dimanche 23 août 2015

Des neutrinos de l'hémisphère Nord détectés au pôle Sud

L'Observatoire IceCube a récemment montré l'existence de neutrinos très énergétiques qui proviennent d'objets astrophysiques (non encore identifiés), mais assurément situés en dehors de notre galaxie. Mais pour trouver ces 37 neutrinos ultra-énergétiques, les chercheurs de IceCube, installé dans la glace de l'Antarctique, n'avaient scruté que l'hémisphère Sud du ciel... Et bien, désormais, ils le font également avec l'hémisphère Nord, grâce à la faculté qu'ont les neutrinos de pouvoir traverser la Terre de part en part...


Les physiciens de IceCube sont malins, sachant que l'un des bruits de fond les plus gênant dans le détecteur IceCube, sont les muons cosmiques, qui produisent le même genre de signal que certains neutrinos énergétiques (qui en interagissant avec la glace produisent des muons), et sachant en outre que le flux de muons cosmiques peut très très difficilement traverser le diamètre de la Terre alors que les neutrinos, eux, peuvent le faire, ils en ont conclu qu'il devait être possible d'utiliser la Terre elle même comme une sorte de gros filtre, qui ne laisserait passer que les bons neutrinos venus de l'hémisphère Nord et stopperait les muons parasites.
Carte du ciel en coordonnées équatoriales des neutrinos astrophysiques détectés par IceCube (en bleu les 27 premiers et en rouge ceux provenant de l'hémisphère Nord dans cette nouvelle analyse), l'énergie la plus probable est mentionnée (en TeV) pour chaque événement  (IceCube Collaboration).
Le détecteur IceCube, rappelons-le, est formé de 5160 photomultiplicateurs (des détecteurs de lumière), distribués le long de grandes lignes plongeant dans la glace à une profondeur comprise entre 1,5 et 2,5 km pour couvrir environ un volume de 1 km3 dans la glace.
Lorsqu'ils produisent des muons en interagissant dans la glace, les neutrinos astrophysiques laissent ainsi des traces rectilignes dans le détecteur, qui permettent aux physiciens de déterminer la direction d'incidence de la particule initiale. Les muons créent de la lumière dite "lumière Cherenkov" dans la glace, qui est mesurée. Et les physiciens déterminent non seulement la direction, mais aussi le sens de la trajectoire, vers le bas (donc venant du Sud) ou vers le haut (venant du Nord). En ne sélectionnant que les traces rectilignes montrant une direction d'origine boréale, les chercheurs de IceCube peuvent ainsi être quasi sûrs qu'il s'agit de neutrinos et non pas de "simples" muons du rayonnement cosmique, rappelons-le, pratiquement incapables de traverser les 12756 km du diamètre terrestre.

La collaboration IceCube vient ainsi de publier dans Physical Review Letters la détection de 21 neutrinos de très haute énergie en provenance du ciel de l'hémisphère Nord. Leur énergie va de 156 TeV à 1693 TeV (soit 1,69 PeV), et leur flux est très supérieur à celui qui serait attendu si il s'agissait de neutrinos créés dans l'atmosphère par des réactions secondaires de rayons cosmiques. Il s'agit donc avec une forte probabilité de nouveaux neutrinos astrophysiques. Les flux sont d'ailleurs tout à fait compatibles avec ce qui est observé dans l'hémisphère sud du ciel. Pour isoler ces 21 nouveaux neutrinos astrophysiques, les chercheurs ont trié pas moins de 35000 neutrinos provenant de l'hémisphère nord, mais la plupart de plus basse énergie et provenant avant tout de l'atmosphère, détectés durant une période de 660 jours entre mai 2010 et mai 2012. Cette nouvelle analyse, indépendante de celle effectuée sur la partie Sud du ciel vient donc confirmer les précédents résultats obtenus et l'origine extragalactique de ces neutrinos très énergétiques.

Alors qu'il est question d'agrandir IceCube et de construire de nouveaux grands détecteurs de neutrinos dans le but d'attraper toujours plus de ces neutrinos extragalactiques et découvrir enfin leur origine toujours incomprise, de tels résultats ne pouvaient pas mieux tomber, quelques semaines seulement après l'annonce cet été dans une conférence de la détection du neutrino le plus énergétique jamais observé par IceCube. Le développement de ce qu'on appelle maintenant l'astronomie des neutrinos est en marche...


Source :
Evidence for Astrophysical Muon Neutrinos from the Northern Sky with IceCube
M. G. Aartsen et al. (IceCube Collaboration)
Phys. Rev. Lett. 115, 081102 (20 August 2015)

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