertitudes dans la description de l'intérieur du soleil est justement la métallicité du noyau, son contenu en carbone, azote et d'oxygène. Or les abondances élémentaires, basées sur l'analyse spectroscopique de l'atmosphère solaire, sont en désaccord avec les profils solaires de vitesse du son et de densité ainsi que la profondeur de la zone convective et l'abondance de l'hélium obtenues par héliosismologie.
Rappelons que ce qu'on appelle le cycle CNO est une séquence catalytique de réactions de capture de protons, suivies de désintégrations β sur les isotopes de C, N et O. Le cycle primaire CNO-I est le suivant : 12C(p, γ)13N(β+ν)13C(p, γ)14N(p, γ)15O(β+ν)15N(p, α)12C. La source principale des neutrinos CNO provient de la désintégration β+ des isotopes 13N et 15O. L'analyse du flux de neutrinos solaires, qui permettra de déterminer l'abondance des éléments du cycle, nécessite donc une connaissance détaillée de tous les taux de réaction associés au cycle CNO.
Comme la réaction 14N(p, γ)15O est la plus lente du cycle, c'est elle qui détermine le taux de production d'énergie du cycle CNO et donc la contribution de CNO au flux de neutrinos solaires. Les "neutrinos CNO" sont donc produits principalement à partir de la désintégration β+ de 15O et, dans une moindre mesure, de la désintégration β+ de 13N. Les neutrinos solaires CNO sont difficiles à détecter, mais récemment, des neutrinos CNO provenant de 15O ont été identifiés pour la première fois avec le détecteur de neutrinos Borexino
au laboratoire souterrain du Gran Sasso (en novembre 2020, épisode 1103). Mais il existe encore des incertitudes considérables en ce qui concerne
le taux de la réaction 14N(p, γ )15O dans des conditions de température solaire. Bryce Frentz (Université de Notre Dame) et ses collaborateurs ont obtenu des données de réaction à basse énergie mesurées grâce à l'accélérateur souterrain CASPAR (Compact Accelerator System for Performing Astrophysical Research), qui est installé dans le laboratoire souterrain de Sanford (Dakota du Sud).
CASPAR est l'un des trois accélérateurs de particules installés dans un laboratoire souterrain pour pouvoir étudier des réactions d'astrophysique nucléaire de très faible intensité, qui nécessitent un environnement gamma à ultra-bas bruit de fond, pour pouvoir distinguer les très faibles émissions gamma qui accompagnent les réactions étudiées. De telles mesures seraient impossibles au niveau de la mer. Nous avons déjà parlé ici des deux autres installations du même type que sont LUNA dans le laboratoire italien du Gran Sasso et JUNA dans le laboratoire chinois de Jinping.
Les mesures de Frentz et ses collaborateurs avec CASPAR visent à relier les mesures déjà existantes à des énergies plus élevées et tentent de mettre en lumière les divergences entre les différents ensembles de données, tout en progressant vers une
meilleure compréhension de la section efficace de la réaction 14N(p, γ )15O. Leurs mesures couvrent des énergies de proton
entre 0,27 et 1,07 MeV, comblant ainsi une lacune critique dans les données existantes.
En analysant les spectres gamma mesurés à proximité de la cible d'azote (la distribution en énergie des photons gamma produits lors de la production d'oxygène-15), les chercheurs peuvent déterminer quelle est la section efficace correspondante, pour une énergie donnée de proton incident. En répétant l'expérience pour différentes énergies d'accélération de protons, ils montrent comment évolue cette section efficace en fonction de l'énergie des protons. Ils peuvent ainsi produire une analyse multi-canaux avec toutes les données nouvelles et existantes pour extrapoler les facteurs pertinents pour l'astrophysique de l'état fondamental et de la transition de 6,79 MeV de l'oxygène-15.
Ces mesures comblent le fossé qui existait entre les mesures à basse énergie et celles à haute énergie.
Les nouveaux paramètres déterminés se traduisent par un changement de la vitesse de réaction, le nouveau taux étant environ 50 % plus faible que celui obtenu dans les études précédentes de Caughlan et Fowler (1988) et Angulo et al. (1999) et elle est 15% plus élevée que celle basée sur les prédictions de LUNA publiées en 2005. Comme pendant la combustion du CNO, les divers processus nucléaires associés sont en équilibre, l'augmentation du taux se traduirait donc par une augmentation de la production de neutrinos CNO provenant de la désintégration de 15O, car le taux de désintégration du 15O correspond directement au taux de production de 14N(p,γ)15O. Ce résultat, en principe, soutiendrait donc l'augmentation du flux de neutrinos qui avait été observée par le groupe Borexino en 2020.
Après la récente mesure fournissant la contrainte la plus stricte sur la durée de vie de l'état à 6,79 MeV de l'oxygène-15 publiée en 2021 par l'équipe de Frentz, et maintenant ces nouveaux résultats, les chercheurs concluent que les plus grandes sources d'incertitude dans cette réaction se situent maintenant dans les transitions les plus faibles, en particulier aux basses énergies. Des mesures supplémentaires de la transition vers l'état fondamental de l'oxygène-15 aux basses énergies pourraient apporter des informations supplémentaires, en particulier avec des mesures de la distribution angulaire des photons gamma et des mesures supplémentaires en dessous de la résonance à 278 keV de la section efficace. Des mesures qui devraient être accessibles non seulement avec CASPAR, mais aussi avec LUNA et JUNA.
Source
Investigation of the 14N(p, γ)15O reaction and its impact on the CNO cycle
Bryce Frentz et al.
Physical Review C 106, 065803 (20 december 2022)
Illustration
1. Le cycle CNO
2. L'accélerateur CASPAR (Sanford Underground Research Facility)
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire