vendredi 6 octobre 2017

Le proton encore plus petit que ce qu'on pensait ?


L’élément le plus abondant dans l’Univers est l’hydrogène, composé d’un proton et d’un électron. La taille d’un proton est très petite, de l’ordre du femtomètre (ou fermi, soit 10-15 m). Le rayon du proton est un paramètre physique déroutant, plusieurs mesures différentes donnant des résultats différents. Une nouvelle mesure par spectroscopie à haute résolution vient d’être publiée et ne résout pas le mystère, bien au contraire…




Comparé à l’atome d’hydrogène, le proton est 60 000 fois plus petit. De nombreuses expériences se sont essayées à mesurer sa taille (son rayon pour être exact) avec la plus grande précision possible. Mais depuis 2010, il faut bien avouer que les physiciens se grattent la tête, pour ceux qui ont encore des cheveux. Cette année-là, une expérience très sophistiquée avait mesuré la taille du proton en remplaçant l’électron par un muon, et avait déduit un rayon du proton 4% plus petit que ce qui était obtenu jusque-là à partir d’expériences de spectroscopie et de diffusion électron-proton sur de l’hydrogène « normal ». Aujourd’hui, une nouvelle mesure vient d’être publiée dans Science par une équipe germano-russe menée par le physicien Axel Beyer du Max-Planck-Institut für Quantenoptik, et le résultat va plutôt dans le sens d’un rayon du proton faible, donc dans le sens de la mesure faite en 2010 avec de l’hydrogène muonique.
Les physiciens de l’équipe de Beyer ont utilisé la mesure de deux raies d'émission de l'hydrogène : une raie étroite correspondant à la transition 1S-2S, et une raie de Balmer large, la transition 2S-4P. Ces mesures leur permettent de déduire la valeur du rayon du proton. De plus, le spectre qu’ils mesurent leur permet également de déterminer la valeur d’une constante fondamentale, parmi les constantes les mieux connues, la constante de Rydberg R∞, et ils trouvent sur cette constante un écart significatif de 3,3 sigmas par rapport à la valeur admise... (la nouvelle valeur obtenue pour R∞ est ici de = 10 973 731,568076(96) m–1).
La mesure des physiciens allemands et russes est une véritable prouesse de précision. La fréquence de la raie de Balmer 𝛃 (bleu) a été mesurée avec une précision de seulement quelques kHz. La mesure du rayon du proton et de la constante de Rydberg est obtenue en mesurant les petits décalages de niveau d'énergie qui apparaissent lorsqu'un électron passe quelques temps à l'intérieur du proton (nous sommes en mécanique quantique, rappelons-le). Ces décalages se retrouvent ensuite dans l'énergie (ou fréquence) du photon émis lors de la transition entre les niveaux d'énergie. 
L'expérience est évidemment complexe à mettre en oeuvre : un faisceau d'atomes froids d'hydrogène dans leur état fondamental 1S sont excités dans un seul des deux états hyperfins 2S par une excitation laser à deux photons . Ensuite, les atomes excités dans l'état 2S sont à nouveaux excités pour atteindre les niveaux de structure fine 4P1/2 et 4P3/2 à l'aide d'un seul photon bleu. Ces excitations doivent être effectuées très exactement avec un angle de 90° entre le faisceau d'atomes et le faisceau laser, la plus petite déviation ayant pour effet de décaler le centroïde de la raie d'émission par effet Doppler, impactant directement la précision de la mesure.

La valeur du rayon du proton que les chercheurs allemands et russes obtiennent est la plus précise déterminée à ce jour  par spectroscopie sur de l'hydrogène "normal", elle vaut  rp = 0.8335(95) fm. Le rayon qui était déduit des mesures avec un hydrogène muonique donnait rp = 0,8356 fm, et la valeur "officielle" théorique du modèle standard est de 0,8745 fm. 
Personne ne comprend aujourd'hui d'où vient cet écart. D'autres mesures sont vraiment nécessaires pour enfin comprendre pourquoi la taille du proton semble différer de plusieurs pourcents entre la théorie et l'expérience et entre expériences différentes. Plusieurs expériences de spectroscopie ainsi que de diffusion électron-proton et de diffusion muon-proton sont en cours. Des expériences avec des noyaux plus lourds pourraient également fournir de précieuses indications. Récemment, une expérience a été effectuée sur du deutérium muonique (un noyau comportant un proton et un neutron, avec un muon en remplacement de l'électron), et cette expérience de spectroscopie a conduit à une taille plus faible du deuteron (proton+neutron) que celle obtenue sur du deutérium normal (avec un électron)... Mais l'écart sur la constante de Rydberg mesuré aujourd'hui par Beyer et ses collègues tendrait à réconcilier ces mesures sur les deux types de deutérium...
Le même genre de mesures sur des atomes d'hélium-4 muonique et d'hélium-3 muonique ont été effectuées également très récemment et devraient donner bientôt la taille de la particule 𝛂 (2 protons+2 neutrons) et de l'hélion (2 protons + 1 neutron). 

Les résultats étonnants obtenus avec des atomes muoniques avaient laissé planer le doute sur l'existence possible d'une nouvelle particule qui aurait pu interagir avec le muon mais pas avec l'électron. Les nouvelles mesures de Beyer et ses collaborateurs, à défaut de résoudre le mystère de la taille du proton, auront au moins permis de rejeter cette idée de nouvelle particule. Jusque quand ?


Source 

The Rydberg constant and proton size from atomic hydrogen.
A. Beyer, L. Maisenbacher, A. Matveev, R. Pohl, K. Khabarova, A. Grinin, T. Lamour, D. Yost, T.W. Hänsch, N. Kolachevsky, T. Udem 
Science. Vol. 358, (October 6, 2017)
http://dx.doi.org/10.1126/science.aah6677


Illustration 

Détail de l'installation expérimentale utilisée pour la mesure de la taille du proton et de la constante de Rydberg (Max Planck Institüt)

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