Une équipe d'astrophysiciens vient de découvrir ce qui s'apparente à la partie la plus ancienne de notre galaxie : une population de très vielles étoiles très pauvres en métaux au coeur de la Voie Lactée. Ces centaines de millions d'étoiles ont un âge d'au moins 12,5 milliards d'années... L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal.
Hans-Walter Rix (Max Planck Institut für Astronomie) et ses collaborateurs ont exploité les données spectroscopiques de Gaia pour étudier de très près la métallicité des étoiles situées à moins de 5 kpc du centre galactique. On sait que la Voie Lactée devrait abriter une population stellaire ancienne, pauvre en métaux et concentrée centralement, qui reflète la formation et l’enrichissement des étoiles dans les quelques ancêtres qui ont fusionné à haut décalage vers le rouge pour former la proto-galaxie. Alors que les étoiles pauvres en métaux sont connues pour résider dans les quelques kiloparsecs intérieurs de notre galaxie, les données actuelles ne fournissaient pas encore une image complète d’un tel « cœur » pauvre en métaux de la Voie Lactée. Les informations de Gaia Data Release 3, en particulier les spectres ont changé la donne, puisqu'elles ont permis de construire un échantillon de 2 millions d'étoiles à moins de 30° du centre galactique avec des estimations robustes de leur métallicité [M/H] (rapport d'abondance métal/hydrogène relative à la valeur solaire, en valeur logarithmique), avec une précision δ[M/H] ≲ 0,1.
Rix et ses collaborateurs ont calculé les orbites d'environ 1,25 million d’étoiles géantes. Cet échantillon révèle une population étendue, ancienne et pauvre en métaux qui comprend ∼18 000 étoiles avec −2,7 < [M/H] < −1,5, représentant une masse stellaire supérieure à 5 × 107 M⊙. La distribution spatiale de ces étoiles de métallicité inférieure à −1,5 a une étendue gaussienne sigma de seulement 2,7 kpc autour du centre galactique, la plupart des orbites étant confinées dans la galaxie interne. Les chercheurs trouvent que les étoiles avec [M/H] < −2 (une métallicité 100 fois plus faible que celle du Soleil) ne montrent pas de rotation nette, tandis que celles avec [M/H] ∼ −1 (10 fois plus faible que le Soleil) sont dominées par la rotation. Selon eux, ces étoiles centrales, pauvres en métaux, sont probablement antérieures à la plus ancienne population du disque (12,5 Gigannées), ce qui implique qu’elles se sont formées à un redshift z ≳ 5, forgeant la proto Voie Lactée.
Rix et ses collaborateurs voulaient savoir si la majeure partie de ces étoiles sont vraiment une population proto-galactique étroitement liée, ou bien des étoiles accrétées de satellites plus lointains dont l’emplacement dans la galaxie interne reflèterait simplement la phase péricentrale des orbites qui les emmènent vers le halo. Pour la plupart de ces étoiles, les vitesses radiales mesurées par Gaia permettent les estimations de leurs orbites.
Sur cette base, les chercheurs ont identifié des échantillons d’étoiles pauvres en métaux vers la galaxie interne qui sont environ deux ordres de grandeur plus grands que ceux publiés précédemment : plus de 4000 étoiles avec [M/H] < −2, environ 20 000 étoiles avec [M/H] < −1,5 et environ 70 000 étoiles avec [M/H] < -1. La queue la plus pauvre en métaux de la distribution de métallicité s’étend jusqu’à [M/H] ≈ −2,5 (315 fois plus faible que le Soleil).
Rix et ses collaborateurs indiquent que les orbites de ces étoiles montrent que la plupart d'entre elles ont des apocentres inférieurs à 5 kpc. Cette propriété implique que la majeure partie de cette population n’aurait pas pu être trouvée dans bon nombre des enquêtes précédentes qui portaient sur une zone plus éloignée que 5 kpc du centre galactique. Dans le même temps, l'analyse a montré qu’une minorité (mais toujours un grand nombre) d’étoiles avec [M/H] < −1,2, qui sont actuellement dans la galaxie intérieure sont en fait sur des orbites très excentriques qui peuvent les amener à plus de 10 kpc. Pour les astrophysiciens, celles-ci sont vraisemblablement des membres du halo accrétées, trouvées ici près du péricentre de leurs orbites. Ces étoiles sur des orbites très excentriques avec Rapo > 10 kpc présentent d'ailleurs des abondances typiques d'étoiles du halo accrétées.
L'image qui se dessine est que le cœur pauvre en métaux de la Voie Lactée constitue la plus ancienne composante proto-galactique de notre galaxie.
Puisqu'une grande partie de cette population stellaire est confinée à quelques kiloparsecs du centre galactique, ou étroitement liée au fond du puits potentiel de notre galaxie, cela va à l'encontre d'une origine par accrétion d’un satellite autrefois éloigné. Par ailleurs, les chercheurs notent que la masse stellaire qui est visible avec une métallicité [M/H] < −1,5 dans un rayon de 5 kpc correspond à environ 5 107 M⊙, mais l’obscurcissement manifeste de la poussière implique une correction importante qui suggère en fait que la masse stellaire de ce cœur pauvre en métaux de la Voie Lactée est plus élevée, supérieure à 108 M⊙. De telles masses élevées d’étoiles à une métallicité aussi basse sont plus susceptibles, là encore, de se produire au centre d’un halo assez massif, et non dans une galaxie satellite de faible masse.
Les résultats de cette étude ne sont en aucun cas une nouvelle composante stellaire distincte de la Voie Lactée. Les étoiles de l'échantillon semblent constituer la partie étroitement liée d’un sphéroïde proto-galactique. La queue de distribution des étoiles sur des orbites un peu plus étendues avait déjà été reconnue dans des travaux récents comme un halo in situ (Belokurov & Kravtsov 2022; Conroy et al., 2022). Le fait qu’il y ait beaucoup d’étoiles pauvres en métaux dans la galaxie intérieure avait déjà été entrevu par les travaux d’Arentsen et al. en 2020. Mais ces nouveaux résultats étoffent considérablement le tableau existant en montrant qu’il existe en effet un « iceberg » étroitement lié, dont les pointes avaient déjà été reconnues.
Ces mesures d'abondances chimiques, et les modèles d’abondance, méritent un suivi spectroscopique complet pour comprendre et répondre aux nouvelles questions qui se posent : Quelle est la pureté des échantillons sélectionnés ? Existe-t-il un plancher dans la distribution de métallicité qui pourrait refléter la métallicité du milieu circumgalactique de la proto-Voie Lactée ? Ces étoiles les plus anciennes de la Voie Lactée ont-elles des ratios d’abondance remarquables ? La formation de cette composante centrale a-t-elle été associée à la formation d’un vaste ensemble d’amas globulaires? Qu’est-ce que le degré de concentration centrale de cette composante peut nous dire sur la violence des événements de fusions galactiques ultérieurs, qui disperseraient les étoiles à des rayons plus grands?
Quoi qu'il en soit, l'approche utilisée ici axée sur les données spectroscopiques pour estimer [M/H] semble bien fonctionner, au prix de la restriction des estimations [M/H] aux étoiles brillantes. Et ce n'est qu'un début.
Source
The Poor Old Heart of the Milky Way
Hans-Walter Rix et al.
The Astrophysical Journal, Volume 941, Number 1 (12 december 2022)
Illustration
Carte des étoiles géantes pauvres en métaux de notre galaxie, détectées grâce à Gaia (H.-W. Rix / MPIA)
8 commentaires :
Bonjour et bonne année !
La notion d'étoiles "pauvres en métaux" qui me semble déjà une vision un brin orientée (type Elon Musk et La curée des astres, imbécile de Edward Elmer Smith*) exclut-elle des exoplanètes habitables ?
* Un livre de fiction particulièrement ridicule et raciste où des héros blancs mâles épousent de l'arienne tout en se tapant des minettes olivâtres par lots de deux et en faisant dormir des japonais sur un petit paillasson, le tout dans l'espace.
faut arrêter de lire des conneries!
Par définition, une étoile pauvre en métaux implique un environnement également pauvre en éléments lourds, donc peut propice à la formation de planètes rocheuses, mais possible pour des planètes gazeuses composées à majorité d'hydrogène et d'hélium...
De planètes ou d'étoiles, mon cher docteur Simon ?
car les étoiles composées d'hydrogène et d'hélium ne peuvent-elles pas donner des systèmes abritant des planètes propices à la vie ?
Et que faites-vous donc des nouvelles données sur les apports des filaments cosmiques ?
Les étoiles et leur planètes se forment à partir de la même matière à la base (sauf cas de capture). Les très vieilles étoiles dont on parle ici se sont formées à partir de matière très pauvre en éléments plus lourds que l'hélium (oxygène, azote, carbone, phosphore, etc jusqu'au fer), donc si elles ont des planètes, ces dernières ne devraient posséder que très très peu d'oxygène par exemple, pas de quoi faire des océans d'eau liquide... Les filaments cosmiques nourrissent les galaxies en matière qui peut être enrichie en métaux pourquoi pas, mais ça ne change rien sur la formation des planètes qui a lieu en même temps que la formation de leur étoile.
Sur la formation des planètes non mais sur leur évolution, que savons-nous là-dessus avec certitude ?
Nos capacités de calcul sont-elles assez développées pour invalider ce système (notamment avec les distractions du moment) et n'avons-nous pas besoin de l'intelligence artificielle pour nous seconder (voir pour nous éclairer) ?
Une planète qui est dépourvue d'oxygène restera à jamais dépourvue d'oxygène... Et si tout son système en est dépourvu aussi (vu qu'ils ont été formé dans le même nuage de gaz), il ne pourra y avoir aucun apport externe (de type impacts cométaires, comme dans le cas de la Terre). On n'a pas besoin de réseaux de neurones pour faire des modèles très évidents de ce type.
Donc, vous n'avez pas entendu parler des filaments cosmiques, c'est bien cela ?
https://www.unige.ch/communication/communiques/2021/les-filaments-cosmiques-enfin-observes
BlueMUSE ne nous aiderait-elle pas à mieux appréhender les apports possibles ou non ?
Ah zut, vous n'avez pas eu le message sur BlueMUSE ?
Je vous faisais passer un article de l'université de Genève à ce propos.
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