La plupart des modèles d'évolution stellaire prédisent que les trous noirs ne devraient pas exister au-delà d'environ 50 M⊙, la limite inférieure de la "zone interdite" par le processus de supernova par instabilité de paires. Mais comme les récentes détections de LIGO/Virgo indiquent l'existence de trous noirs avec des masses égales ou supérieures à ce seuil, il faut bien leur trouver une origine. Dans une nouvelle étude, une équipe d'astrophysiciens montre que des trous noirs de plusieurs dizaines de masses solaires, voire plus encore, peuvent se former efficacement dans les noyaux galactiques très peuplés en étoiles. Ils publient leur article dans The Astrophysical Journal Letters.
La source d'ondes gravitationnelles GW190521 détectée par LIGO/Virgo en 2019 a produit un trou noir de masse intermédiaire d'environ 142 M⊙, dont l'un des progéniteurs avait une masse de 85 M⊙, ce qui se trouve dans la zone interdite de masse. De même, les trous noirs résultants de GW150914, GW170104 et GW170814 se situent aussi dans cette région interdite (le "mass gap" de l'instabilité de paires). Les fusions de trous noirs qui forment des trous noirs de deuxième génération et, dans certains cas, des trous noirs de masse intermédiaire (IMBH, intermediate mass black hole), peuvent se produire dans des amas globulaires, des amas stellaires jeunes ou dans le "champ" (hors amas). Mais les IMBH peuvent également résider dans les noyaux galactiques. Plusieurs études ont même proposé encore récemment, en 2020, que le centre galactique de la Voie Lactée héberge un trou noir intermédiaire à quelques années-lumière de Sgr A*.
Plusieurs canaux de formation d'IMBH ont été suggérés dans le passé : une origine cosmologique avec une formation dans l'univers primitif, soit après l'explosion des toutes premières étoiles, soit par effondrement direct de nuages de gaz accumulé. Ces IMBH à haut décalage vers le rouge devraient survivre à l'évolution et aux fusions de galaxies jusqu'à aujourd'hui, avec potentiellement des effets significatifs sur leur environnement stellaire (destructions maréales par exemple). L'autre canal de formation repose sur la coalescence successive de nombreux trous noirs de masse stellaire, qui peuvent in fine donner des IMBH puis des trous noirs supermassifs. Des IMBH peuvent notamment se former au centre des amas globulaires, où les interactions gravitationnelles intenses peuvent conduire à des fusions multiples de trous noirs de masse stellaire. D'autres mécanismes de formation invoquent des collisions et des fusions successives d'étoiles massives.
Le principal obstacle aux fusions successives de trous noirs dans les amas globulaires est que la vitesse de recul du trou noir résultant de la fusion dépasse souvent la vitesse d'échappement de l'amas. Mais ce n'est pas le cas dans les amas d'étoiles nucléaires au centre des galaxies comme l'a montré une étude de Fragione et al. parue en 2021, où les chercheurs montrent que des fusions répétées entre trous noirs dans les amas d'étoiles nucléaires (au centre des galaxies), avec ou sans effet de recul, font redescendre le gros trou noir formé vers le centre par friction dynamique, et des objets compacts jusqu'à 10 000 masses solaires peuvent se former de cette façon pendant la durée de vie de l'amas d'étoiles du noyau galactique.
Mais les collisions trou noir-étoiles sont beaucoup plus fréquentes que les collisions trou noir-trou noir dans les noyaux galactiques. Rizzuto et al. ont d'ailleurs trouvé il y a quelques semaines que les collisions trou noir-étoile sont le principal contributeur à la formation de trous noirs de plus de 50 masses solaires et intermédiaires. Sanaea Rose (Université de Californie) et ses collaborateurs creusent ici cette idée, en proposant que les IMBHs puissent se former naturellement dans le parsec central d'un noyau galactique par des collisions répétées entre les trous noirs stellaires et les étoiles de la séquence principale. Les chercheurs considèrent que pendant une collision, le trou noir peut soit avaler entièrement l'étoile, soit accréter une partie de sa masse. La limite supérieure en masse des IMBH produits ne dépend alors que du profil de densité des étoiles environnantes et de l'efficacité de l'accrétion.
Dans leurs calculs, Rose et ses collaborateurs considèrent les processus dynamiques tels que les collisions, la ségrégation de masse et la relaxation. Ils constatent que cette voie peut elle aussi former des trous noirs de masse intermédiaire jusqu'à 10 000 M⊙... Cela suppose seulement deux choses : premièrement que les trous noirs accrètent une fraction substantielle de la masse stellaire capturée lors de chaque collision, et deuxièmement que le taux d'introduction de nouvelles étoiles dans la région proche du trou noir supermassif qui trône au centre du noyau galactique soit suffisamment élevé pour compenser l'épuisement par les perturbations stellaires et les collisions étoile-étoile. Leur modèle induit alors que 5% des trous noirs stellaires du noyau galactique arrivent finalement à une masse comprise entre 10 et 100 masses solaires par collision avec des étoiles et qu'une petite modification d'un paramètre d'accrétion peut conduire en quelques millions d'années à un trou noir de 3500 masses solaires au lieu de 100 masses solaires pour les mêmes conditions initiales.
Rose et son équipe montrent ainsi que les trou noirs de plus de 50 masses solaires et les trous noirs intermédiaires (plus de 100 masses solaires) peuvent être omniprésents dans les centres galactiques.
Mais ils calculent aussi que l'efficacité de capture d'une étoile par un trou noir stellaire ou un IMBH se réduit plus on se rapproche du centre du noyau galactique. En effet, la vitesse de dispersion des étoiles augmente fortement lorsqu'on se rapproche de trou noir supermassif central. Rose et ses collègues montrent qu'un trou noir pourra capturer la totalité d'une étoile seulement plus loin que 0,01 pc du centre de l'amas nucléaire. Dans un rayon plus petit que 0,01 pc, le grossissement d'un trou noir par collision avec une étoile est donc beaucoup moins efficace, mais il lui reste alors les collisions trou noir-trou noir, voire le grand plongeon vers le trou supermassif...
Les chercheurs précisent qu'une telle population de gros trous noirs d'origine stellaire a des conséquences qui peuvent être observables : les collisions entre les étoiles et les trous noirs peuvent produire des signatures électromagnétiques, des binaires à rayons X et des événements de destruction stellaire de marée. Et ces trous noirs déjà un peu gros peuvent aussi fusionner avec les trous noirs supermassifs au centre du noyau galactique en émettant des ondes gravitationnelles, qui seront détectables avec l'interféromètre spatial LISA dans 20 ans.
Source
The Formation of Intermediate-mass Black Holes in Galactic Nuclei
Sanaea C. Rose et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 929, Number 2 (21 April 2022)
Illustration
Grossissement des trous noirs intermédiaires par collisions avec des étoiles en fonction de la distance du trou noir supermassif central et du temps, pour différentes valeurs de paramètre (Rose et al.)
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