05/10/21

Toujours aucune trace d'ondes gravitationnelles primordiales dans le CMB


Une recherche actualisée des ondes gravitationnelles primordiales, qui auraient été produites lors de la phase inflationnaire de l'Univers, ne trouve toujours pas de signal. Cette nouvelle contrainte observationnelle implique que certains modèles d'inflation de l'Univers primordial deviennent moins viables. L'étude est parue dans Physical Review Letters.

Les cosmologistes s'attendent à ce que les infimes fluctuations de densité primordiales soient accompagnées de fluctuations dans le tissu de l'espace-temps lui-même. Ces ondes gravitationnelles pourraient être observées à travers un signal de polarisation dans le fond diffus cosmologique (CMB). La collaboration BICEP/Keck, qui a été à l'avant-garde de la recherche de ce signal, publie aujourd'hui ses nouveaux résultats montrant aucune preuve d'ondes gravitationnelles primordiales. Les chercheurs de la grande collaboration internationale en tirent bien évidemment des limites sur les paramètres du modèle, qui vont plutôt à l'encontre des prédictions des modèles inflationnaires. Donc soit nous nous rapprochons rapidement d'une détection, ou au contraire d'un changement de paradigme. 

Une détection robuste d'ondes gravitationnelles primordiales (ou "reliques") confirmerait que l'Univers a été façonné par un mécanisme d'inflation. L'inflation, on le rappelle, a été introduite au début des années 1980 pour résoudre plusieurs problèmes de la cosmologie comme l'existence de fluctuations de densité et l'isotropie à grande échelle. La théorie de l'inflation est aujourd'hui largement acceptée et paraît plausible pour expliquer les débuts de l'Univers. Si cette théorie est correcte et que des ondes gravitationnelles ont rempli l'Univers primitif, alors on s'attend à voir une polarisation dans la lumière du CMB, un motif particulier qu'on appelle des "modes B". On s'en souvient, en 2014, l'expérience BICEP qui exploite un télescope installé au pôle Sud avait annoncé avec pas mal de bruit la détection de modes B, mais le signal s'était finalement avéré n'être que le résultat de la poussière de notre propre galaxie produisant un effet semblable à celui attendu sur le CMB. 

Cet échec médiatique n'a pas refroidi les chercheurs et les a incité à concentrer leurs efforts sur toutes les sources de bruit pouvant parasiter leur signal utile, notamment la présence de poussière interstellaire.  Au fil des ans, les chercheurs de l'expérience BICEP et d'un projet conjoint appelé Keck Array ont développé des modèles de poussière très élaborés en utilisant des données à différentes fréquences. 


Dans ce type de mesures, la modélisation correcte de la poussière qui se trouve en avant-plan est cruciale. Pour les petits rapports tenseur/scalaire, la poussière interstellaire (ou intragalactique) est le signal le plus gênant dans le ciel. Les modèles de poussière que les chercheurs construisent sont basés sur des observations à haute fréquence du satellite Planck (les données à 353 GHz). Pour la première fois, les observations imposent des contraintes sur tous les paramètres du modèle de poussière, et l'analyse des chercheurs de BICEP/Keck montre que leur modèle reproduit avec une très bonne précision le comportement de la poussière. Ils peuvent donc éliminer efficacement la contamination du signal par la poussière. 

En éliminant la contribution estimée de la poussière, la collaboration BICEP/Keck a ainsi pu établir une limite de plus contraignante sur la contribution des ondes gravitationnelles primordiales dans le signal de polarisation. Cette limite est donnée en termes de rapport tenseur/scalaire, un paramètre appelé r, qui caractérise l'amplitude des ondes gravitationnelles par rapport à celle des ondes de densité. Avant les premiers résultats de BICEP/Keck, le rapport tenseur/scalaire était connu pour être inférieur à 0,11, déterminé sur la base des observations du CMB par le satellite Planck. Avec les données BICEP/Keck, la limite supérieure est tombée à r<0,09 en 2016, puis à r<0,07 en 2018. Le nouveau résultat paru aujourd'hui, qui porte sur une campagne d'observation effectuée en 2018, abaisse encore la limite, mais d'un facteur 2 cette fois-ci : r<0,036.

Pour atteindre une telle amélioration, les chercheurs ont combiné leurs données obtenues à trois fréquences différentes (96 GHz, 150 GHz et 220 GHz) avec des données d'archives sur le CMB du satellite Planck et de son prédécesseur WMAP.  Et cette nouvelle limite du rapport tenseur/scalaire a un impact sur les modèles d'inflation. Les différents modèles d'inflation font en effet des prédictions différentes pour r, car le rapport est lié à l'échelle d'énergie de l'inflation. Pour une grande classe de modèles d'inflation, désignés sous le nom de modèles monomiaux (polynomiaux à un seul terme), le rapport tenseur/scalaire est relativement important et s'échelonne comme 1∕N, où N>40. Cette classe peut alors commencer à être exclue.

Pour une autre classe de modèles inflationnaires, inspirée par les travaux d'Alexei Starobinsky au début des années 1980, le rapport tenseur/scalaire s'échelonne comme 1∕N2, ce qui conduit à une valeur plus petite de r, mais qui reste dans les nouvelles limites de BICEP/Keck. Il existe d'autres modèles ayant r∝1∕Nt avec t>2  mais ces modèles ont tendance à prédire des valeurs incompatibles avec les limites actuelles.

La plupart des modèles d'inflation prédisent r>10-4 . La nouvelle limite BICEP/Keck est encore à plus de 2 ordres de grandeur de ce seuil, mais l'amélioration rapide de ces dernières années, associée à une bien meilleure compréhension des avant-plans, suggère que les chercheurs seront bientôt en mesure d'atteindre ce seuil théorique de 10-4. Outre les efforts continus de BICEP/Keck en étroite collaboration avec le South Pole Telescope (SPT), l'Observatoire Simons (SO) au Chili, et plus tard, l'expérience CMB-S4 (dans un effort conjoint des groupes SO et SPT/BICEP) devraient atteindre la sensibilité expérimentale nécessaire pour mesurer r aussi bas que 10-4, et ce peut-être avant la fin de la décennie.

Ajouté à ces observations au sol, une mission satellitaire japonaise, appelée LiteBIRD, sera lancée en 2028 pour étudier le fond diffus cosmologique. La combinaison d'expériences au sol et en orbite sera primordiale pour la recherche de la polarisation du CMB. Si les futures mesures continuent à ne trouver aucun signal d'ondes gravitationnelles primordiales et une valeur toujours plus faible de r, cela impliquera de reconsidérer drastiquement nos modèles inflationnaires, voire de rejeter complètement l'inflation...

Sources

Improved Constraints on Primordial Gravitational Waves using Planck, WMAP, and BICEP/Keck Observations through the 2018 Observing Season

P. A. R. Ade et al. (BICEP/Keck Collaboration)

Phys. Rev. Lett. 127, (4 October 2021)

https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.127.151301


Squeezing down the Theory Space for Cosmic Inflation

Daniel Meerburg

https://physics.aps.org/articles/v14/135


Illustrations

1. Le télescope micro-ondes BICEP3 installé à la base Amundsen-Scott en Antarctique (collaboration BICEP)

2. Le fond diffus cosmologique cartographié par le satellite Planck (ESA/Planck collaboration)

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