26/02/22

La localisation d'un FRB répétitif confirmée dans un amas globulaire de la galaxie M81


En octobre 2021, je vous relatais une étude portant sur le FRB nommé FRB 20200120E, un sursaut rapide d'ondes radio répétitf qui avait été découvert en janvier 2020 dans la galaxie proche M81 et qui ne semblait pas vraiment provenir d'un magnétar du fait de l'absence d'émission de rayons X. Aujourd'hui, une équipe d'astrophysiciens confirme que ce FRB est bien situé dans un amas globulaire de M81, avec une précision de localisation inédite. Or, un amas globulaire est peuplé de vieilles étoiles et donc très peu propice à abriter un jeune magnétar, et d'autres solutions sont envisagées... L'étude est parue cette semaine dans Nature, et et accompagnée d'un autre article dans Nature Astronomy qui analyse les caractéristiques temporelles des nouveaux sursauts détectés.

Aujourd'hui, plus de 20 sources de FRB ont été localisées dans des galaxies spécifiques, qui montrent une diversité étonnante. Ces observations aussi variées n'ont pas encore permis de vraiment comprendre le mécanisme des sursauts rapides d'ondes radio. Une percée dans notre compréhension des sursauts radio rapides avait eu lieu en 2020, lors de la découverte d'un sursaut provenant d'un magnétar actif dans la Voie Lactée, connu sous le nom de SGR 1935+21543-5. On pense que tous les magnétars connus dans la Voie Lactée se sont formés lors d'explosions de supernova de certaines étoiles massives, et SGR 935+2154 est d'ailleurs situé dans un résidu de supernova. Et comme les étoiles les plus massives ne vivent que quelques dizaines de millions d'années, les magnétars devraient être localisés au même endroit que là où se forment des étoiles massives aujourd'hui. Toutes les galaxies connues pour abriter des sources de FRB sont susceptibles d'être en train de former des étoiles. Mais Frantz Kirsten (Observatoire de Onsala, Suède) et ses collaborateurs confirment que FRB 20200120E est situé dans un amas d'étoiles anciennes, à la périphérie de la galaxie M81 (dans la Grande Ourse). Grâce au réseau de 11 radiotélescopes de l'EVN (European Very Long Baseline Interferometry Network), ils ont détecté 5 nouveaux sursauts dans la bande de fréquence de 1,4 GHz : 2 le 20 février 2021, 2 autres le 7 mars 2021 et le dernier le 28 avril 2021. Ils ont ainsi pu localiser la source des sursauts avec une précision inédite de seulement 1,2 milliseconde d'arc, ce qui fait une fraction de parsec (5000 unités astronomiques pour être exact) (rappelons qu'on est ici à une distance de 3,6 Mpc). Le FRB se situe à 116 millisecondes d'arc du centre de l'amas globulaire nommé [PR95] 30244. ce qui fait 2 pc du centre de l'amas. Kirsten et ses collaborateurs démontrent que l'association du FRB avec l'amas globulaire est robuste, compte tenu de la précision de sa localisation, de la taille angulaire de l'amas globulaire, de la position du FRB par rapport à la galaxie (dans sa périphérie) et du nombre d'amas globulaires de M81 (environ 300). La probabilité d'un alignement fortuit est calculée et est inférieure à 1,7 × 10−4. 


