mercredi 17 mai 2023

Sgr A* est un briseur de couples d'étoiles


De nombreuses étoiles gravitent autour de Sgr A*, le trou noir supermassif au centre de notre galaxie. Elles forment ce qu'on appelle le groupe des "étoiles S". Les astrophysiciens du Galactic Center Group de l'université de Californie menés par la prix Nobel Andrea Ghez publient dans The Astrophysical Journal des résultats sur les caractéristiques de ces étoiles, et révèlent l'influence probable du trou noir sur leur vie... 

Devin Chu et ses collaborateurs utilisent le télescope hawaïen Keck pour observer depuis maintenant plus de 20 ans le mouvement des étoiles du groupe S autour de Sgr A*. Cette fois, ils se sont intéressés aux étoiles qui vivent en couples, des étoiles binaires. Pour cela, ils observent le spectre des étoiles à la recherche de variations de raies spectrales qui indiquerait une vitesse radiale positive ou négative, preuve d'un mouvement de rotation autour d'une compagne potentiellement invisible autrement. Ils se sont concentrés sur la zone la plus centrale autour de Sgr A*, couvrant 2x3 secondes d'arc. Les chercheurs ont patiemment enregistré des spectres durant plus de 10 ans dans le cadre de la Galactic Center Orbits Initiative à l'observatoire Keck. Ils ont atteint une magnitude limite de 15,8 dans la bande K, ce qui est au moins 4 mag plus profond que les recherches spectroscopiques précédentes de binaires, qui avaient été menées à des rayons plus grands dans l'amas d'étoiles nucléaires central. 
Chu, Ghez et leurs collaborateurs ont enregistré plus de 600 valeurs de vitesses radiales sur un échantillon de 28 étoiles du groupe S. Parmi ces 28 étoiles, 16 sont des étoiles massives et jeunes (de type B) et 12 sont des étoiles plus vieilles et de faible masse (types M et K).
Dans toutes ces données spectroscopiques, Chu et ses collaborateurs n'observent aucun signal périodique significatif  parmi les 28 étoiles. Toutes ces étoiles sont donc désespérément seules. Et il y a là une anomalie, notamment pour les 16 étoiles jeunes (moins de 6 millions d'années) et massives. En effet, lorsqu'on étudie ce type d'étoiles ailleurs dans la galaxie, on trouve que 70% d'entre elles vivent en couples. Mais, à partir de leur échantillon certes réduit, Chu et ses collaborateurs effectuent des simulations Monte Carlo pour déduire la limite supérieure de la fraction d'étoiles binaires qui doivent exister dans un rayon de 20 mpc (0,065 AL, ou 4120 UA) du trou noir supermassif. Ils trouvent que cette limite supérieure n'est que de 47% dans cette zone particulière de la galaxie. A comparer avec la valeur de 70% pour les autres régions de la Galaxie (typiquement autour du Soleil). 
De nombreuses recherches ont été menées depuis plus de 20 ans pour comprendre la formation des étoiles S. Les mécanismes proposés incluent : 
(1) des systèmes d'étoiles binaires qui auraient été dispersés depuis l'extérieur de la région, puis perturbés par les forces de marées induites par Sgr A*, laissant derrière eux une seule composante du système d'origine tandis que l'autre serait éjectée à très grande vitesse (le mécanisme proposé par Hills en 1988). 
(2) des étoiles formées seules dans le disque situé juste à l'extérieur de 1'' du trou noir puis qui auraient migré vers le trou noir 
(3) des étoiles binaires qui auraient fusionné au centre galactique, causé par une perturbation gravitationnelle, le mécanisme de Kozai-Lidov, produisant finalement ce qui ressemble à des étoiles de type  B de séquence principale.
Le résultat de Chu et ses collaborateurs soutient le scénario 1 ou 3 dans lequel le trou noir supermassif central pousse les étoiles binaires proches à fusionner ou bien à être fortement perturbées, l'une des deux étant éjectée du système. A noter que plusieurs spécimens d'étoiles hypervéloces ont été observées dont la trajectoire reconstruite passe presque exactement au centre de la Voie Lactée. 
Le scénario 2 s'avère finalement peu probable parce que selon les chercheurs, des étoiles aussi jeunes que les 16 du groupe S observées ne devraient même pas être aussi près du trou noir, elles n'auraient pas pu migrer vers cette région en seulement 6 millions d'années. 

Les astrophysiciens font la remarque que le fait de ne pas identifier de binaires parmi les étoiles les plus vieilles n'est pas très surprenant. On sait en effet que l'échelle de temps de fusion pour un système binaire avec une masse totale de 2 M⊙ et séparés par 3 UA (une période orbitale d'environ 1300 jours est de moins de 1 million d'années. Comme ces étoiles de type tardif ont environ 1 milliard d'années, elles ont eu suffisamment de temps pour fusionner, si elles faisaient auparavant partie de systèmes binaires. Néanmoins, la découverte de systèmes binaires parmi la population d'étoiles de type tardif fournirait une forte contrainte sur les processus physique du centre galactique. Seule une surveillance continue fournira une sensibilité améliorée pour comprendre l'origine de la population d'étoiles du groupe S. Les astrophysiciens californiens vont continuer à s'y atteler. 

Source

Evidence of a Decreased Binary Fraction for Massive Stars within 20 milliparsecs of the Supermassive Black Hole at the Galactic Center
Devin S. Chu et al.
The Astrophysical Journal, Volume 948, Number 2 (11 may 2023)


Illustration

Carte des étoiles du groupe S entourant Sgr A* observées dans cette étude (Chu et al.)

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