Les rayons cosmiques galactiques (GCR) ont un impact considérable à la surface de Mars. En janvier 2014, je vous relatais les premiers résultats de mesure de dose in situ effectués en 2012 par le rover Curiosity et son détecteur RAD. Aujourd'hui, de nouvelles mesures de cet instrument sont rapportées dans une étude publiée dans Icarus, cette fois au moment du minimum d'activité solaire de 2020, là où le flux de GCR était le plus intense... La comparaison des deux mesures n'est pas réjouissante pour ceux qui imaginent fouler un jour le sol de la planète rouge.
L'environnement radiatif à la surface de Mars est principalement dominé par les rayons cosmiques galactiques (GCR) qui se propagent à travers l'atmosphère, avec également de fortes contributions sporadiques des particules énergétiques solaires (SEP). Le principal facteur qui influence le champ de rayonnement sur Mars, sur des échelles de temps de plusieurs années, c'est la modulation solaire du flux de GCR. Pendant les périodes de forte activité magnétique solaire, les GCR sont plus fortement atténués, ce qui entraîne des flux de GCR plus élevés pendant le minimum solaire et des flux plus faibles au maximum solaire. Les premières mesures qui avaient été effectuées par Curiosity, qui donnaient une dose de 0,64 millisieverts/jour, soit 232 mSv/an avaient été faites aux alentours du maximum solaire du cycle 24. Les événements de type SEP sont quant à eux prépondérants lors des maxima d'activité solaire, donc déphasés, et la dose reçue lors d'un seul événement de type SEP vaut environ 0,05 millisievert. En février 2020, une étude plus spécifique s'était par ailleurs intéressée à la dose induite par des neutrons, particules secondaires produites par l'interaction des GCR dans le sol de Mars, et Litvak et al. concluaient à une augmentation de 15 mSv par an due aux neutrons.
Il faut rappeler ici quelques points de comparaison : l'équivalent de dose produit par le rayonnement cosmique au niveau de la mer sur Terre est en moyenne d'environ 0,3 mSv/an, la dose moyenne reçue par un français (radioactivité naturelle + médical) est de 4,5 mSv/an. Un travailleur de l'industrie nucléaire (en France) ne peut pas dépasser le seuil réglementaire de 20 mSv/an, et la plus forte dose qui a été reçue par un travailleur de la centrale accidentée de Fukushima en 2011 était de 700 mSv. Des études épidémiologiques ont montré qu'à partir de 100 mSv, le risque de cancer augmentait, qu'à partir de 150 mSv, des effets déterministes pouvaient apparaître et qu'à 4000 mSv, on n'a que 50% de chance de survivre.
Bent Ehresmann (Southwest Research Institute, Boulder) et ses collaborateurs ont voulu savoir comment évoluait la dose équivalente des GCR à la surface de Mars en fonction du cycle solaire. Ils ont exploité les mesures dosimétriques réalisées avec le Radiation Assessment Detector (RAD) de fin novembre 2019 à début octobre 2020 pendant le récent minimum solaire (fin du cycle 24, début du cycle 25). RAD est un instrument qui fonctionne à bord du rover Curiosity sur Mars depuis août 2012. Il mesure l'énergie déposée par les particules ionisantes et permet de convertir la dose déposée (exprimée en Grays (ou J/kg) en équivalent de dose (exprimé en Sieverts) qui donne l'effet biologique des rayonnements ionisants en appliquant un facteur de qualité qui est fonction du type de particule et de son énergie, mesurés également par le détecteur.
Les chercheurs constatent que le débit de dose de rayonnement global (dose déposée) a augmenté de 50 % entre 2012 et 2020, passant de 0,21 mGy/jour à 0,314 mGy/jour en moyenne mais le débit d'équivalent de dose a, lui, augmenté de 13 %, passant de 0,64 mSv/jour à 0,72 mSv/jour (0,721 ± 0,042 mSv/jour). Un pic à 0,325 mGy/jour a été mesuré entre le 23 mars et le 7 avril 2020. Le flux de GCR (principalement des protons) a donc fortement augmenté lors du minimum solaire par rapport au maximum solaire, mais d'avantage pour des protons de faible énergie, ce qui fait qu'en moyenne, le facteur de qualité traçant l'effet biologique du rayonnement passe de 3,05 en 2012 à 2,3 en 2020. Pour ceux d'entre vous qui connaissent un peu les principes de la radioprotection, on a donc un débit d'équivalent de dose de 720 µSv/jour, ce qui fait 30 µSv/h, soit une valeur au delà de la limite d'une zone verte (limite qui est de 25 µSv/h). La planète rouge est une zone jaune du point de vue de la radioprotection ! Tout travailleur du secteur nucléaire sait qu'on ne doit pas rester longtemps dans une zone jaune...
Ehresmann et ses collaborateurs réévaluent ensuite la dose totale qui serait reçue par des astronautes effectuant une mission vers Mars au moment du minimum solaire, en considérant un trajet de 2 fois 180 jours et une durée au sol de 500 jours. Ils reprennent les chiffres qui avaient été obtenus dans l'étude de Hassler et al. en 2014, qui montraient que le débit de dose durant le trajet est trois fois plus élevé que sur le sol martien, et ils leur appliquent l'augmentation de 13% pour la phase au sol et une augmentation plus élevée pour la phase du voyage interplanétaire (qui va jusqu'à +40% du fait d'une moindre réduction du facteur de qualité des particules lors de ce transit comme l'ont montré une autre étude de 2020 et des calculs dédiés issus d'une modélisation).
Le résultat du calcul de cette dose intégrée pour une telle mission est de 1200 ± 100 milliSieverts. C'est 33% de plus que la valeur déjà énorme qui était obtenue par Hassler en 2014 (900 mSv), et ça, toujours sans prendre en compte l'impact de SEP sporadiques. On rappelle que l'individu qui a reçu la plus forte dose lors de la catastrophe de Fukushima a reçu 700 milliSieverts, soit presque 2 fois moins...
Ces résultats peuvent être utilisés comme valeurs de référence pour déterminer l'efficacité nécessaire de tout blindage ou type d'habitat potentiel pour tenter de réduire l'équivalent de dose total d'une mission. Une étude récente de Röstel et al. (2020) suggérait que 1 m de roche martienne pourrait réduire le débit d'équivalent de dose annuel de 150 à 200 mSv/an, selon la composition de la roche. Hassler et al. évoquaient, eux, une épaisseur de 3 m pour atteindre le niveau de radioactivité de la roche, mais c'était sans compter la production de neutrons secondaires, qui a lieu justement dans la roche à une certaine profondeur...
En résumé, vouloir envoyer des hommes fouler le sol de Mars pour explorer ses contrées est une idée aussi insensée que de vouloir habiter juste à côté d'une centrale nucléaire en train d'exploser. Si des humains y vont un jour, ils devront commencer par creuser, et devront rester à l'abri dans leur trou la plupart du temps. Quelle belle exploration!
Source
The Martian surface radiation environment at solar minimum measured with MSL/RAD
Bent Ehresmann et al.
Icarus (11 april 2022)
Illustration
1. Mars (NASA)
2. Mesures de la dose déposée (courbe rouge) par RAD entre le 28 novembre 2019 et le 3 octobre 2020 (Ehresmann et al.)
2 commentaires :
Bonjour,
Dans le cadre d'un devoir universitaire, je réalise une analyse de votre blog de vulgarisation scientifique.
Est-ce possible de vous poser des questions pour avoir plus d'informations sur votre travail s'il vous plaît ?
Merci beaucoup !
Contactez moi par mail : contact@ca-se-passe-la-haut.fr
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