26/08/15

Retour sur le mystère de G2, survivant de Sgr A*

Vous vous souvenez sans doute de la saga de G2... J'avais relaté ici en janvier 2012 l'observation de cet étrange chose qui se déplaçait très vite vers le trou noir de notre Galaxie, Sgr A*. Alors que les astrophysiciens pensaient tenir là un gros nuage de gaz qui allait être avalé par le trou noir dans un feu d'artifice de rayons X, un phénomène très rare si proche, et donc hyper intéressant, il ne s'était absolument rien passé (voir ici et )... Au lieu d'être disloquée, la "chose", G2, est passée à proximité de Sgr A* et est bien toujours là dans son entièreté. Et on ne sait toujours pas ce que c'est.


Mais on essaye de le savoir, car cet objet est trop étrange. Le fait que cette sorte de nuage de gaz ait survécue à son passage au plus près du trou noir supermassif indique une chose : il doit connaître une certaine attraction gravitationnelle interne, autrement dit il doit être "lié". Il faut savoir que différentes équipes d'astronomes ont essayé de déterminer la nature de ce G2 à partir de ce qu'on pouvait déduire des observations,  La plus logique était une étoile supergéante engoncée dans le nuage de gaz, mais cette hypothèse n'a pas pu être validée.
Evolution de G2 depuis 2006, la couleur montre la vitesse,
en rouge un éloignement, en bleu un rapprochement
(ESO, Nature)
Aujourd'hui, une équipe italienne propose dans une étude parue dans The Astrophysical Journal une nouvelle solution pour expliquer G2 : au centre du nuage de gaz pourrait se trouver un embryon planétaire qui aurait été éjecté de son système stellaire. Cet ensemble aurait la taille de l'orbite terrestre autour du Soleil.

Il faut comprendre une chose, c'est que le centre galactique ne ressemble en rien à l'environnement proche du Soleil. La densité d'étoiles y est multipliée par un million, des anciennes étoiles de faible masse principalement, mais aussi une plus petite population d'étoiles massives, jeunes et lumineuses (d'environ 10 millions d'années) qui sont entourées d'un anneau de gaz moléculaire ayant une masse équivalente à plusieurs dizaines de milliers de masses solaires.

Quand G2 a été détecté pour la première fois entre 2006 et 2010, son orbite future avait pu être prédite et montrait qu’il devait passer très près de Sgr A* au printemps 2014, ce qui avait suscité une excitation certaine parmi les astrophysiciens (et sur Ça Se Passe Là-Haut !), car cela voulait dire qu’on allait voir ce qui allait se passer,  c’est-à-dire suivre en temps réel les effets du trou noir supermassif.
Allait-on voir une intense émission de rayons X avec la formation d’une accrétion, ou bien la formation de jets de matière comme ce que l’on voit avec les quasars ? Un an après son passage au plus proche du point théorique du centre de la Galaxie (le trou noir Sgr A*) qui a eu lieu en mai 2014, nous pouvons affirmer que rien de tel ne s’est produit, il n’y a pas eu d’accrétion de gaz autour de Sgr A* à même de produire quelque chose d’observable. Mais c’est tout de même intéressant car c’est une donnée qui permet d’aider à comprendre ce qu’est ce fameux G2.
A part la première hypothèse d’une étoile supergéante dans une large enveloppe de gaz, il avait été proposé d’autres scénarios pour expliquer G2 . Le premier d’entre eux, un peu complexe,  était que ce serait en fait le front d’une onde de choc produite par l’interaction du vent stellaire d’une étoile de faible masse située à l’intérieur du nuage avec le plasma situé aux alentours . Un autre scénario intéressant était qu’il se serait agi d’une étoile déchirée par les effets de marée intenses produits par le trou noir supermassif. Une autre hypothèse mentionnait également la fusion de deux étoiles.
La zone de Sagittarius A imagé par Chandra
(Chandra X Ray Observatory)
C’est surtout le fait que G2 ait réémergé de l’autre côté du trou noir en étant intact qui aide à comprendre. La zone du spectre où G2 est le mieux détecté est dans les infra-rouges (longueurs d’ondes comprises entre 2 et 5 microns). Même si sa luminosité est faible (sa luminosité intrinsèque étant 30 fois inférieure à celle du Soleil), elle montre une émission typique de poussières à la température d’environ 500 K. Une hypothèse plausible, étant donné qu’il s’agit forcément d’un objet lié gravitationnellement, est que G2 contienne une petite étoile très jeune entourée par un disque de poussières. Un excès d’émission infra-rouge est en effet, chez les étoiles jeunes, un indice fort d’extrême jeunesse, et de telles étoiles ont déjà pu être observées justement dans cette région du centre galactique.
Mais la proposition de Michela Mapelli et Emanuele Ripamonti va plus loin. Selon eux il n’y aurait tout simplement pas d’étoile au sein de G2. Il s’agirait dun système protoplanétaire qui aurait été éjecté de son étoile suite à une rencontre malencontreuse avec une autre étoile dans ce milieu si propice à des interactions gravitationnelles déstabilisantes. Le système protoplanétaire, un vaste amas de gaz et de poussières, resterait lié par sa propre gravité. G2 dériverait depuis lors et se serait retrouvé par hasard à proximité immédiate de Sgr A*.

De tels objets sont normalement invisibles directement, mais lorsque les forces de marée d‘un trou noir supermassif commencent à les déformer, ils peuvent briller un peu plus que d’ordinaire. Mapelli et Ripamonti ont fait le calcul sur la base d’un tel objet, embryon protoplanétaire de masse comprise entre 10 et 100 masses joviennes, et montrent qu’il devient détectable et ressemble à s’y méprendre à ce qui est observé quand on regarde G2. Cela implique que les couches extérieures du nuage de gaz et de poussières soient déformées ou arrachées par les forces gravitationnelles du trou noir, donc chauffées, puis ionisées par le milieu interstellaire (où ne manquent pas les ultra-violets des jeunes étoiles voisines pour le faire).
Cette nouvelle hypothèse doit maintenant être confirmée par d’autres observations. Un suivi en continu du centre galactique est notamment mené par le réseau ALMA au Chili et par le Jansky Very Large Array au Nouveau Mexique. Ces grands instruments devraient apporter des informations sur G2, complémentaires à celles, déjà riches, obtenues dans l’infra-rouge.

Sources :

Signatures of Planets and Protoplanets in the Galactic Center: A Clue to Understanding the G2 Cloud?
Michela Mapelli and Emanuele Ripamonti 
Astrophys. J. 806, 197 (2015).

Astrophysics: Mystery survivor of a supermassive black hole
John Bally
Nature 524, 301–302 (20 August 2015) 


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