Les études s'intéressant à la matière noire de notre galaxie, plus précisément à l'évaluation de sa densité, sont de deux sortes : soit elles sont fondées sur des modélisations de la distribution de masse, ou soit elle tentent d'effectuer des mesures locales dans l'environnement du Soleil via une estimation du potentiel gravitationnel local grâce à des mesures de la cinématique des étoiles et de gaz dans le voisinage du Soleil.
Une étude qui vient de paraître en ligne dans Nature Physics montre sans ambiguïté pour la première fois grâce à de telles mesures de vitesses d'étoiles que de la masse non visible est présente en grande quantité dans la partie la plus interne de notre galaxie, à proximité du Soleil et entre le Soleil et le centre galactique.
La présence de matière sombre dans les parties externes de notre Galaxie avaient déjà été mise en évidence depuis de nombreuses années, mais elle a toujours été compliquée à mettre en évidence dans notre voisinage proche, au cœur de la Voie Lactée, à cause de la difficulté inhérente à obtenir des mesures de vitesse de rotation avec la précision requise pour ce type d'évaluation.
Et c'est pourtant aujourd'hui ce que sont parvenus à faire les astrophysiciens Miguel Pato de l'Université de Stockholm et ses collègues Fabio Iocco et Gianfranco Bertone. Ils ont pour cela confectionné la plus grande compilation de mesures de vitesses de gaz et d'étoiles de notre Galaxie publiées depuis des dizaines d'années. Ils ont ensuite comparé toutes ces vitesses de rotation de gaz et d'étoiles avec ce qui serait attendu dans l'hypothèse où il n'existerait que de la matière lumineuse dans la Galaxie (c'est à dire que toute le masse serait ce qu'on peut voir).
Ils démontrent que la rotation observée à l'intérieur de la Voie Lactée ne peut pas être expliquée sans considérer la présence de grandes quantités de matière noire autour de nous.
Il faut dire que nos trois astrophysiciens ont utilisé vraiment un échantillon impressionnant : 2780 mesures de vitesses, en grande majorité des cinématiques de gaz et plus minoritairement des mouvements d'étoiles (un peu plus de 500 tout de même).
Miguel Pato insiste : "Notre méthode permettra pour les prochaines observations astronomiques , de mesurer la distribution de matière sombre dans notre Galaxie avec une précision inégalée. Cela permettra de raffiner notre compréhension de la structure et de l'évolution de notre Galaxie, et cela permettra des prédictions plus robustes pour les nombreuses expériences de recherche de particules formant la matière noire. Cette étude constitue ainsi un pas très important dans la quête de la nature de la matière noire...".
Une preuve observationnelle est d'autant plus importante que les méthodes fondées sur des modélisations de distribution de masse sont sources de grandes incertitudes. Dans ces modélisations, la distribution de matière noire est considérée suivre un profil de densité inspiré par des simulations numériques, comme par exemple un ajustement analytique de type profil NFW (Navarro-Frenk-White) ou profil de Einasto, qui comportent au moins deux paramètres libres, dont les meilleures valeurs sont déterminées par des contraintes dynamiques. Or ces classes de profils de densité sont inspirées par des simulations sans baryons (la matière ordinaire), mais ces derniers jouent un rôle non négligeable dans la région interne de la Voie Lactée.
La conclusion que donnent Miguel Pato et ses coauteurs est qu'une évidence d'une composante sombre diffuse apparaît avec un niveau de confiance à 5σ lorsque l'on compare la courbe de rotation de la Voie Lactée et les prédictions de nombreux modèles baryoniques (la matière visible). Cette composante sombre diffuse contribue au potentiel gravitationnel de la Voie Lactée.
La robustesse statistique des mesures a été testée vis à vis de la variation de nombreux paramètres comme le rayon galactocentrique, la vitesse mesurée, le mouvement du Soleil et la sélection des données, ainsi que d'effets systématiques dus aux bras spiraux, ce qui rend ce résultat très fort pour les faibles rayons galactocentriques (la zone très interne de la Galaxie).
Sans aucune hypothèse sur la nature de cette masse sombre, ces résultats ouvrent une nouvelle voie pour la détermination de sa distribution à l'intérieur de la Galaxie.
Source :
Evidence for dark matter in the inner Milky Way
Fabio Iocco, Miguel Pato & Gianfranco Bertone
Nature Physics, Published online 09 February 2015
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