L'origine du champ magnétique cosmologique qui baigne l'univers reste aujourd'hui un mystère. Dans une nouvelle étude, des physiciens états-uniens examinent si ce champ magnétique aurait pu être généré dans l'Univers primordial par une population de trous noirs primordiaux, qui auraient été chargés électriquement et en rotation. La réponse est oui (mais c'est pas simple). Ils publient leurs résultats dans Physical Review D.
Selon le paradigme standard, les champs magnétiques présents dans les galaxies et les amas de galaxies ont été générés par l'amplification de champs magnétiques préexistants, mais beaucoup plus faibles, par le biais du mécanisme de la dynamo. Ce processus n'est efficace que si un champ magnétique non nul est présent pour que les dynamos puissent s'amplifient. L'origine de ces "graines" de champ magnétique, qui étaient présentes au début de la formation des structures, reste une question ouverte et a donné lieu à de nombreuses spéculations.
Il a été proposé par exemple que les champs magnétiques primordiaux apparaissent dans le contexte de l'inflation ou lors des transitions de phases qui ont eu lieu dans l'Univers primitif. Mais aujourd'hui, aucun de ces scénarios n'est totalement satisfaisant, et chacun d'entre eux est confronté à ses propres difficultés. En particulier, il est difficile pour ces mécanismes de produire des champs d'une longueur de corrélation suffisamment grande pour survivre jusqu'à aujourd'hui.
Un problème de taille pour tenter de mesurer ce champ magnétique primordial, c'est que son origine est quelque peu obscurcie par les processus complexes de plasma et de magnétohydrodynamique qui se sont déroulés au cours du temps cosmique. On peut toutefois tenter de déterminer les propriétés du champ de départ en étudiant les champs magnétiques trouvés dans les vides du milieu intergalactique où les champs primordiaux pourraient exister dans un état relativement vierge. Dans de tels environnements, l'évolution du champ magnétique serait largement déterminée par l'expansion de l'Univers. conduisant à la dilution de l'intensité du champ comme B ∝ 1/a² et à la croissance de la longueur de corrélation du champ comme ξ ∝ a, a étant le facteur d'échelle mesurant l'expansion.
Dan Hooper (université de Chicago) et ses collaborateurs proposent donc une nouvelle hypothèse pour l'origine du champ magnétique cosmique. Ils envisagent la possibilité que des champs magnétiques primordiaux aient pu être générés dans l'Univers par une population de trous noirs primordiaux. Pour produire un champ magnétique non nul, ces trous noirs doivent avoir été à la fois en rotation et chargés électriquement, ce qui correspond à la solution dite de Kerr-Newman. Dans le scénario qu'ils développent, les chercheurs indiquent que cette population est temporairement chargée électriquement dans l'Univers primitif en raison d'un potentiel chimique non nul, qui finit par se détendre jusqu'à zéro, et les trous noirs se déchargent alors. Par la suite, les champs magnétiques évoluent selon l'expansion et les trous noirs (désormais neutres) constituent ensuite l'abondance actuelle de la matière noire.
Les chercheurs conviennent qu'il est très difficile de créer des trous noirs avec une charge significative dans l'univers primitif. Dans un contexte cosmologique, toute charge nette serait rapidement neutralisée par le plasma environnant qui doit avoir une charge opposée pour maintenir la neutralité de charge de l'Univers. Même si l'on considère un trou noir chargé dans le vide, sa charge est expulsée de façon exponentielle par le biais du rayonnement de Hawking ou de la production de paires de Schwinger. Une population de trous noirs chargés nécessite donc l'introduction d'une nouvelle physique.
Le rayonnement de Hawking des trous noirs électriquement neutres est symétrique par rapport à la production de particules et d'antiparticules. En revanche, les trous noirs chargés rayonnent de préférence des particules ayant le même signe de charge que le trou noir. En effet, en considérant le spectre de flux pour un trou noir de Kerr-Newman, qui suit une distribution thermique, on peut identifier le paramètre μq ≡ qΦ à un "potentiel chimique", qui biaise l'émission de particules dont la charge est alignée avec celle du trou noir. Les chercheurs démontrent que ce "potentiel chimique" est en fait alimenté par le potentiel électromagnétique Aμ du trou noir de Kerr-Newman lui-même.
