Les aurores polaires de Jupiter sont connues pour produire des rayons X de faible énergie. Une nouvelle étude vient de montrer qu'elles produisent aussi des rayons X de beaucoup plus haute énergie, grâce à une observation avec le télescope spatial NuStar. L'étude publiée dans Nature Astronomy permet de comprendre leur origine.
Il y a 30 ans, en 1992, la sonde Ulysse devait détecter les rayons X de haute énergie produits par Jupiter, mais elle fit chou blanc. Elle ne détecta pas ces photons de plusieurs dizaines de keV. Depuis une dizaine d'années, les télescopes spatiaux Chandra (NASA) et XMM-Newton (ESA) ont tous deux été utilisés pour étudier les rayons X de faible énergie émis par les aurores de Jupiter (7 keV au maximum), qui apparaissent le plus souvent lorsque les volcans de la lune Io arrosent la planète géante d'ions de toutes sortes. Le puissant champ magnétique de Jupiter accélère ces particules et les dirige vers les pôles de la planète, où elles entrent en collision avec son atmosphère et libèrent de l'énergie sous forme de lumière, et de rayons X.
Mais des électrons provenant de Io sont également accélérés par le champ magnétique de Jupiter, selon les observations de la sonde Juno à l'aide de l'expérience JADE (Jovian Auroral Distributions Experiment) et de l'instrument JEDI (Jupiter Energetic-particle Detector Instrument), qui a commencé à étudier l'environnement de Jupiter en 2016. Sur une base théorique, les spécialistes estiment que ce sont ces électrons qui devraient produire des rayons X de haute énergie lorsqu'ils sont décélérés dans la haute atmosphère de la géante gazeuse, par effet de freinage dans le champ coulombien des noyaux atomiques (rayonnement de Bremsstrahlung).
Kaya Mori (Université de Columbia) et ses collaborateurs ont choisi d'utiliser le télescope spatial NuSTAR (Nuclear Spectroscopic Telescope Array), qui permet de mesurer des photons d'énergie entre 3 et 79 keV, en association avec les données obtenues par Juno sur les champs magnétiques et les flux d'électrons. Et ils ont effectivement observé deux zones d'émission de rayons X énergétiques avec un taux de comptage de 0,0012 coups/s en moyenne sur une exposition de 600 ks en tout (ce qui fait donc 720 photons collectés). Les zones d'émission sont situées aux deux pôles de Jupiter, et ils mesurent le spectre énergétique de ces rayons X entre 8 et 20 keV avec une résolution suffisante pour tester le modèle théorique de la source du rayonnement.
La zone du pôle sud de Jupiter apparaît plus brillante d'un facteur 2 par rapport à la zone nord dans cette gamme d'énergie, mais fait intéressant, à une énergie plus basse, une gamme qui avait été observée par le télescope spatial XMM-Newton au même moment, lors du 7ème passage proche de Juno (à une énergie comprise entre 0,3 et 3 keV), c'est l'inverse : c'est la zone nord qui est plus brillante d'un facteur 3. Or l'émission X à basse énergie est surtout dominée par des raies d'émission ioniques. Ces observations suggèrent selon Mori et son équipe que l'émission de rayons X de l'aurore australe pourrait être davantage contrôlée par le flux énergétique d'électrons, tandis que l'aurore boréale le serait plus par la précipitation d'ions de soufre et d'oxygène. Cette idée est confortée par le fait que le pôle sud présente des courants d'électrons plus persistants et plus intenses, comme l'ont révélé des récentes observations de Juno en 2019.
En étudiant les profils spectraux du rayonnement de Bremsstrahlung imputé aux rayons X de haute énergie, Mori et ses collaborateurs montrent qu'ils correspondent tout à fait à ce qui est mesuré par NuSTAR, et aussi qu'ils expliquent pourquoi la sonde Ulysse n'avait rien détecté en 1992. La forme typique du rayonnement de Bremsstrahlung est décroissante en fonction de l'énergie, jusqu'à l'énergie de fin de spectre qui est égale à l'énergie cinétique de l'électron émetteur. Mori et ses collaborateurs déterminent que les rayons X mesurés par NuSTAR s'adaptent à un modèle de loi de puissance avec une pente de 0,60 ± 0,22, une signature spectrale typique de Bremsstrahlung non thermique de rayons X durs. Or le détecteur d'Ulysse était sensible seulement à des rayons X de plus haute énergie que ceux détectés ici par NuSTAR : entre 27 et 48 keV. Et NuSTAR ne voit déjà plus de signal au dessus de 20 keV. Le signal de rayons X dans la bande d'énergie de Ulysse était tout simplement trop faible pour être détectable, alors qu'il l'est encore dans la bande d'énergie de NuSTAR, jusqu'à 20 keV...
A partir du spectre en énergie des rayons X et de la confirmation du processus qui est à leur origine, le rayonnement de freinage (Bremsstrahlung), Mori et son équipe peuvent alors remonter au spectre en énergie des électrons dont ils déterminent également le flux, grâce à l'intensité des rayons X qui est mesurée. Ils peuvent alors calculer la forme spectrale du flux d'électrons dans la gamme d'énergie allant du keV au MeV, en s'aidant des mesures in situ coïncidentes prises par les instruments JADE et JEDI de la sonde Juno.
Il faut savoir que sur Terre, on a également détecté dans les aurores boréales des rayons X d'une énergie encore plus élevée que celle observée par NuSTAR sur Jupiter. Mais ces émissions sont extrêmement faibles, beaucoup plus faibles que celles de Jupiter, et ne peuvent être repérées que par de petits satellites ou des ballons à haute altitude qui s'approchent très près des endroits de l'atmosphère qui génèrent ces rayons X, qui sont fortement absorbés par l'atmosphère. Les résultats obtenus aujourd'hui sur Jupiter mettent en évidence les similitudes entre les processus générant des rayons X durs dans les aurores sur Terre et Jupiter, et qui pourraient également se produire sur Saturne.
De questions demeurent encore ouvertes sur ces émissions X et leurs sources. Les champs magnétiques en rotation de Jupiter peuvent certes accélérer fortement les électrons, mais nous ne comprenons pas entièrement comment ils atteignent des vitesses aussi élevées. Cette nouvelle étude est le premier exemple où les chercheurs ont pu comparer directement les observations de NuSTAR (les rayons X) avec des données prises sur leur source par Juno (les électrons).
Source
Observation and origin of non-thermal hard X-rays from Jupiter
Kaya Mori et al.
Nature Astronomy (10 february 2022)
Illustration
1. Localisation des rayons X de haute énergie sur Jupiter par NuSTAR (NASA/JPL-Caltech)
2. Vue d'artiste du télescope X NuSTAR (NASA/JPL-Caltech)
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