Deux équipes d'astronomes sans liens mais utilisant le même télescope spatial à rayons X (XMM-Newton) ont observé deux événements similaires autour de trous noirs inactifs : des éruptions qui sont associées à la destruction d'étoiles, mais qui se répètent à intervalles réguliers, comme si l'étoile n'était pas entièrement détruite au premier passage. Les deux équipes ont publié leurs résultats respectifs par hasard le même jour, dans Astronomy & Astrophysics et dans The Astrophysical Journal Letters.
Cette découverte est pour le moins inattendue, car les destructions maréales d'étoiles (TDE, Tidal Disruption Events) qui ont été observées jusqu'à aujourd'hui ne se sont jamais répétées, l'étoile ayant été totalement détruite. Il peut donc exister des cas de figure dans lesquelle l'étoile parvient à survivre, au moins à un passage très rapproché du trou noir supermassif au champ gravitationnel destructeur.
Rappelons que les TDE sont des événements très intéressants car ils peuvent permettre de déceler des trous noirs quiescents, qui n'ont pas suffisamment de gaz en orbite pour émettre des rayonnements détectables. Or, lorsqu'ils détruisent une étoile en la déchirant, le nuage de gaz qui est accrété autour du trou noir est fortement échauffé par friction dynamique et voit sa température atteindre plusieurs millions de kelvins, ce qui provoque une intense émission de rayons X, que l'on peut détecter avec un télescope comme XMM-Newton. Et ces événements destructeurs sont parfois aussi visibles dans d'autres longueurs d'onde, et ce durant plusieurs mois.
Les études menées par Thomas Wevers (ESO) et ses collaborateurs d'un côté et par Zhu Liu (Max Planck Institut für Extraterrestrische Physik) et ses collaborateurs de l'autre, révèlent qu'une partie des étoiles aurait survécu à leur première rencontre rapprochée de leur trou noir. Les données X, complétées par des données UV, suggèrent en effet dans un cas comme dans l'autre qu'au moins une partie de l'étoile continue sa trajectoire après le sursaut de lumière et rencontre à nouveau le trou noir par la suite, entraînant des éruptions récurrentes. Ce phénomène inédit est désormais appelé une destruction partielle de marée. Les deux galaxies qui ont été le siège de ces événements se trouvent à environ 900 millions et environ 1 milliard d'années-lumière.
Zhu et ses collaborateurs ont observé des éruptions répétées de la source eRASSt J0456−2037 environ tous les 223 jours. Ils montrent que J0456−20 passe par quatre phases distinctes définies en fonction de sa variabilité en rayons X : une phase de montée menant à une phase de plateau des rayons X qui dure environ deux mois puis une phase de chute rapide du flux de rayons X au cours de laquelle le flux peut chuter de manière drastique de plus d'un facteur 100 en une semaine, suivie d'un état faible pendant environ deux mois avant que la phase de montée recommence. Ils notent que les spectres de rayons X sont généralement mous dans la phase montante et ils deviennent plus durs à mesure que le flux augmente. Par contre, J0456−20 ne montre qu'une variabilité UV modérée et aucune variabilité optique significative au-dessus du niveau de la galaxie hôte.
Avant de parvenir à la solution d'un TDE partiel qui est la plus probable selon eux, Zhu et ses collaborateurs évoquent plusieurs autres possibilités pour expliquer les propriétés observationnelles de J0456−20. Et la destruction partielle implique que la couronne de gaz issue de l'étoile peut se former autour du trou noir en quelques mois et est détruite en seulement quelques semaines.
L'autre TDE partiel, qui est appelé AT2018fyk a brillé en UV et en rayons X pendant au moins 500 jours, suivi d'une atténuation soudaine, puis en mai 2022, Wevers et ses collègues ont observé une augmentation spectaculaire de la luminosité des rayons X et des UV, soit 1200 jours après sa première détection avec des propriétés de la source similaires à celles de l'état d'accrétion antérieur.
Wevers et ses collaborateurs expliquent le phénomène par le fait que le noyau à haute densité de l'étoile a dû rester intact, et ce serait son enveloppe externe à faible densité qui aurait été dépouillée pour alimenter l'épisode d'accrétion lumineuse à plusieurs reprises. Dans le cas de TDE AT 2018fyk, les chercheurs calculent une masse de trou noir de 50 millions M⊙ environ. Ils fournissent également des prédictions testables pour le comportement du flux d'accrétion dans le futur ; si la deuxième rencontre était également une disruption partielle, ils prévoient un autre événement de forte atténuation vers le jour 1800 (août 2023) suivi d'une nouvelle éruption brillante vers le jour 2400 (mars 2025). Cette source fournirait des preuves solides de la destruction partielle d'une étoile par un trou noir supermassif.
Lors d'événements typiques de destructions maréales d'étoiles, étant donné la probabilité d'occurrence d'un passage trop rapproché d'une étoile auprès d'un trou noir, on s'attend à voir une éventuelle deuxième éruption provenant du même trou noir quelques milliers d'années après la première. Mais ici, les éruptions se reproduisant si rapidement qu'elles suggèrent que l'étoile partiellement détruite a été entraînée sur une orbite proche après avoir été arrachée d'un système stellaire binaire par le trou noir supermassif central.
Depuis leur découverte dans les années 1990, près de 100 événements de destruction maréale d'étoiles ont été observés. Ces deux événements de destruction partielle seront bien sûr surveillés de près pendant les périodes prévues des futurs épisodes d'éruption pour confirmer les résultats et faire d'autres découvertes. Il est aussi possible que plus rien ne se passe, ce qui signifierait que le dernier passage à proximité du trou noir aurait finalement été fatal...
Sources
Live to die another day: the rebrightening of AT2018fyk as a repeating partial tidal disruption event
T. Wevers et al.
The Astrophysical Journal Letters 942 (12 january 2023)
Deciphering the extreme X-ray variability of the nuclear transient eRASSt J045650.3−203750 : A likely repeating partial tidal disruption event
Z. Liu et al.
Astronomy and Astrophysics Volume 669 (12 january 2023)
Illustration
Schéma de l'événement AT2018fyk reconstruit par les auteurs (Wevers et al)
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