samedi 28 janvier 2023

Détection d'éclipses de rayons gamma dans des pulsars binaires


Une équipe d'astrophysiciens a découvert les premières éclipses de rayons gamma dans sept systèmes de pulsars binaires en utilisant plus de 10 ans de données du télescope spatial Fermi-LAT. Ces éclipses apparaissent lorsque l'étoile compagne passe devant le pulsar lors de son orbite, et elles permettent aujourd'hui d'affiner les paramètres orbitaux, et donc de mieux contraindre la masse des étoiles à neutrons... L'étude est parue dans Nature Astronomy.

Des mesures fiables de la masse des étoiles à neutrons sont essentielles pour déterminer l'équation d'état de la matière nucléaire froide, mais de telles mesures sont rares. Les systèmes de type "veuves noires" et "redbacks" sont des binaires compactes composées de pulsars millisecondes plutôt massif en général et d'étoiles compagnes semi-dégénérées de très faible masse qui sont en cours de destruction lente par le rayonnement et l'accrétion du pulsar. La spectroscopie des étoiles compagnes optiquement brillantes peut permettre de déterminer leurs vitesses radiales, et les variations des pulsations radio donnent la vitesse du pulsar, fournissant donc finalement des estimations de la masse de pulsar, mais celles-ci sont dépendantes de l'inclinaison de l'orbite. Alors que les inclinaisons peuvent être déduites à partir de caractéristiques subtiles dans les courbes de lumière optique, ces estimations peuvent en revanche être systématiquement biaisées en raison de modèles de chauffage incomplets et d'une variabilité mal comprise. Or, la masse déduite de la vitesse radiale dépend de l'inverse du sinus de l'angle d'inclinaison au cube... Par exemple, lorsque la compagne orbite autour du pulsar, son côté surchauffé apparaît et disparaît, créant une fluctuation de la lumière visible qui dépend elle aussi de l'inclinaison. Il en résulte que les modèles avec différents modes de chauffage qui sont utilisés pour exploiter ces observations prédisent parfois différentes masses de pulsar.
Pour pallier cette faiblesse dans l'estimation des masses des pulsars, Colin Clark (université de Hanovre) et ses collaborateurs ont cherché à observer des éclipses de pulsar par leur petite étoile compagne, et pas avec n'importe quel type de rayonnement provenant du pulsar : avec les rayons gamma qu'il produit. Voir une telle éclipse permet de déterminer immédiatement que l'inclinaison du plan orbital du système est proche de 90°, vu par la tranche. De cette façon, l'incertitude sur la masse de l'étoile à neutrons inférée à partir de la vitesse radiale de l'étoile compagne n'est plus liée à une détermination de l'angle d'inclinaison via la lumière associée au chauffage de l'étoile, cet angle d'inclinaison est maintenant déterminé assez précisément du fait de l'existence de l'éclipse, ce qui offre une bien meilleure valeur de la masse de l'étoile à neutrons.
Clark et ses collaborateurs ont utilisé ce qui se fait de mieux en matière de télescope gamma, à savoir le télescope spatial américain Fermi-LAT et l'ont pointé sur 49 systèmes binaires "araignées" précédemment connus. Parmi ces systèmes, ils ont décelé la présence de 7 systèmes montrant des éclipses périodiques des rayons gamma. Et parmi ces sept systèmes se trouve le pulsar veuve noire PSR B1957+20, qui fut la première veuve noire détectée en 1988, par Fruchter et al. 
Avant Fermi-LAT, nous ne connaissions qu'une poignée de pulsars qui émettaient des rayons gamma, mais après plus d'une décennie d'observations, la mission en a identifié plus de 300 et a collecté un ensemble de données qui permet à la communauté de faire de la belle science. Les rayons gamma ne sont générés que par le pulsar et sont suffisamment énergétiques pour ne pas être affectés par le gaz résiduel entre le pulsar et l'étoile compagne, mais cette dernière fait bien écran malgré sa petite taille, qui est toujours plus grande que celle de l'étoile à neutrons, même si elle est 20 fois plus légère.