Les astrophysiciens montrent que FRB 20200120E ne peut pas être un magnétar formé classiquement dans la supernova d'une étoile massive, car il réside dans un amas globulaire dans lequel les étoiles massives ont explosé peu après la formation de l'amas il y a plusieurs milliards d'années. Or, les magnétars se "désactivent" après environ 10 000 ans, avec la décroissance de leur champ magnétique. Les magnétars qui ont dû exister à la naissance de l'amas globulaire sont aujourd'hui de simples pulsars. 
En revanche, en raison de leurs densités stellaires extrêmes, les amas globulaires sont sont connus pour former des binaires à courte période orbitale à un taux élevé. Kirsten et ses collaborateurs proposent alors une alternative, et même plusieurs. FRB 20200120E pourrait être produit par un magnétar mais qui se serait formé par effondrement d'une naine blanche induit par accrétion (AIC, accretion induced collapse) ou induit par la fusion d'une binaire naine blanche-naine blanche, ou naine blanche-étoile à neutrons, voire d'un couple d'étoiles à neutrons (MIC, merger induced collapse). De tels couples sont en effet communs dans les amas globulaires et d'autant plus vers leur centre, là où se trouve justement FRB 20200120E. En plus, une absence de source radio ou X persistante à la position du collapse est attendue dans un scénario de type AIC ou MIC, car toute émission générée pendant l'effondrement s'évanouit sur des courtes échelles de temps (< 1 an). Or aucune source persistante n'est observée à la localisation de FRB 20200120E.
Kirsten et son équipe évoquent aussi des solutions alternatives : FRB 20200120E pourrait être produit par un système binaire compact comme un couple étoile à neutrons-naine blanche en phase de pré-fusion ou bien un système étoile à neutrons magnétisée avec un compagnon planétaire. Dans ces systèmes binaires, les corps pourraient interagir magnétiquement et produire des sursauts répétés par reconnexions magnétiques des lignes de champ.

Kenzie Nimmo et ses collaborateurs montrent quant à eux dans leur article paru dans Nature Astronomy que certaines des émissions de FRB 20200120E ne duraient que quelques dizaines de nanosecondes. Ils ont effectué des mesures temporelles des sursauts avec une résolution extrême avec le radiotélescope de 100 m de Effelsberg (qui fait partie du réseau EVN). Ils sondent ainsi une région relativement inexplorée de l'espace de phase des transitoires de courte durée. Nimmo et ses collaborateurs comparent les données obtenues sur FRB 20200120E avec les autres FRB répétitifs détectés dans le passé, ainsi qu'avec le magnétar SGR 1935+21543-5 et le célèbre pulsar du Crabe. En comparant les échelles de temps et les luminosités, les chercheurs constatent que FRB 20200120E comble le fossé qui existe entre les jeunes pulsars et magnétars galactiques connus et les FRB extragalactiques beaucoup plus éloignés. Cela suggère selon eux un mécanisme d'émission commun, alimenté par le magnétisme, qui couvrirait plusieurs ordres de grandeur en termes d'échelle de temps et de luminosité. 
Les échelles de temps de ~60 ns à 5 μs observées dans le troisième sursaut correspondent par exemple à une taille de voyage de la lumière de 20 m à 1500 m au niveau de la source, en ignorant les effets relativistes. Bien que les luminosités spectrales des émissions de FRB 20200120E soient similaires à celles des autres sursauts radio rapides, les durées mesurées sont plus proches de celles de certains pulsars. Ainsi, si FRB 20200120E est produit par un magnétar actif, ce dernier doit s'être formé selon eux par un processus encore inobservé. Et l'étude détaillée menée par Nimmo et al. offre un autre indice très intéressant sur l'origine des sursauts de FRB 20200120E. Plusieurs pulsars se trouvent dans des amas globulaires de la Voie Lactée, et la plupart d'entre eux ont été "recyclés" : une interaction intense avec une étoile compagne (accrétion de matière) les a redynamisés et les a fait atteindre une période de rotation de l'ordre de la milliseconde. Ces pulsars millisecondes émettent des ondes radio à des échelles de temps inférieures à la microseconde, tout comme les sursauts de 60 nanosecondes du FRB 20200120E qui sont mesurés par Nimmo et son équipe. Il est alors tentant de lier les sursauts de FRB 20200120E à un pulsar recyclé plutôt qu'à un magnétar. Mais l'observation de durées aussi courtes, qui correspondent à des régions d'émission de quelques dizaines de mètres de diamètre à la source, constitue toujours un défi de taille pour les modèles électrodynamiques d'émission des sursauts radio rapides. Les échelles de temps sub-microsecondes observées sont trop courtes pour être naturellement explicables via l'émission d'un maser synchrotron dans un choc relativiste, car il faudrait qu'une petite région de la surface émette à tout moment. Nimmo et al. avaient précédemment soutenu que les courtes échelles de temps observées dans un autre FRB (FRB 20180916B) étaient plus naturellement explicables par une origine magnétosphérique d'une étoile à neutrons (et non au niveau de la surface). Les résultats présentés aujourd'hui confirmeraient cette origine magnétosphérique de l'émission FRB selon eux. Les contraintes sur les variations les plus courtes des courbes de lumière des FRB, on le voit, sont essentielles pour comprendre le mécanisme physique produisant les sursauts et peuvent finalement révéler des indices sur le progéniteur. .

Nimmo et ses collaborateurs estiment donc que les échelles de temps et les luminosités observées de FRB 20200120E peuvent être expliquées par des événements de reconnexion magnétique dans le voisinage proche d'une étoile à neutrons relativement jeune, isolée et fortement magnétisée. La reconnexion magnétique est pour eux une façon possible d'exploiter l'énergie magnétique pour alimenter un mécanisme de rayonnement cohérent qui produit l'émission radio rapide. Ce mécanisme a été proposé pour expliquer les nano-shots du pulsar du Crabe, le sursaut radio de type FRB de SGR 1935+215446, et d'autres FRB et on peut s'attendre dans ce cas à une gamme d'échelles temporelles et de libérations d'énergie magnétique assez grande, ce qui est cohérent avec la gamme observée des échelles temporelles et de luminosités des FRB : depuis les sursauts les plus faibles émis par le magnétar galactique SGR 1935+2154 et les sursauts de FRB 20200120E, jusqu'aux FRB les plus énergétiques provenant potentiellement de magnétars extragalactiques jeunes et actifs.
Pour les astrophysiciens, si la source est un magnétar, il n'a en tous cas pas pu être formé par une supernova à effondrement de cœur. L'alternative au magnétar qu'ils proposent est un pulsar milliseconde hautement énergétique issu d'un système d'accrétion. De futures observations de FRB 20200120E à une fréquence d'observation ≥5 GHz (où l'élargissement de la diffusion sera plus faible) seront nécessaires pour explorer des échelles de temps encore plus courtes. La surveillance continue de FRB 20200120E fournira aussi des statistiques sur la distribution des échelles de temps d'émission et permettra de savoir si l'activité est périodique, comme c'est le cas avec FRB 20180916B par exemple. Ces données permettront également de déterminer si il existe des fluctuations quasi-périodiques dans les courbes de lumière des sursauts, comme cela a été suggéré dans le cas de FRB 20180916B.
Malheureusement, les amas globulaires sont intrinsèquement faibles, ce qui les rend difficiles à associer aux sources de sursauts radio dans les galaxies les plus proches. La plupart des techniques de recherche actuelles sont insensibles aux échelles de temps inférieures à la microseconde présentes dans les sursauts du FRB 20200120E, or tout porte à croire qu'il existe une grande population de transitoires radio ultrarapides à des échelles de temps de l'ordre de la nanoseconde à la microseconde... 

Sources

A repeating fast radio burst source in a globular cluster
F. Kirsten et al.
Nature volume 602 (23 february 2022)

Burst timescales and luminosities as links between young pulsars and fast radio bursts
K. Nimmo et al.
Nature Astronomy (23 february 2022)

Illustrations

1. La galaxie M81 qui abrite FRB 20200120E dans un de ces amas globulaires (Subaru Telescope (NAOJ), Hubble Space Telescope)
2. Distribution des FRB dans le diagramme luminosité-durée de sursaut (Nature)
3. Mesure temporelle à haute résolution du troisième sursaut observé par les auteurs le 7 mars 2021 (Nimmo et al.) 

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