dimanche 2 avril 2023

Un lien possible entre fusion d'étoiles à neutrons et FRB


Il se peut qu'il s'agisse d'une coïncidence purement fortuite, mais sa probabilité est très faible : seulement 0,52%. Le 25 avril 2019, un sursaut radio rapide non répétitif, FRB 20190425A, est en effet apparu 2,5h après l'événement d'ondes gravitationnelles GW190425 résultant d'une fusion d'étoiles à neutrons, et il était situé dans la zone d'origine déterminée des ondes gravitationnelles, et sa distance était également compatible avec la distance parcourue par les ondes gravitationnelles. Des chercheurs font aujourd'hui l'hypothèse d'un lien entre les deux événements. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy. 

Alors que les jeunes magnétars sont les principaux candidats pour la source des FRB, des observations récentes suggèrent qu'il pourrait y avoir plusieurs classes de progéniteurs de FRB. Les coïncidences avec le train d'ondes gravitationnelles sont ici triples : en localisation sur le ciel, en temps et en distance, avec des incertitudes non négligeables pour chacune d'elles, mais on pourrait ajouter une quatrième coïncidence : celle de la nature de l'événement qui a donné lieu à ces ondes gravitationnelles du 25 avril 2019 : une fusion d'étoiles à neutrons. Les fusions d'étoiles à neutrons qui ont  été détectées par leurs signaux d'ondes gravitationnelles par LIGO/Virgo sont très rares, il n'y en a eu que deux, GW170817 et celle-ci. Or on estime que les FRB répétitifs sont produits par des étoiles à neutrons très fortement magnétisées, des magnétars. Si GW190425 avait été une fusion de trous noirs, l'idée d'y associer FRB 20190425A ne serait sans doute pas venu aux chercheurs, mais le fait que ce soit des étoiles à neutrons qui jouaient à fusionner, pouvant éventuellement former une étoile à neutrons supramassive durant un certain temps (au moins 2,5h), avant de sombrer en trou noir, a logiquement éveiller la curiosité des spécialistes. Alexandra Moroianu (université d'Australie occidentale) et ses collaborateurs se penchent donc sur le cas troublant de FRB 20190425A après avoir recherché explicitement des coïncidences spatio-temporelles possibles entre tous les FRB du catalogue de la collaboration CHIME et tous les événements d'ondes gravitationnelles de LIGO/Virgo, en se laissant une fenêtre de temps asymétrique et large de 26 h, englobant les FRB qui se produisent jusqu'à 2 h avant un signal GW et 24 h après. La localisation CHIME/FRB est précise à l'ordre des minutes d'arc, beaucoup plus précise que même la meilleure localisation GW qui est de quelques dizaines de degrés carrés. Les chercheurs ont considéré qu'une paire GW-FRB était spatialement coïncidente si le FRB se situait dans l'intervalle de crédibilité à 90 % de la localisation d'une onde gravitationnelle candidate.
C'est donc le cas avec FRB 20190425A qui ne s'est jamais répété depuis. Et le train d'ondes GW190425 n'avait été détecté que par les deux interféromètres de LIGO, celui de Virgo ne l'avait pas vu en raison de sa plus faible sensibilité, ce qui a contribué à produire une zone de localisation de l'événement assez grande dans le ciel. Curieusement, la masse totale des étoiles à neutrons qui a été déterminée par le signal gravitationnel était assez élevée : 3,23 (+0,33 −0,11) M, en tous cas plus grande que ce qui est généralement attendu pour un couple d'étoiles à neutrons. Le redshift déterminé de cette fusion est de z= 0,03  (+0,01  -0,02), ce qui fait une distance de 410 millions d'années-lumière environ.  
FRB 20190425A était quant à lui particulièrement brillant (18,6 ± 2,6 Jy) avec une fluence de 31,6 ± 4,2 Jy ms et une largeur de sursaut de 0,3799 ± 0,0002 ms. Il avait une émission à large bande sur la plage de 400 à 800 MHz de CHIME et une morphologie à un seul pic, qui est observée dans 30% de la population des FRB détectés par CHIME et qui est souvent associée aux FRB non répétitifs. Les FRB répétitifs, eux, présentent généralement une structure à bande étroite. FRB 20190425A a également une mesure de dispersion inhabituellement faible de 128,2 pc cm-3, indiquant un redshift inférieur à 0,0394, en supposant que sa dispersion ne provient que de la Voie Lactée et du milieu intergalactique. Sa distance est donc compatible avec celle de la fusion du couple d'étoiles à neutrons (un redshift de 0,03). Il a été observé 2,5 h après GW190425, à 10:46:33 UTC, et localisé aux coordonnées RA ≈ 17 h 3 m  (255,72 ± 0,14°), Dec. = 21,52 ± 0,18 °. Cela le place dans l'intervalle crédible de 66,7 % de la carte de localisation de GW190425.
Une association entre FRB et fusion d'étoiles à neutrons serait cohérente avec la théorie selon laquelle la fusion d'étoiles à neutrons aurait produit une étoile à neutrons supramassive et hautement magnétisée, qui se serait effondrée pour former un trou noir après avoir perdu du moment cinétique, et aurait alors produit un sursaut rapide d'ondes radio en éjectant sa magnétosphère. C'est à partir de cette hypothèse, et connaissant certains paramètres du couple d'étoiles à neutrons initiales grâce au signal gravitationnel, comme la masse de chacune d'elles, que Moroianu et ses collaborateurs ont pu étudier l'équation d'état des étoiles à neutrons et déterminer quelle devrait être la masse maximale théorique d'une étoile à neutrons (sans rotation) avant qu'elles ne devienne un trou noir.