Selon les chercheurs, comme le "potentiel chimique" intrinsèque du trou noir de Kerr-Newman lui permet de se débarrasser de sa charge, on peut imaginer de charger un trou noir (ou de maintenir un trou noir dans un état chargé) au moyen d'un potentiel chimique externe. Si ce potentiel chimique est supérieur à celui du trou noir lui-même, alors le trou noir accumulera de la charge jusqu'à ce qu'il atteigne un état extrême. Un mécanisme possible pour réaliser un tel potentiel chimique implique un nouveau champ scalaire ϕ couplé de manière dérivée au courant électromagnétique par l'intermédiaire d'un opérateur qui apparaît génériquement dans la description du lagrangien effectif comme le couplage le plus pertinent au modèle standard si ce champ ϕ possède une symétrie de décalage. Si ϕ est initialement déplacé de l'origine et commence à évoluer dans l'Univers primitif, sa dérivée temporelle est alors source d'un potentiel chimique effectif pour les particules chargées : μϕ ≡ dϕ/dt, ce qui conduit le trou noir à absorber préférentiellement les particules chargées d'un signe particulier. Le champ magnétique apparaîtra pendant la période où le potentiel chimique externe est actif parce que le champ scalaire est en train d'évoluer. Lorsque ϕ cesse d'évoluer, le potentiel chimique s'évanouit et le trou noir expulse rapidement sa charge, revenant ainsi à un état neutre.
Les physiciens ont fait les calculs. Bien qu'un tel scénario soit certes très spéculatif et implique des éléments exotiques, Hooper et ses collaborateurs constatent que des champs magnétiques intéressants du point de vue astrophysique sont potentiellement générés par de tels objets. Ils ont considéré l'existence d'une population de trous noirs primordiaux chargés avec l'hypothèse invoquée du champ scalaire ϕ et ont calculé l'intensité et la longueur de corrélation des champs magnétiques qui seraient générés par cette population, et leur évolution jusqu'à l'époque actuelle. Ils trouvent que des trous noirs dans la gamme de masse comprise entre 10-5 et 1000 masses solaires pourraient potentiellement générer des champs magnétiques avec des valeurs actuelles aussi grandes que 10-20 à 10-15 Gauss.
Et des trous noirs de plus de plus de 100 000 masses solaires auraient pu produire des champs encore plus grands, supérieurs à 10-14 G.
Après avoir motivé ce scénario en discutant la manière dont la nouvelle physique a pu induire un potentiel chimique qui aurait pu brièvement maintenir les trous noirs dans un état électriquement chargé dans l'Univers primordial, les chercheurs montrent ensuite que dans ce scénario hypothétique, il existerait une corrélation entre les paramètres du champ magnétique cosmologique produit par ces trous noirs primordiaux et le fond d'ondes gravitationnelles stochastiques, des ondes gravitationnelles baignant tout le ciel et qui proviennent de la fusion de trous noirs primordiaux dans des systèmes binaires. L'observation de ce fond d'ondes gravitationnelles pourrait alors servir de principale signature observable de ce modèle.
Cette étude théorique très intéressante apporte une nouvelle solution pour expliquer l'apparition des premiers champs magnétiques, on peut être sûr que ce ne sera pas non plus la dernière et qu'elle pourra avoir quelques nombreuses ramifications avant d'être démontrée par l'observation.
Source
Cosmological magnetic fields from primordial Kerr-Newman black holes
Dan Hooper et al.
Phys. Rev. D 107 (19 May 2023)
Illustration
Vue d'artiste de trous noirs primordiaux (Ingrid Bourgault/Wikimedia Commons)
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