mercredi 22 septembre 2021

Des galaxies précoces ne forment plus d'étoiles par manque de gaz froid


Les premières galaxies massives, celles qui se sont formées au cours des trois premiers milliards d'années après le Big Bang, devraient contenir de grandes quantités d'hydrogène froid, le combustible nécessaire à la formation des étoiles. Mais une équipe d'astrophysiciens vient d'observer une petite étrangeté avec ALMA : six galaxies massives précoces qui n'ont plus du tout de carburant pour former des étoiles. Ils publient leurs observations aujourd'hui dans Nature

Connues sous le nom de galaxies "éteintes", ou galaxies qui ont arrêté la formation d'étoiles, les six galaxies sélectionnées pour être observées dans le cadre de l'étude REQUIEM (REsolving QUIEscent Magnified galaxies at high redshift) ne correspondent pas à ce que les astronomes attendent de l'Univers primitif. Il s'agit des galaxies nommées MRG-M1341, MRG-M0138, MRG-M2129, MRG-M0150, MRG-M0454 et MRG-M142. Elles sont toutes fortement lentillées avec un facteur de grandissement qui va de 2,7 jusqu'à 30 (pour MRG-M1341). Elles montrent un taux de formation d'étoiles extrêmement bas qui peut atteindre jusqu'à 0,1 M☉ par an seulement (10 fois moins que le taux de la Voie Lactée qui n'est pas une championne).  

Les galaxies les plus massives de l'Univers ont créé leurs étoiles en un laps de temps remarquablement court. Le gaz, qui est le carburant de la formation des étoiles, devrait être encore abondant à ces époques précoces de l'Univers (aux alentours de z=2, donc 3 milliards d'années après le Big Bang). Mais ce qu'ont observé Kate Whitaker (Université du Massachussetts) et ses collaborateurs, ce sont des galaxies massives qui ne produisent plus d'étoiles car elles n'ont simplement plus plus de gaz disponible pour le faire. Ils ont exploité des données du télescope Hubble, associées à des images obtenues avec le réseau ALMA permettant de déterminer la quantité de gaz présente de manière indirecte en utilisant la poussière comme traceur de l'hydrogène moléculaire. Mais leur programme d'observation REQUIEM est aussi fondé sur l'utilisation clé de lentilles naturelles que sont des lentilles gravitationnelles produites par des amas de galaxies en avant plan,  de manière à pouvoir observer des galaxies très éloignées avec une bonne résolution.

Les nouvelles observations montrent que l'arrêt de la formation d'étoiles dans les six galaxies n'est pas dû à une inefficacité soudaine dans la conversion du gaz froid en étoiles. Il s'agit plutôt selon les chercheurs du résultat de l'épuisement ou de la suppression des réservoirs de gaz dans les galaxies.
Dans quatre des six galaxies l'émission de poussière qui trace le gaz froid moléculaire n'est même pas détectée, fournissant ainsi une limite supérieure estimée de la masse de poussière de 0,0001 fois la masse stellaire, et qui donc, en supposant le rapport gaz moléculaire/poussière de la Voie lactée, fait 0,01 fois la masse stellaire en gaz moléculaire. Cela représente donc 100 fois moins de gaz moléculaire par unité de masse stellaire que ce qui est observé dans les galaxies "normales" en cours de formation d'étoiles à des décalages vers le rouge similaires, où il y a autant de masse en gaz et en étoiles. 
Les auteurs conviennent qu'il est difficile d'extrapoler à partir de ce petit échantillon, mais ces observations établissent clairement que c'est l'épuisement du gaz qui est responsable de l'arrêt de la formation d'étoiles dans une certaine fraction des galaxies à haut décalage vers le rouge.
Les explications possibles pour cette extinction selon Kate Whitaker et son équipe pourraient être que la principale source de gaz alimentant les galaxies se retrouve coupée pour une raison encore inconnue, ou bien qu'un trou noir supermassif injecte suffisamment d'énergie pour maintenir chaud le gaz de la galaxie, le rendant alors peu propice à former des étoiles.

Les observations rapportées dans cette étude sont les premières mesures du continuum de la poussière froide sur des galaxies dormantes lointaines, et de fait, ce sont les premières mesures de ce type en dehors de l'Univers local. 
Le fait que ces grandes galaxies aient formé 100 milliards d'étoiles en l'espace d'environ un milliard d'années et qu'elles aient soudainement arrêté leur formation d'étoiles est un petit mystère qui reste à résoudre. Le projet REQUIEM vient d'en fournir un premier indice, mais d'autres devront suivre pour en savoir beaucoup plus.

Source

Quenching of star formation from a lack of inflowing gas to galaxies
Katherine E. Whitaker et al.
Nature volume 597 (22 september 2021)


Illustration

Image composite Hubble/ALMA de la galaxie MRG-M0138 lentillée par l'amas MACSJ 0138 ( ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)/S. Dagnello (NRAO), STScI, K. Whitaker et al)

1 commentaire :

Pascal a dit…

Bonjour,

L'article concerne des galaxies éteintes pauvres en poussières à z vers 2 ; un récent papier fait état au contraire de 2 galaxies obscurcies par la poussière, non visibles en UV, découvertes par sérendipité dans les données d'ALMA, caractérisées par les raies du C II et le continu des poussières, à z proche de 7, de luminosité IR et SFR typiques des galaxies à ce Z (pas extrêmes). D'après les auteurs, ce type de galaxies pourrait contribuer de 10 à 25 % au CSFR à z > 6, qu'il faudrait donc réévaluer. Une donnée supplémentaire pour la compréhension de l'évolution précoce des galaxies.
"Normal, dust-obscured galaxies in the epoch of reionization", Y. Fudamoto et al., Nature 21/09/21 https://arxiv.org/pdf/2109.10378.pdf