Il y a supernova et supernova. On connaît assez bien les supernovas thermonucléaires de type Ia (des explosions de naines blanches ayant dépassé 1,4 masses solaires) et les supernovas à effondrement de coeur, de type II, des explosions d'étoiles de plus de 8 masses solaires. Mais parmi les supernovas de type Ia, il existe aussi plusieurs canaux pouvant mener à l'explosion de la naine blanche : soit une accrétion de matière d'une compagne naine blanche, soit d'une étoile moins dégénérée. Aujourd'hui, une équipe de chercheurs publie la détection pour la première fois d'un signal radio tardif provenant d'une supernova classée en type Ia, et ce signal indique très clairement la nature de l'étoile donneuse. L'étude est publiée dans Nature.
Erik Kool (université de Stockholm) et ses collaborateurs ont détecté une émission radio en provenance de SN 2020eyj, ou plutôt de son résidu. Ce signal radio particulier est ce qu'on appelle un rayonnement synchrotron. Les astrophysiciens ont observé cette émission radio avec l'instrument e-MERLIN 1,66 et 2,03 ans après l'explosion.
Selon les chercheurs, il proviendrait de l'impact de l'éjecta de la supernova sur du gaz circumstellaire qui a été perdu par l'étoile donneuse de masse avant l'explosion de la naine blanche. Les chercheurs peuvent affirmer cela car des signes d'interaction circumstellaire étaient apparus dans les spectres de SN 2020eyj environ 50 jours après l'explosion. La supernova avait été classée comme une type Ia à partir d'un spectre acquis 25 jours après l'explosion qui avait eu lieu le 7 mars 2020. Et heureusement, car du fait de l'interaction avec le gaz environnant, les spectres ultérieurs donnaient une signature toute différente. Les spectres encore plus tardifs, enregistrés 131 jours après l'explosion, sont similaires à ceux d'une supernova de type Ibn, mais ces supernovas sont supposées provenir de l'effondrement du cœur d'étoiles massives (>10 M⊙ ), et ces étoiles sont peu susceptibles de se trouver dans un système binaire avec une naine blanche, car elles subiraient un effondrement gravitationnel bien avant la formation de la naine blanche...
Les raies d'émission dans les spectres tardifs révèlent en fait les caractéristiques du milieu circumstellaire, et donc de l'étoile donneuse qui a transféré de la masse à la naine blanche, et qui était riche en hélium. Comme l'hydrogène est plus facile à ioniser que l'hélium, l'absence de raies de l'hydrogène indique nécessairement que le milieu circumstellaire autour de SN 2020eyj, et donc l'étoile compagne, est riche en He et pauvre en H. Kool et ses collaborateurs ont également testé l'hypothèse d'une fusion impliquant une autre étoile naine blanche mais riche en hélium. Pour eux ce scénario est également défavorisé, car dans de tels modèles de fusion, seule une petite quantité d'hélium non brûlé (environ 0,03 M⊙) serait présente à proximité de la naine blanche ( à moins de 10 millions de km), alors que le gaz autour de SN 2020eyj se situe à plus de 10 milliards de km.
La détection du rayonnement synchrotron vient donc à point nommé pour confirmer le scénario de l'interaction avec un milieu circumstellaire dans SN 2020eyj, une confirmation inédite dans une SN Ia, un signal qui a été enregistré à une fréquence de 5,1 GHz 605 et 741 jours après la première détection. Kool et son équipe ont modélisé l'émission radio synchrotron, qui résulte de l'interaction de choc entre l'éjecta et le CSM, en supposant deux configurations de base du gaz circumstellaire attendues dans un tel système : une coquille à densité constante d'une part et un profil de densité semblable à un vent avec une densité ρ ∝ 1/r² . Une coquille à densité constante pourrait résulter d'un événement d'éjection de masse tel qu'une nova, alors qu'un profil de type vent serait attendu d'un vent optiquement épais, dans lequel le taux de transfert de masse de l'étoile donneuse vers la naine blanche dépasse l'accrétion maximale en He que la naine blanche peut brûler sur sa surface.
Pour le premier modèle, les détections radio s'expliquent mieux avec une masse de gaz circumstellaire de 0,36 M⊙, et il prédit que la courbe de lumière radio commencerait à chuter rapidement vers 900 jours après l'explosion (à peu près au moment où cet article a été envoyé à Nature , le 30 septembre 2022). Pour le modèle de vent optiquement épais, la queue de la courbe de lumière bolométrique et les détections radio de SN 2020eyj sont bien ajustées avec un taux de transfert de masse de 0,001 à 0,01 M⊙ par an, et une masse de gaz circumstellaire de 0,3 à 1 M⊙.
Kool et ses collaborateurs estiment ainsi que le système progéniteur de SN 2020eyj était très probablement un couple binaire étoile naine blanche + étoile assez massive riche en He (de 1 à 2 M⊙), un canal de formation qui était précédemment hypothétique pour les supernovas de type Ia. Cette découverte fait de SN 2020eyj le premier exemple détecté de ce canal de formation pour une supernova de type Ia. Selon Kool et ses collaborateurs, cette voie de formation pourrait contribuer à environ 10% de toutes les supernovas de type Ia simplement dégénérées (un couple naine blanche-étoile normale), une voie de formation qui est probablement la source dominante des supernovas Ia avec des temps de retard courts. Comprendre l'échelle de temps de l'activité des supernovas Ia est important pour l'évolution chimique des galaxies. La présence confirmée d'un milieu riche en He dans une supernova de type Ia affecte également la modélisation de l'explosion de ce type de supernova, car l'hélium joue un rôle crucial dans les modèles dits de "double détonation" dans lesquels l'explosion de la naine blanche proprement dite est déclenchée par l'allumage préalable d'une coquille d'hélium massive (environ 0,2 M⊙) sur sa surface.
Que dire de l'utilisation des supernovas de type Ia comme chandelles standard pour la mesure de la constante de Hubble-Lemaître si une bonne partie d'entre elles sont si mal modélisées à cause de l'hélium circumstellaire ?
Il va falloir maintenant contraindre le taux de supernovas Ia qui sont similaires à SN 2020eyj, parce qu'on n'est même pas sûrs que c'est 10%.. Ca nécessitera un suivi spectroscopique systématique des supernovas Ia avec des courbes de lumière très longues. Parce qu'actuellement, la surveillance s'arrête le plus souvent après avoir réussi la classification en type Ia apparemment normal. Or les spécificités de l'environnement de la supernova ne sont visibles que bien plus tard, comme le prouve cette étude.
Source
A radio-detected type Ia supernova with helium-rich circumstellar material
Erik Kool et al.
Nature volume 617 (17 may 2023)
Illustration
Vue d'artiste d'une supernova de type Ia (David Hardy)
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire