Une équipe d'astrophysiciens vient de découvrir que les anomalies observées dans des lentilles gravitationnelles s'expliquent beaucoup mieux en considérant que la matière noire est composée d'axions plutôt que de WIMPs, une avancée qui peut s'avérer majeure. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.
En observant des images de HS 0810+2554, un quasar lointain, Alfred Amruth (université de Hong Kong) et ses collaborateurs ont détecté des anomalies de luminosité dans les images multiples produites par la lentille gravitationnelle qui démultiplie ses images. Le système HS 0810+2554 comprend une galaxie elliptique massive de premier plan qui lentille quadruplement un quasar d'arrière-plan imagé dans l'optique avec Hubble et une paire de jets radio (émanant vraisemblablement de ce quasar) qui ont été imagés avec le réseau interférométrique européen à très longue base EVN.
Amruth et ses collaborateurs cherchaient à comprendre pourquoi les quasars lentillés gravitationnellement fluctuent en luminosité. Or la structure de matière noire permettant de reproduire le potentiel gravitationnel à l'origine de l'effet de lentille de cette galaxie ne permet pas de reproduire les fluctuations observées si elle est constituée d'un halo de WIMPs, car cela produit un potentiel beaucoup trop "lisse". En revanche, lorsque les chercheurs modélisent la matière noire de la galaxie lentille avec des bosons ultra-légers, des axions, les anomalies observées sont très bien reproduites, avec des bords plus fluctuants et chaotiques !
Ces axions possédant une masse extrêmement petite, de l'ordre de 10-22 eV, se comportent d'avantage comme des ondes que comme des particules. Amruth et ses collaborateurs appellent cette forme de matière noire "ondulatoire", constituée d'axions d'ultra-faible énergie : ψDM. Ils produiraient notamment des structures d'interférences constructives et destructives, à l'image de ce que produisent les photons. Ce comportement ondulatoire a pour effet de former une densité de matière noire qui n'a plus grand chose à voir avec la densité typique d'un halo sphérique de particules massives. La densité correspondante est très fluctuante, avec des zones surdenses et des zones vides, qui sont dues au phénomène d'interférence des axions entre eux.
Les images à lentilles multiples comme celles de HS 0810+2554, apparaissent le plus souvent près de la courbe critique de la galaxie lentille de premier plan, où le grossissement est le plus élevé. Dans les situations où les galaxies de premier plan et d'arrière-plan sont en alignement (presque) parfait, les images à lentilles multiples se fondent dans ce qu'on appelle un anneau d'Einstein. Dans le cas où le halo de matière noire est constitué de particules massives, on obtient une courbe critique lisse et presque circulaire, mais dans le cas d'un halo constitué d'axions ultra-légers au comportement ondulatoire, les calculs et les simulations montrent que l'on doit avoir une courbe critique très perturbée ainsi que des îlots de lentilles critiques isolés qui sont directement liés aux fluctuations de la densité de surface de ce halo. Et de telles fluctuations peuvent entraîner des perturbations à la fois des luminosités et des positions des images lentilles, exactement ce qui est observé sur HS 0810+2554.
Car ce sont non seulement des anomalies de luminosité qui sont observées avec Hubble, mais aussi des anomalies de positions, qui, elles, ne sont pas observables avec un télescope comme Hubble car beaucoup trop difficiles à distinguer (il faut une résolution de l'ordre de 10 millisecondes d'arc), mais de telles anomalies de position sont décelables par interférométrie radio à très longue base et ont été observées en 2019 sur HS 0810+2554. D'ailleurs, d'autres anomalies de position de lentilles gravitationnelles ont aussi été observées par la même méthode sur MG J0751+2716 en 2018 et CLASSE B0128+43717 en 2004.
La longueur d'onde de De Broglie correspondante pour un "halo" d'axions de si faible masse dépend de la masse de la particule, bien sûr, mais aussi de la masse du halo. Pour une particule de 10-22 eV et un halo de 1012 masses solaires (typiquement une grande galaxie), cette longueur d'onde vaut 150 pc et pour une galaxie naine ayant un halo de 1 milliard de masses solaires, cette longueur d'onde devient 1 kpc. Cela a des conséquences intéressantes puisque la distribution de la matière noire serait alors ce qu'on appelle un soliton, une onde qui peut se propager sans se déformer. Et ce comportement supprimerait la forme de cuspide dans le profil de densité de la matière noire des galaxies naines. Et ça tombe bien, parce qu'on n'a jamais pu observer cette forme de profil dans les galaxies naines, alors que le modèle à particules massives l'impose... Amruth et ses collaborateurs identifient un autre point qui va en faveur de la solution "ondulatoire" avec des axions ultra-légers : dans le modèle standard impliquant des particules de type WIMPs, des halos doivent se former à toutes les échelles de masse, et même plus abondamment lorsqu'on descend plus en masse, jusqu'à quelques masses solaires. Or on n'observe pas beaucoup de petits halos autour des grandes galaxies (qui doivent se matérialiser sous la forme de galaxies naines), c'est ce qu'on appelle le "problème des satellites manquants". Mais dans le cas des axions ultra-légers, la situation est drastiquement différente : les halos de faible masse ne peuvent pas se former. Hui et al. avaient démontré en 2017 que des axions de 10-22 eV supprimaient fortement les halos inférieurs à 10 milliards de masses solaires et produisaient même une coupure nette à 10 millions de masses solaires.
Bien que Amruth et ses collaborateurs n'aient travaillé qu'avec un seul quasar, ces résultats suggèrent que la matière noire ondulatoire, sous la forme de bosons ultra-légers pourrait être généralement applicable à un vaste éventail d'anomalies de lentilles qui sont observées dans différents systèmes. Les chercheurs étudient actuellement d'autres anomalies de luminosité, cette fois dans une supernova lentillée et leurs premiers résultats suggèrent là encore que les axions ultra-légers pourrait en être responsables.
Cela ne signifie pas forcément que la matière noire de type WIMP n'existe pas, mais simplement qu'elle ne semble pas être impliquée dans certains phénomènes de lentilles gravitationnelles. Et la cote des axions monte encore un peu plus... Des observations supplémentaires sont évidemment nécessaires, et avec de nouveaux observatoires comme les télescopes spatiaux Webb ou Roman et l'observatoire Vera Rubin, la question de la nature de la matière noire pourrait bientôt trouver enfin une réponse...
Source
Einstein rings modulated by wavelike dark matter from anomalies in gravitationally lensed images
Alfred Amruth et al.
Nature Astronomy (20 april 2023)
Illustration
1. HS 0810+2554 imagé par Hubble (ESA/NASA)
2. Grossissement de lentille gravitationnelle par un halo de WIMPs à gauche et un halo d'axions ultra-légers à droite (b,c et d) (Amruth et al.)
1 commentaire :
Bonjour,
L'axion est indubitablement à la mode : l'axiomania aboutit à un "axivers" peuplé de particules de masses allant de 10^-3 à 10^-33 ev, aux interactions à l'avenant. Initialement les axions sont créés pour solutionner le problème CP fort, puis aussi de la matière noire, avec des masses de l'ordre du micro au milli ev ; des axions ultralégers (ULAs) de 10^-22 ev pourraient résoudre les problèmes des satellites manquants, et de l'absence de cuspides des petites galaxies, en même temps qu'ils reproduisent bien les fluctuations en densité et position de lentilles gravitationnelles... Mais il ne s'agit plus de QCD axions (qui, eux, ne semblent pas pouvoir coller aux observations astrophysiques). On imagine alors la coexistence de plusieurs types, mais cela parait nettement moins élégant. Sana parler des axions à l'origine de l'énergie sombre. C'est une lessive universelle !
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