La population des pulsars (des étoiles à neutrons qui émettent périodiquement un signal radio) englobe des objets dont la période de rotation varie de quelques millisecondes à quelques dizaines de secondes. Lorsqu'ils vieillissent et tournent plus lentement, leur émission radio doit théoriquement cesser. Aujourd’hui une équipe d’astrophysiciens présente la découverte d'un pulsar ayant une période ultra-longue de 75,88 s, d’un âge de 5,3 millions d'années, et aux propriétés spectro-temporelles uniques, ce qui met en question comment cette émission radio est générée et la vraie nature de ce pulsar... L'étude est parue dans Nature Astronomy.
Les pulsars radio émettent des faisceaux cohérents d'émission radio générés par des particules relativistes dans les régions situées au-dessus de leur pôle magnétique. Leurs périodes de rotation connues s’étalent entre 1,4 ms et 23,5 s et ils sont divisés en plusieurs sous-classes (par exemple, les transitoires radio, les pulsars millisecondes et les magnétars) en fonction de leurs propriétés d'observation. L'accélération des particules et la production abondante de paires électrons-positrons sont supposées être une condition essentielle à l'émission radio cohérente des pulsars.
Le potentiel d'accélération des particules est supposé être plus faible pour les périodes de rotation plus grandes (rotation plus lente). Par ailleurs, il existe une valeur critique du champ magnétique au-delà de laquelle l'émission radio devrait être fortement inhibée ou même cesser complètement, elle vaut Bcr=4,4 1013 G). La découverte de ce pulsar nommé PSR J0901-4046 revêt donc un caractère étonnant puisqu’il s’agit d'une étoile à neutrons fortement magnétisée, à très longue période de 75,88 s, mais émettant des ondes radio comme un pulsar typique. Ou presque. Presque car Manisha Caleb (Université de Sydney) et son équipe montrent que la structure temporelle des quelques dizaines de pulses radio qui ont été détectés et analysés a des propriétés uniques telles que l’existence d’une quasi-périodicité ou encore d’une annulation partielle de l’intensité, la présence de deux, trois ou un seul pic ou de très rapides sous-impulsions au sein d’une impulsion. Ces structures inhabituelles, qui s’ajoutent à la période et à la dérivée de la période atypiques, peuvent fournir des indices importants sur le mécanisme d'émission de ces impulsions, selon les chercheurs.
PSR J0901-4046 a été découvert par hasard le 27 septembre 2020 avec le radiotélescope sud-africain MeerKAT sous la forme d’un large pulse unique. Une recherche dans les données archivées a par la suite montré la présence d’autres pulses plus faibles qui n’avaient pas été remarqués. Caleb et son équipe ont ensuite déterminé la période avec laquelle les pulses radio se répétaient et ont trouvé une valeur de plus d’une minute (75,88 s), faisant de ce pulsar radio l’un des plus lent jamais observé. Le seul cas de pulsar montrant des pulsations radio moins fréquentes est GLEAM-X J1627-5235 qui a une période vraiment extrême de 18 minutes (voir ép. 1285 du 27.01.2022).
La distance de PSR J0901-4046 est calculée à partir de la mesure de la dispersion du signal radio (comment il s’étale dans le temps en fonction de la fréquence), et selon des modèles de densité électronique dans la galaxie : elle vaut 300 ou 500 pc en fonction du modèle utilisé. Le taux de décélération de la rotation du pulsar (la dérivée de la période) est P˙ = 2,25 × 10−13 s.s−1. C’est à partir de cette valeur de décélération que Caleb et son équipe déterminent l’âge, l’intensité du champ magnétique et la luminosité associée à la perte d’énergie rotationnelle. Ils trouvent respectivement un âge de 5,3 millions d’années, un champ magnétique B de 1,3 1014 G (donc supérieur à la valeur critique Bcr) et une luminosité de 2 1028 erg s−1 (en faisant l’hypothèse d’une configuration de champ magnétique dipolaire).
Les analyses de chaque impulsion radio de PSR J0901-4046 révèlent des propriétés spectro-tempo-polarimétriques remarquables et inhabituelles, tout à fait différentes de celles observées dans les pulsars radio connus. Caleb et ses collaborateurs remarquent que la forme de l'impulsion est variable selon les cas mais certaines caractéristiques persistent. Globalement, les impulsions uniques étudiées sur six époques peuvent être regroupées en sept types différents, à savoir : des impulsions normales, quasi-périodiques, hérissées, à double pic, partiellement nulles, à pic divisé et à triple pic. Ils rappellent que bien que les magnétars émettent parfois des impulsions radio larges et lumineuses qui comprennent plusieurs composantes de sous-impulsions de largeurs et d'amplitudes variables, ces dernières sont plus chaotiques entre les différentes impulsions.
Dans certaines des impulsions, ils mesurent une quasi-périodicité dans les composantes des sous-impulsions, qui semblent parfois être liées de manière harmonique entre les impulsions. Dans certaines autres, il existe de multiples quasi-périodes. Et la largeur des composantes de la sous-impulsion dans PSR J0901-4046 est exactement la moitié de la quasi-période. Les quasi-périodes les plus courtes et les plus longues que Caleb et al. mesurent sont de 9,57 ms (104 Hz) et 338 ms (2,96 Hz), respectivement. Des caractéristiques quasi-périodiques similaires ont été observées dans les sursauts radio rapides (FRB).
La quasi-période la plus fréquemment observée dans toutes les observations est de ~76 ms (13 Hz), ce qui est à peu près égal à P/1000. Cette quasi-période suit l'échelle spin-période observée dans les valeurs correspondantes des micro-impulsions dans les pulsars. Selon les chercheurs, cette mise à l'échelle peut être plus facilement associée à l'émission de petits faisceaux constituant les sous-impulsions les plus larges, ce qui suggère que les périodicités sont causées par un mécanisme temporel ou angulaire plutôt que par le mouvement des petits faisceaux dans la région de la calotte polaire.
Alternativement, cette quasi-période pourrait être liée à des sous-impulsions dérivantes. Chacune des sous-impulsions ou "étincelles" denses et isolées (c'est-à-dire des sites de production de paires élecrons-positrons) est théoriquement associée à une colonne de plasma, qui rayonnerait et génèrerait les sous-impulsions observées, qui peuvent ensuite tourner autour de l'axe magnétique. Or, de telles oscillations quasi-périodiques sont également théorisées dans les modèles de FRBs, où elles seraient dues à des modes propres magnéto-élastiques axiaux (torsionnels) de la croûte qui prennent naissance près de la surface de l'étoile à neutrons. On s'attend à ce que les fréquences propres de ces oscillations dépendent fortement de la masse de l'étoile à neutrons et de l'équation d'état de la croûte.
Il a été proposé que des FRB soient produits par des étoiles à neutrons fortement magnétisées qui ont atteint de longues périodes de rotation (de quelques dizaines à quelques milliers de secondes), appelées magnétars à ultra-longue période (ULPM). La source GLEAM-X J1627-5235, avec sa période de ~20 minutes est actuellement supposée faire partie de cette classe d’objets. Les étoiles à neutrons isolées émettrices de rayons X sont quant à elles des étoiles à neutrons refroidies, avec des périodes de rotation dans la gamme 3,4 à 11,3 s et sont caractérisées par une émission thermique (rayons X mous). On pense qu'il s'agit de vieilles étoiles à neutrons fortement magnétisées, malgré leur non-détection dans la radio jusqu'à présent. Or quelques étoiles à neutrons isolées de ce type se trouvent au-dessus de la ligne de mort à faible torsion dans le diagramme P-P˙, ce qui implique une origine ULPM possible. Et Manisha Caleb et ses collègues remarquent que PSR J0901-4046 se situe lui aussi dans cette même zone de l'espace des paramètres où ces ULPMs sont censés exister. La localisation de PSR J0901-4046 dans l'espace des paramètres P-P˙ est cohérent avec le fait qu'il aurait pu augmenter sa période de rotation de 10 s en 5 millions d’années, donc à partir d'une période de type magnétar. PSR J0901-4046 pourrait donc potentiellement être un ancien magnétar ou un membre des ULPM. Mais dans les 7 mois et demi d’observations, les chercheurs ne trouvent aucune preuve de changements radicaux dans la dérivée de la période P˙, comme ce qui a généralement été observé sur des magnétars dans les 7 mois qui ont suivi leur découverte.
D’autre part, lorsque les magnétars émettent des ondes radio, il y a typiquement une émission de rayons X associée. Caleb et al. ont donc tenté de détecter des rayons X en coïncidence avec des pulses radio de PSR J0901-4046. Ils ont utilisé le télescope X Swift simultanément avec les observations de MeerKAT le 1er février et le 2 février 2021, mais ils n’ont détecté aucune émission de rayons X, ne pouvant placer qu’une limite supérieure à la luminosité X du pulsar.
PSR J0901-4046 garde donc une partie de son mystère. Il est en revanche évident maintenant qu’il est une pièce importante dans le puzzle de l'évolution des étoiles à neutrons fortement magnétisées et de leur lien avec les FRBs. La détection de sources similaires est un petit défi observationnel, ne serait-ce que par leur période très longue à l’échelle des observations. Cela qui fait dire aux chercheurs qu’il existe probablement une plus grande population de ces objets qui est aujourd’hui non détectée. En résumé, cette découverte importante établit l'existence d'étoiles à neutrons à ultra-longue période, suggérant un lien possible avec l'évolution des étoiles à neutrons hautement magnétisées, des magnétars à très longue période et des sursauts radio rapides.
Source
Discovery of a radio-emitting neutron star with an ultra-long spin period of 76 s
Manisha Caleb et al.
Nature Astronomy (30 may 2022)
https://doi.org/10.1038/
Illustrations
1. Le réseau de radiotélescopes MeerKAT (South African Radio Astronomy Observatory)
2. Les sept types de morphologies de pulses observés (Caleb et al.)
3. Diagramme figurant les pulsars et les magnétars dans l'espace P-P° (période-décélération) [AR Scorpii est une naine blanche magnétisée figurée pour comparaison] (Caleb et al.)
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