En étudiant un sursaut radio rapide répétitif bien connu, une équipe d'astrophysiciens ont découvert un milieu très variable avec des champs magnétiques turbulents, une observation qui suggère que les impulsions d'ondes radio peuvent provenir d'un objet compact dans un système binaire avec une compagne produisant de forts vents stellaires. L'étude est publiée dans Science.
Reshma Anna-Thomas (West Virginia University) et
ses collaborateurs ont observé le FRB répétitif FRB 20190520B durant 17 mois entre septembre 2020 et janvier 2022 sur plusieurs périodes, en utilisant le radiotélescope de 100 m Green Bank Telescope (GBT) et le radiotélescope de 64 m de Parkes (également connu sous le nom de Murriyang), à différentes fréquences. Au total, les chercheurs ont détecté 25 sursauts dans les données du GBT et 113 sursauts dans les données de Parkes, sur lesquels ils ont effectué un étalonnage polarimétrique et de flux sur chaque segment de données de sursaut détecté.
Ce FRB répétitif se distingue par le fait que son environnement local semble contribuer davantage à l'émission du sursaut radio que le plasma inter-galactique et le gaz interstellaire de la Voie Lactée combinés sur son trajet. Les sursauts montrent en effet une dispersion très importante (la variation du temps d'arrivée en fonction de la fréquence des ondes). FRB 20190520B est associé à une source radio persistante et réside dans une galaxie naine, tout comme le premier FRB répétitif découvert, FRB 20121102A. C'est pourquoi ces deux FRBs sont parfois appelés les FRB jumeaux. FRB 20121102A a déjà permis de mieux comprendre la nature de sa source et de la source radio persistante qui lui est associée.
Mais il n'y a pas que la mesure de dispersion, la rotation de Faraday observée dans FRB 20190520B est aussi particulièrement élevée et variable, et elle a changé également de signe deux fois durant la campagne d'observation, ce qui n'est pas observé avec FRB 20121102A. Ce qu'on appelle la rotation de Faraday, c'est le changement de la direction de polarisation d'une onde radio à polarisation linéaire lorsqu'elle se propage dans un milieu magnétisé. La rotation de Faraday intégrée le long de la ligne de visée est quantifiée par la mesure de la rotation (RM), qui est proportionnelle à l'intégrale sur le trajet du produit de la densité électronique par la composante du champ magnétique parallèle à la ligne de visée. On savait que FRB 20121102A avait une RM élevée, mais elle n'avait pas encore été déterminée pour FRB 20190520B avant les cette étude.
Les chercheurs découvrent que le FRB se dépolarise également en dessous des fréquences radio d'environ 1 à 3 gigahertz. Ils interprètent ces propriétés comme étant dues à des changements dans la composante parallèle du champ magnétique intégré le long de la ligne de visée, y compris l'inversion de la direction du champ magnétique. Pour eux, cela pourrait résulter de la propagation à travers un écran de plasma turbulent et magnétisé qui peut être situé entre 10-5 et 100 parsecs de la source du FRB, avec une densité d'électrons libres dans cet écran entre 5 106 et 2 cm-3 respectivement.
Ces observations peuvent donc indiquer, selon Anna-Thomas et ses collaborateurs, une origine autour d'un trou noir massif, ou bien dans un jeune reste de supernova. Mais aucune de ces deux interprétations ne donne une image pleinement cohérente d'un canal de formation pour ce FRB si on considère toutes les données. Ce qui paraît sûr, c'est un indice de non-uniformités dans l'environnement ou dans la région émettrice, qui sont mises en évidence par la dépendance en fréquence des propriétés de polarisation des sursauts.
FRB 20180916B possède aussi une autre particularité qui est une répétition de périodes d'activité de sursauts avec une périodicité de 16,3 jours. Cette caractéristique peut elle aussi soutenir un modèle d'interaction binaire pour les FRB répétitifs. Des objets compacts tels que des étoiles à neutrons ou des trous noirs ont été trouvés dans des systèmes binaires, et notamment des compagnes ayant des vents stellaires massifs. L'exemple le plus connu est peut-être SS433, qui est associé à une nébuleuse radio semblable à un résidu de supernova nommée W50. Il a été proposé en 2022 par Sridhar et al. que les nébuleuses entourant les binaires à rayons X en hyperaccrétion, similaires au système SS433-W50, puissent être les précurseurs et les contreparties persistantes des FRB.
Anna-Thomas et ses collaborateurs ont exploré un modèle binaire dans lequel la ligne de visée de FRB 20190520B passe près de la surface d'une étoile compagne, de sorte que la propagation des ondes radio est affectée par la magnétisation et la turbulence de son vent stellaire. Dans ce scénario, l'étoile fournit la magnétisation globale qui est à l'origine de la large gamme de RM, tandis que le vent stellaire turbulent serait à l'origine des variations rapides de la RM. La distance de l'écran de plasma est alors approximativement la séparation entre les deux objets. Les chercheurs calculent qu'en prenant d = 10-5 pc, la densité électronique requise est de 5 106 cm-3 , ce qui pourrait être fourni par un taux de perte de masse stellaire de 3 10-8 M⊙ par an et une vitesse du vent de 1000 km/s. Ces valeurs sont cohérentes avec celles observées pour les étoiles massives. Si ce scénario du vent binaire est correct, on s'attend à ce qu'il y ait une périodicité sous-jacente égale à la période orbitale. Pendant les périodes où la ligne de visée de la source de FRB ne passe pas à proximité de l'étoile, on s'attend à ce que la valeur de la RM cesse de varier et se stabilise à une valeur reflétant la magnétisation globale de la galaxie hôte.
Cet effet a déjà été observé pour les pulsars PSR B1259-63 et PSR B1744-24A et d'autres FRB présentant une variabilité de RM.
Anna-Thomas et son équipe ont également considéré des modèles alternatifs comme un vent d'étoile à neutron choqué, ou une source de FRB proche d'un trou noir de masse intermédiaire, mais ils considèrent ces deux scénarios comme peu probables. Bien que les variations de RM et la mesure de dispersion de FRB 20190520B soient inhabituelles, selon les chercheurs, elles n'indiquent pas nécessairement qu'il s'agit d'une source FRB inhabituelle. FRB 20190520B semble avoir un taux de sursauts et des sous-structures de sursauts qui varient dans le temps, ce qui est cohérent avec d'autres FRB répétitifs, et a des échelles d'énergie similaires à celles d'autres FRB. Il est tout à fait possible que les FRB répétitifs aient un type de source commun mais varient en fonction des conditions locales (telles que la période orbitale des binaires, l'excentricité, la phase ou l'inclinaison de l'orbite binaire).
Des études antérieures avaient proposé un lien entre les cycles d'émission observés dans certains FRB répétitifs et une orbite binaire. Si le modèle de Anna-Thomas et al. est correct, les propriétés observées du FRB contraignent la configuration binaire et certaines propriétés du vent stellaire (densité d'électrons, force du champ magnétique).
La surveillance future de l'évolution temporelle des propriétés des sursauts, ainsi que des études à haute résolution spatiale des nébuleuses associées aux sources de FRB, pourraient fournir d'autres indices. Ces études permettront également de savoir si il n'existe qu'une seule population de FRB, ou s'il y a différents progéniteurs de FRB avec différentes voies de formation, une des questions toujours chaudes aujourd'hui en astrophysique.
Source
Magnetic field reversal in the turbulent environment around a repeating fast radio burst
Reshma Anna-Thomas et al.
Science vol. 380 (12 May 2023)
Illustration
Les radiotélescopes de Green Bank (à gauche) et Parkes (à droite) (NRAO et CSIRO)
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