Cette masse limite est ce qu'on appelle la limite de Tolman–Oppenheimer–Volkoff (TOV). Les étoiles à neutrons qui ont fusionné faisaient respectivement 2,03 et 1,35 masses solaires d'après l'analyse des ondes gravitationnelles. Moroianu repartent de ces valeurs et calculent quelle devait être la masse de l'étoile à neutron post-fusion (indépendamment de la valeur trouvée par LIGO). Les chercheurs ont tout d'abord utilisé la relation universelle sans rotation ou à faible rotation pour estimer la masse baryonique totale Mb du système, à partir de sa masse gravitationnelle M : Mb =  M + 0,080 M² , une relation qui s'applique aux étoiles à neutrons qui ne tournent pas près de la limite de rupture. Les chercheurs peuvent sans risque supposer de faibles rotations pour les étoiles à neutrons avant la fusion, car l'échelle de temps de ralentissement d'un objet de période de rotation de l'ordre de la milliseconde est d'environ 1 milliard d'années, ce qui est l'échelle de temps typique d'une coalescence d'un couple d'étoiles à neutrons (à moins que son champ magnétique ne soit inférieur à quelques 108  G, ce qui est très rare et jamais observé dans la Voie Lactée). Moroianu et al. trouvent donc une masse baryonique totale Mb = 3,86 (+ 0,70− 0,31) M, dont 0,1  M d'incertitude introduite par la relation Mb – M due à l'équation d'état inconnue de l'étoile à neutrons. Et comme lors de la fusion, environ 0,06  M de masse baryonique devrait avoir été éjecté et alimenté l'émission de la kilonova, la masse baryonique du résidu final est donc estimée à Mb = 3,80 (+ 0,70− 0,31) M.
Comme on s'attend à ce qu'un résidu post-fusion de type étoile à neutrons passe par une brève phase de rotation différentielle (sur une durée inférieure à 1 s) avant de former un corps en rotation essentiellement uniforme, les chercheurs ont appliqué une relation universelle entre Mb et M pour les étoiles à neutrons à rotation maximale, Mb = M +0,064 M², pour convertir la masse résiduelle baryonique Mb rés en masse résiduelle gravitationnelle Mrés. Cela les mène à la valeur Mrés= 3,16 (+ 0,40− 0,24) M. La valeur qui a été déterminée directement par les ondes gravitationnelles était de 3,23 (+ 0,33− 0,11) M, donc tout à fait cohérente. Les chercheurs notent que la petite différence peut venir du fait qu'avec les ondes gravitationnelles, la masse déterminée n'est pas nécessairement tirée de la phase en rotation rigide. 
Comme une rotation uniforme peut supporter une masse plus élevée que la masse de TOV avec un facteur maximal Mrés / MTOV de 1,2 (plus précisément, 1,201 ± 0,017 comme l'ont montré Ai, Gao et Zhang en 2020), une limite inférieure de MTOV est obtenue par les chercheurs à 2,63 (+ 0,39 − 0,23) M⊙. Et les trois théoriciens sino-américains avaient montré qu'il existait aussi une valeur minimale de ce facteur à la rotation maximale, qui est de 1,046 ± 0,008. Moroianu et ces collaborateurs en déduisent donc que la masse limite de TOV doit être aussi inférieure à 3,02 (+ 0,42− 0,25) M
La limite de Tolman–Oppenheimer–Volkoff que Moroianu et son équipe déterminent, en considérant que l'étoile à neutrons résiduelle était en rotation puis s'est effondrée en trou noir après 2,5h, serait donc comprise entre 2,63 masses solaires et 3,02 masses solaires. Ces nouvelles contraintes sur la limite de TOV, un peu plus élevée que ce qu'on estimait auparavant, ont des conséquences intéressantes : elles indiquent, selon les chercheurs, que des fusions d'étoiles à neutrons avec des composantes de masse inférieures au cas de GW190425, tels que GW170817 (un résidu faisant 2,74 masses solaires) produiraient une étoile à neutrons supramassive à vie beaucoup plus longue, et peut-être stable. Le signal tardif en rayons X du résidu de GW170817/GRB 170817A (voir épisode 1303) serait compatible avec l'existence d'un résidu de durée de vie aussi longue. Et ces résidus de fusions pourraient produire des FRB qui se répètent sur une période de temps bien supérieure à 2,5 h si le mécanisme magnétar-FRB s'applique. Cela implique aussi que la répétition de FRB pourrait bien être produite à partir d'anciennes populations stellaires, comme le suggère l'existence de FRB 20200120E, un FRB répétitif situé dans un amas globulaire de M81, un environnement plus propice à abriter des couples de vieilles étoiles à neutrons que des magnétars tous frais venant juste d'être formés par un collapse d'étoile massive forcément jeune. 
Mais étant donné que le taux des fusions d'étoiles à neutrons observé est beaucoup plus faible que celui des FRB, ce canal ne peut malheureusement pas à lui seul expliquer tous les FRB uniques de type FRB 20190425A de l'échantillon  de CHIME. En conclusion, Alexandra Moroianu et ses collaborateurs appellent la communauté à effectuer le plus possible des observations radio à champ large parallèlement aux futures opérations d'observation d'ondes gravitationnelles pour trouver des coïncidences et tester davantage leur proposition d'association GW-FRB, qui est une belle piste à suivre. 

Source

An assessment of the association between a fast radio burst and binary neutron star merger
Alexandra Moroianu et al.
Nature Astronomy (27 march 2023)
Illustration

Signaux temporels et localisations respectives de FRB 20190425A  et GW190425 (Moroianu et al.)

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