Une équipe internationale d’astrophysiciens, dont des chercheurs de l’Observatoire astronomique de Strasbourg, a identifié les traces de six galaxies ayant fusionné dans le passé avec la Voie Lactée, qui ont conduit à la formation de la Voie Lactée telle qu'on la connaît aujourd'hui. Ces fusions se seraient déroulées successivement au cours de 12 milliards d’années. L'un de ces résidus n'avait jamais été détecté auparavant et un autre arbore la métallicité la plus faible observée. L'étude est parue dans The Astrophysical Journal.
On estime que depuis sa formation, la Voie Lactée a grandi par une série de fusions, attirant des galaxies plus petites et des amas d’étoiles. Ces fusions ont généralement lieu dans le halo de la Voie Lactée, la grande région qui entoure le disque et le bulbe de notre Galaxie. Détecter des traces reliques de ces fusions est une tâche difficile car quand une galaxie fusionne avec la Voie Lactée, les importantes forces gravitationnelles de marée la disloquent, produisant la dispersion de ses étoiles dans le halo.
Khyati Malhan (Max-Planck-Institut für Astronomie, Heidelberg) et ses collaborateurs ont utilisé des données provenant du satellite astrométrique Gaia et des relevés SDSS, LAMOST, et APOGEE. Ils ont analysé les propriétés dynamiques et la métallicité de 257 objets particuliers : 170 amas globulaires, 41 courants stellaires et 46 galaxies satellites, qui représentent les structures les plus anciennes de notre Galaxie, avec des étoiles qui contiennent une fraction très faible d’éléments lourds (une métallicité inférieure à 10% de celle du Soleil). Ils les étudient en déterminant leurs caractéristiques dynamiques : vecteur action (J) et Energie (E), ce qui permet d'identifier les objets en les classant par groupes ayant les mêmes caractéristiques, qui signent une origine commune. Pour cela, ils doivent connaître les 6 dimensions de chaque objet : position dans le ciel (2D), distance héliocentrique, mouvement propre (2D) et vitesse radiale. Parmi ces objets, on retrouve le courant stellaire C-19 qui est la structure la plus pauvre en métaux de la galaxie et dont nous avons parlé en janvier dernier, découvert par les mêmes auteurs! Il montre des teneurs en éléments lourds inférieures à 0,1% de celle du Soleil (une métallicité [Fe/H]=-3.4 (2500 fois plus faible que la valeur solaire).
Malhan et son équipe montrent que le résidu de fusion LMS-1/Wukong est en fait la galaxie parente des trois courants les plus déficients en métaux : C-19, mais aussi Sylgr ([Fe/H] = −2.9), et Phoenix ([Fe/H] = −2.7). LMS-1/Wukong apparaît donc être le résidu de fusion galactique le plus pauvre en métaux de notre Galaxie. Cela suggère selon les chercheurs que LMS-1/Wukong doit s’être formé très tôt dans l’histoire de l'Univers, environ 3 milliards d’années après le Big Bang, lorsque l'environnement n'était pas encore très pollué par les éléments lourds fabriqués par les premières étoiles et répandus par les explosions de supernovas.
Les astrophysiciens ont donc découvert 6 groupes distincts dans le plan (J,E) répartissant les 257 objets étudiés grâce à la recherche de groupes d'étoiles représentant les résidus des galaxies ayant fusionné. Les chercheurs montrent que 25% des 257 objets sont liés à l’une de ces six fusions. Cela indique que notre Galaxie a connu au moins une série de six fusions de galaxies massives. Ces groupes comprennent les galaxies fusionnés précédemment connues Sagittarius, Cetus, Gaia-Sausage/Enceladus, LMS-1/Wukong, Arjuna/Sequoia/I’itoi. Et une nouvelle est apparue qu’ils ont appelée Pontus. Dans la mythologie grecque, Pontus est le nom d’un des premiers enfants de Gaia (la déesse de la Terre). L’équipe a même également suggéré la possibilité d’une septième fusion...
Or, il a récemment été proposé qu'une fraction significative du halo stellaire de la Voie lactée (∼95% de la population stellaire) résulterait de la fusion de 9 à 10 galaxies progénitrices. Ce scénario a été suggéré par Naidu et al. (2020), qui ont identifié ces fusions potentielles en sélectionnant des surdensités dans l'espace chimio-dynamique d'environ 5700 étoiles géantes (situées dans un rayon de 50 kpc du centre galactique). Beaucoup de leurs sélections étaient basées sur la connaissance des fusions précédemment connues. Ces nouveaux résultats vont donc plutôt dans le même sens mais en utilisant une approche très différente de la leur. Malhan et son équipe détectent des résidus de fusions en utilisant les données brutes (et sans les sélectionner au départ), en étant agnostique sur les fusions précédemment revendiquées de notre galaxie. La méthode est robuste car elle utilise un échantillon très différent d'objets du halo, comprenant des amas globulaires, des courants stellaires et des galaxies satellites.
Mais un effet potentiellement important qui a été ignoré par les chercheurs dans cette étude est la friction dynamique. Une étude de 2008 (Villalobos & Helmi) avait simulé l'accrétion d'une galaxie d'une masse de 100 milliards de M⊙ et avait montré que la masse du résidu, qui restait lié à la grande galaxie, diminue surtout pendant les passages péricentriques de la petite galaxie. A partir de là, Malhan et ses collaborateurs ne peuvent pas exclure formellement que Gaia-Sausage/Encelade et Pontus représentent en fait différentes étapes de la dislocation d'un seul événement d'accrétion massif. Mais Pontus a une énergie orbitale plus faible que Gaia-Sausage/Encelade, ce qui signifie qu'elle aurait dû être détachée plus tard de la galaxie progénitrice commune, et alors que les fusions de faible masse sont connues pour se circulariser sous l'effet de la friction dynamique, celles de forte masse ont tendance à se radialiser (Vasiliev et al. 2021). Par conséquent, avec une masse de progéniteur de ∼50 milliards M⊙, Pontus serait dans le régime de radialisation, et donc sa plus faible excentricité par rapport à Gaia-Sausage/Encelade est un argument contre le scénario des deux groupes à différents stades de dislocation d'un seul événement d'accrétion massif. Et comme les deux groupes ont une caractéristique âge-métallicité un peu différente, Malhan et ses collaborateurs concluent qu'ils seraient en fait bien les restes d'événements d'accrétion distincts.
Ces résultats permettent donc de beaucoup mieux comprendre l'histoire mouvementée de notre galaxie et de sa construction par étapes. Les données précieuses de Gaia permettent de connaître quels ensembles particuliers d’amas globulaires, de courants d'étoiles et de satellites ont été importés dans la Voie Lactée et à l’intérieur de quelle galaxie parente particulière. Il est probable que quelques autres groupes résiduels soient identifiés dans un futur proche.
Source
The Global Dynamical Atlas of the Milky Way Mergers: Constraints from Gaia EDR3–based Orbits of Globular Clusters, Stellar Streams, and Satellite Galaxies
Khyati Malhan et al.
The Astrophysical Journal, Volume 926, Number 2 (17 february 2022)
Illustration
Identification des objets utilisés dans cette étude dans le halo de la Voie Lactée (Observatoire de Strasbourg)
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire