Une étude venant de paraître propose un modèle qui démontre qu'une grande population de pulsars millisecondes issus du processus de collapse induit par accrétion de naines blanches peut très bien expliquer l'excès de rayons gamma de haute énergie apparemment diffus qui est observé provenant du centre galactique. Cet excès fait débat depuis longtemps, pouvant aussi être expliqué par l'annihilation de particules de matière noire. L'étude est parue dans Nature Astronomy.
C'est en 2009 que le télescope gamma Fermi LAT a révélé un signal inexpliqué, apparemment diffus, en provenance du bulbe galactique et qui culmine près de ~2 GeV approximativement sphérique, avec un profil d'intensité proportionnel à r-2,4, où r est la distance radiale au centre galactique. Ce signal qui a été longuement étudié depuis 10 ans s'étend à des échelles radiales angulaires d'au moins ~10° voire 20°. L'origine de cet "excès du centre galactique" (GCE) a immédiatement fait l'objet de débats, les deux hypothèses proposées restant les plus pertinentes sont l'annihilation de particules de matière noire qui seraient leur propre antiparticule, et une grande population de pulsars millisecondes émetteurs gamma qui n'auraient pas été détectés jusqu'ici. Dans les premières années, c'est l'hypothèse de la matière noire qui avait le vent en poupe et puis à partir de 2015, la solution pulsars a semblé prendre le dessus, mais en 2019, une étude montrait que l'option impliquant des particules de matière noire était encore tout à fait viable (épisode 934).
Il faut dire aussi que la voie conventionnelle pour la production de pulsars millisecondes prédit un trop grand nombre de systèmes binaires à rayons X de faible masse (LMXB) par rapport à ce qui est observé et, en raison des grandes impulsions natales attendues pour ces pulsars, ils ne produiraient pas une correspondance spatiale étroite entre le signal gamma et les étoiles du bulbe comme ce qui est observé. Ce que proposent aujourd'hui Anuj Gautam (Australian National University) et ses collaborateurs dans cet article, c'est un nouveau modèle de formation de pulsars millisecondes dans le centre galactique qui permettrait d'expliquer la population pouvant être responsable de l'excès de rayons gamma. Il s'agit d'un modèle de synthèse de population binaire dans lequel les pulsars millisecondes sont produits lors de l'effondrement de naines blanches de type Oxygène-Néon après une trop forte accrétion. Les événements de collapse induit par accrétion se produisent lorsque des naines blanches O-Ne ultra-massives en couple dans un système binaire accrètent la matière de leur compagne, et parviennent à s'approcher de la limite de Chandrasekhar (~1,4 M⊙). Elles peuvent alors perdre le soutien de la pression de dégénérescence des électrons à cause de pertes par captures d'électrons dans les noyaux de 24Mg et 24Na. Les naines blanches s'effondrent alors en étoiles à neutrons. La conservation du moment cinétique dans l'effondrement permet d'obtenir des périodes de rotation pour les étoiles à neutrons naissantes de seulement quelques millisecondes (ces étoiles à neutrons ont un rayon 1000 fois plus petit que celui des naines blanches progénitrices). De même, la conservation du flux magnétique pendant le collapse signifie que les champs magnétiques des naines blanches O-Ne de 1000 à 100000 G donnent des champs de ~10 millions à 1 milliard de Gauss pour les étoiles à neutrons, ce qui correspond aux observations. Et comme peu de masse est perdue lors de l'effondrement, la binaire n'est pas perturbée et le système ne reçoit pas une grande impulsion natale (kick). Les pulsars nés par ce processus ont des vitesses spatiales beaucoup plus faibles que celles des pulsars nés pendant l'explosion généralement asymétrique d'une supernova à effondrement de coeur. Gautam et son équipe montrent que les pulsars millisecondes nés d'un effondrement induit par accrétion sont ainsi susceptibles de rester piégés dans le potentiel gravitationnel du bulbe galactique, ce qui permet à une grande population de s'accumuler au cours de son histoire et offre une explication naturelle à la correspondance qui existe entre la morphologie stellaire du bulbe et celle de l'excès de rayons gamma, une correspondance qui est difficile à expliquer par d'autres voies de formation de pulsars.
Les chercheurs montrent que leur modèle de production de pulsars, dont le nombre atteint la valeur de 110000 dans le bulbe galactique permet de reproduire non seulement la morphologie, mais aussi (et surtout) la forme spectrale et l'intensité du signal gamma en excès, tout en obéissant aux contraintes des LMXB. Empiriquement, les chercheurs estiment que 10% de l'énergie de rotation d'un pulsar milliseconde est perdue dans le rayonnement dipolaire, qui émerge finalement aux longueurs d'ondes gamma en raison de l'émission de paires e+-e- dans la magnétosphère. Une autre fraction, mal déterminée (entre 1 et 90%), est emportée dans des paires de particules relativistes qui s'échappent de la magnétosphère et, après une éventuelle réaccélération à la fin du vent du pulsar ou lors de chocs intra-binaires, génèrent du rayonnement X et micro-onde synchrotron, et gamma par effet Compton inverse dans le milieu interstellaire. Il y a donc deux composantes dans le spectre : une composante prompte et une composante retardée.
D'autre part, et c'est un petit bonus du modèle, l'émission synchrotron des électrons et des positrons émis par les pulsars millisecondes (la composante retardée) peut simultanément expliquer la mystérieuse " brume " micro-onde qui est observée à l'intérieur de la Galaxie. Cela donne encore un peu plus de crédit à ce nouveau modèle.
Il ne reste plus qu'à essayer de résoudre individuellement quelques uns de ces pulsars pour valider le modèle par l'observation directe. Le prochain Cherenkov Telescope Array qui observera le ciel gamma entre 20 GeV à 300 TeV devrait passer au moins 500 heures à observer le centre galactique, et il devrait pouvoir résoudre au moins une poignée de pulsars millisecondes, selon les paramètres spectraux qui sont détaillés par Anuj Gautam et ses collaborateurs. Mais les données de Fermi-LAT n'ont peut-être pas encore dit leur dernier mot, des techniques d'analyse statistique avancées ont déjà été appliquées pour la recherche de sources ponctuelles et elles devraient s'intensifier...
Source
Millisecond pulsars from accretion-induced collapse as the origin of the Galactic Centre gamma-ray excess signal
Anuj Gautam et al.
Nature Astronomy (28 april 2022)
Illustration
1. Visualisation de l'excès de rayons gamma dans le centre galactique (NASA Goddard; A. Mellinger/CMU; T. Linden/Univ. of Chicago)
2. Spectre en énergie du rayonnement gamma du centre galactique en excès : comparaison du modèle avec les points mésurés par Fermi-LAT (Anuj Gautam et al.)
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire