21/11/21

Découverte d'un grand réservoir d'eau au fond de Valles Marineris sur Mars


La sonde ExoMars TGO avec son télescope à neutrons a produit une carte des zones hydrogénées dans le premier mètre du régolithe martien. Cette cartographie à haute résolution, qui permet de repérer l'eau sous forme de glace ou de minéraux hydratés, montre une vaste étendue très riche en eau, tout au fond de Valles Marineris, qui se trouve non loin de l'équateur Martien, une première. L'étude est publiée dans Icarus.

Des études sur le dépôt d'hydrogène dans le sous-sol martien peu profond ont déjà été menées en 2002  à l'aide de deux détecteurs de neutrons et d'un détecteur de rayons gamma et ont permis d'établir des cartes globales de l'hydrogène. On sait d'après ces cartes que l'hydrogène est plus abondant dans les zones de pergélisol polaire par rapport à la bande équatoriale où l'eau gelée n'est pas stable en surface. Mais la résolution spatiale de centaines de kilomètres typique de ces cartes ne permettait pas de détecter les caractéristiques locales riches en hydrogène qui peuvent être associées à des structures géologiques particulières.
Le télescope neutronique FREND (Fine Resolution Epithermal Neutron Detector) à bord d'ExoMars Ttrace Gas Orbiter, grâce à son collimateur neutrophage, est capable d'une bien meilleure résolution spatiale que les détecteurs du même type antérieurs qui ont été déployés  pour cartographier l'émission neutronique en orbite de Mars (le HEND sur Mars Odyssey) ou de la Lune (le LEND de LRO). Son champ de vue est de 28°, ce qui permet, à l'altitude de 400 km qui est celle de la sonde, une résolution spatiale de 200 km. Le sol de Mars émet continuellement des neutrons qui sont des produits secondaires de réactions des rayons cosmiques galactiques (GCR) avec le régolithe jusqu'à quelques mètres de profondeur. En l'absence de source absorbant et ralentissant les neutrons, on s'attend donc à détecter un flux neutronique à peu près constant depuis une sonde qui observe la surface. Mais l'hydrogène étant un très bon modérateur neutronique (il réduit l'énergie des neutrons par diffusions successives puis les absorbe), dès qu'une quantité d'hydrogène assez importante est présente sur le trajet de ces neutrons, donc à la surface ou sur le premier mètre de régolithe, le flux neutronique devient moins énergétique et est réduit, et ce d'autant plus que la quantité d'hydrogène est importante. En observant une diminution du flux de neutrons, FREND permet de déterminer la teneur en hydrogène, et donc en eau équivalente à la surface et subsurface de Mars. 
Igor Mitrofanov (Institut des Sciences Spatiales, Moscou) et ses collaborateurs ont collecté des neutrons martiens avec FREND entre mai 2018 et février 2021, en se focalisant sur Valles Marineris qui avait été identifié en 2014 comme un site potentiellement très intéressant du fait de ses caractéristiques géomorphologiques (un canyon profond qui est souvent dans l'ombre bien qu'à seulement 7° de l'équateur, vers le sud).
La zone centrale de Valles Marineris qui coïncide avec le Chaos de Candor était connue pour avoir une zone de suppression de neutrons depuis les mesures de Mars Odyssey en 2002, que Mitrofanov et son équipe ont appelé LANS (Local Area of Neutron Supression), une zone qui couvre 102000 km² (32 pixels dans leur nouvelle cartographie), et qui est délimitée par une isoligne de suppression neutronique qui vaut 0,52 (une abondance de 100% d'eau correspond à une valeur de suppression égale à 0). La valeur moyenne de la suppression neutronique dans cette zone est de 0,35, ce qui correspond en termes d'abondance en eau à 13% en masse. Mais les chercheurs russes vont plus loin : ils analysent en détail chacun des 32 pixels pour déceler si il existe des variations d'un pixel à l'autre. Et c'est là que ça devient intéressant : ils définissent 3 sous-zones LANS-A, B et C (couvrant respectivement 12, 7 et 13 pixels) qui montrent des valeurs de suppression neutroniques différentes et pour certaines des valeurs impressionnantes. La zone LANS-C, qui fait une surface de 41000 km² (8% de la surface de la France métropolitaine) montre une suppression neutronique moyenne de 0,16 ± 0,14, ce qui se traduit par une abondance équivalente en eau de 40,3% en masse! (avec une incertitude de -24,2 +59,7).