Le cas de PSR B1957+20, ou B1957 en abrégé, est très intéressant car les modèles antérieurs pour ce système, construits à partir d'observations en lumière visible, avaient déterminé qu'il était incliné d'environ 65 degrés par rapport à notre ligne de visée et de ce fait, la masse du pulsar. était estimée à une valeur de 2,4 masses solaires, ce qui en ferait le pulsar le plus massif connu, à la limite théorique de la stabilité des étoiles à neutrons. Or, dans les données de Fermi-LAT, le flux de photons gamma provenant de B1957 perd 15 photons (sur toute la durée d'observation!), à la même phase de l'orbite, qui apparaît toutes les 9,2h (la période orbitale du couple), passant de 75 photons à 60. La durée de cette éclipse gamma sur ce pulsar dure 1% de l'orbite. Cela permet à Clark et à son équipe de dire que l'angle d'inclinaison de B1957 n'est pas de 65°, mais est compris entre 84,1° et 90°. A partir de là, les chercheurs recalculent la masse de l'étoile à neutrons et trouvent 1,81 ± 0,07 masses solaires. Elle aurait donc une masse bien plus raisonnable. 
L'éclipse la plus longue est observée dans le PSR J1048 +2339, d'une durée de 6 à 12% de la période orbitale, tandis que la durée d'éclipse maximale attendue pour une compagne remplissant le lobe de Roche dans ce système est de 8%. Belle cohérence. Pour ce pulsar, l'angle d'inclinaison déduit est au minimum de 80,4° ce qui mène à une masse d'étoile à neutrons 1,58 ± 0,14 masses solaires.
L'éclipse la plus significative qui est observée est celle de PSR J2129 -0429, elle représente un déficit de pas plus de 20 photons sur les 11,4 ans de données LAT considérées ici ! Ce dernier a un angle d'inclinaison déduit compris entre 76,3° et 90°, ce qui conduit à une masse de l'étoile à neutrons de 1,70 ± 0,23 masses solaires.
En conclusion, Clark et ses collaborateurs se prennent à rêver un peu. Ils notent que les pulsars qui sont éclipsés par leur étoile compagne passent aussi nécessairement devant la face chauffée de l'étoile une demi-orbite plus tard. Comme les étoiles à neutrons sont de très petite taille par rapport à leur étoile compagne, mais ont des champs gravitationnels intenses, elles agiront comme des lentilles gravitationnelles, amplifiant le flux optique de l'étoile. Le degré exact du grossissement ne dépend que de la masse du pulsar et de la séparation orbitale. La détection de cette lentille gravitationnelle fournirait donc une mesure indépendante de la masse de l'étoile à neutrons. Le grossissement dû à la lentille devrait être de l'ordre de 0,001  mag. Les effets de ce niveau peuvent malheureusement être masqués par une variabilité à court et à long terme de l'ordre de 0,1 mag, ainsi que par des incertitudes systématiques dans la courbe de lumière dues à des modèles de chauffage incomplets. Les chercheurs estiment que la détection de cet effet de lentille nécessitera une photométrie optique extrêmement sensible, empilée sur plusieurs orbites pour moyenner la variabilité, et une modélisation minutieuse pour démêler cet effet des effets de chauffage sous-jacents. Ils sont bien parvenus à voir un déficit de 15 photons sur une durée cumulée de plus de 11 ans, alors pourquoi pas ? 

Source

Neutron star mass estimates from gamma-ray eclipses in spider millisecond pulsar binaries
Colin Clark et al.
Nature Astronomy (26 january 2023)

Illustration

Vue d'artiste de PSR B1957+20 (NASA/CXC/M.Weiss)

1 commentaire :

Pascal a dit…

Décidément , les pulsars binaires à éclipses sont à l'honneur sur ca se passe la haut illustrant au passage la diversité et la richesse de ces systèmes !