Rappelons que ce qu'on appelle l'abondance équivalente en eau est définie comme le pourcentage d'eau (en masse) que le matériau souterrain contiendrait si tout l'hydrogène détecté était présent sous forme de H2O.
Les deux autres sous-zones LANS-A et LANS-B ont des valeurs respectives de suppression neutronique de 0,55 (soit 7% d'eau) et 0,36 (12,4% d'eau). Les chercheurs russes notent que la sous zone LANS-C est géologiquement un peu différente des deux autres, bien que située à proximité : elle est plus basse en altitude. On peut même voir qu'il existe une corrélation entre l'altitude et l'abondance en eau qui est trouvée : plus la sous zone est située à basse élévation, plus l'abondance en eau apparaît forte : LANS-A se trouve à une élévation de -166 m, LANS-B à -1619 m et LANS-C à -2561 m. 

Il faut savoir qu'on trouve de l'eau souterraine à faible profondeur pratiquement partout à des latitudes modérées sur Mars, avec une quantité d'hydrogène équivalente à 3 % en masse ou plus. Elle pourrait être partiellement chimiquement liée aux minéraux hydratés qui sont observés en de nombreux points de la surface par des spectromètres proche infrarouge depuis l'orbite. Ils contiennent généralement environ 10 % d'eau en masse, et dans certains cas, ils peuvent contenir jusqu'à 30 % d'eau. Une autre forme d'eau, moins abondante est l'eau adsorbée, qui pourrait se condenser à la surface des grains de régolithe sous forme de multicouches de molécules. La troisième forme, la plus abondante, la glace d'eau de subsurface, est connue pour exister sur Mars à des latitudes élevées (>60°) au nord et au sud. Cette forme solide d'eau remplit le volume de porosité entre les grains des roches.
Certaines études suggèrent aussi que la glace d'eau peu profonde pourrait être présente entre les pôles et 30-40° de latitude. Mais la question se pose sur sa présence aux latitudes moyennes et équatoriales comme c'est le cas de Valles Marineris. Des conditions géomorphologiques très particulières devraient être réunies. La glace d'eau précipitée devrait par exemple rester sur des pentes abruptes faisant face aux pôles sous une couverture de poussière depuis la récente période de haute obliquité. Il ne faut pas exclure non plus la possibilité qu'une certaine quantité de glace d'eau puisse s'accumuler, même actuellement, dans le volume de porosité du régolithe peu profond, en raison de la condensation de la vapeur d'eau éparse provenant de l'atmosphère. 
Les chercheurs sont donc confrontés au problème de la distinction entre les minéraux hydratés et les inclusions de glace de sol pour la zone LANS de Valles Marineris. Les mesures de l'émission de neutrons ne permettent pas de faire la distinction, mais permettent de déterminer une fraction massique de molécules d'eau dans le sol. En tenant compte d'une telle valeur, les géochimistes peuvent conclure à la forme d'eau la plus probable : si la valeur dérivée est bien supérieure à 30 % en masse, il s'agit probablement de glace d'eau, selon les chercheurs. Il devient en effet difficile d'expliquer une telle quantité d'eau par de l'eau adsorbée ou liée chimiquement. Bien sûr, il ne s'agit pas d'une règle stricte, et chaque région avec une abondance élevée est unique et ses conditions géomorphologiques spécifiques doivent être prises en compte pour décider en faveur de l'eau chimiquement liée ou de la glace d'eau. Mais le lien trouvé entre abondance en eau et altitude de la zone milite plus, selon Igor Mitrofanov et son équipe, en faveur de la glace d'eau : il leur apparaît naturel pour de l'eau de s'accumuler au fond d'un bassin comme Valles Marineris, ce qui est moins le cas pour des minéraux hydratés, mais ils n'excluent toutefois pas entièrement cette seconde hypothèse, la vérité se trouvant peut-être dans un mix entre les deux. Dans les deux cas, il s'agirait d'un gros réservoir d'eau situé à proximité de l'équateur Martien, où la température est la plus élevée.

Source

The evidence for unusually high hydrogen abundances in the central part of Valles Marineris on Mars
Igor Mitrofanov et al.
Icarus (19 november 2021)


Illustrations

1. Cartographie de la suppression neutronique et de l'abondance équivalente en eau dans la zone LANS dans Valles Marineris (Mitrofanov et al.)
2. Zoom sur la sous zone LANS-C qui montre des valeurs très élevées d'abondance en eau (Mitrofanov et al.)

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