Une équipe d'astrophysiciens vient de détecter pour la première fois le rayonnement gamma produit par le phénomène d'"écoulement ultra-rapide" (UFO en anglais, pour Ultra Fast Outflows). Il s'agit des vents de matière qui sont éjectés par un trou noir supermassif en dehors de son axe de rotation. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal.
C'est à l'aide des données recueillies par le télescope spatial Fermi LAT (Large Area Telescope) de la NASA , que les chercheurs ont détecté des photons gamma provenant de bulbes galactiques dans 11 galaxies à noyau actif proches (z< 0,1), et plus précisément provenant d'écoulements ultra-rapides. Marco Ajello (Clemson University) et ses nombreux collaborateurs européens, états-uniens et chinois montrent que les éjections de gaz ionisé qui émanent d'un trou noir supermassif créent de puissantes ondes de choc lorsque ce gaz interagit avec la matière qui existe entre les étoiles, ce qu'on appelle le gaz interstellaire, ou intra-galactique. Ces ondes de chocs peuvent être aussi puissantes que celles produites par des supernovas. De cette façon, les trous noirs transfèrent indirectement une énorme quantité d'énergie à leurs galaxies hôtes. De plus, ces écoulements ultra rapides agissent comme un accélérateur de particules chargées, jusqu'à une vitesse relativiste (10% de la vitesse de la lumière). Ces rayons cosmiques entrent ensuite en collision avec des particules dans la galaxie hôte, produisant finalement les rayons gamma que les chercheurs ont détectés.
Ces éjections de matière ultra-rapides sont différentes des jets qui peuvent exister au niveau de l'axe polaire d'un trou noir, qui sont eux très focalisés. Les UFO, eux, ont lieu sur un angle solide d'environ pi stéradians, soit un quart de sphère, centrés tout de même sur l'axe de rotation du trou noir.
Ajello et ses collaborateurs adoptent une analyse par empilement du signal gamma sur leur échantillon de galaxies, car le signal est beaucoup trop faible pour être détecté pour une galaxie individuelle. Avec cette méthode qui a été utilisée avec succès dans d'autres secteurs comme la recherche indirecte de matière noire, l'étude du fond diffus de lumière visible ou encore l'étude de blazars extrêmes, les astrophysiciens sont en mesure d'exclure que l'émission gamma détectée soit due à des processus autres que ceux produits par des UFO (qui pourraient être par exemple une forte formation d'étoiles ou la présence d'un jet aux pôles du trou noir). De plus, l'analyse montre que la luminosité γ est directement liée à la luminosité bolométrique du noyau actif de la galaxie étudiée. Les écoulements ultra-rapides transfèrent environ 0,04% de leur puissance mécanique en rayons γ. À titre de comparaison, dans la Voie lactée, les explosions de supernova transfèrent 0,02% de leur énergie mécanique en rayons γ. Cela montre que les vents d'AGN, s'ils sont maintenus pendant quelques millions d'années, peuvent énergiser une grande fraction de la population de rayons cosmiques au sein d'une galaxie.
En considérant donc que les rayons γ observés sont produits par des rayons cosmiques accélérés au front de choc, Ajello et ses collaborateurs trouvent que ces écoulements peuvent énergiser des particules jusqu'à la région de transition qui existe entre les rayons cosmiques galactiques et extragalactiques dans la distribution en énergie des rayons cosmiques : Le spectre γ observé indique une origine ferme de protons avec des énergies très élevées. Dans le cadre d'un modèle d'émission hadronique, les chercheurs déduisent qu'en moyenne, le choc avant s'est éloigné de 20 à 300 pc (∼65-980 années-lumière) du trou noir supermassif et que l'énergie maximale des protons accélérés au niveau du choc avant doit être de l'ordre de 100 PeV (1017 eV). Cela fait de ces vents d'AGN ultra-rapides une source potentielle de rayons cosmiques avec des énergies bien au-delà du "genou" dans le spectre en énergie global des rayons cosmiques (qui est à 3 PeV) et ils peuvent aussi être des contributeurs probables au flux de neutrinos ultra-énergétiques détectés par IceCube.
Ajello et ses collaborateurs montrent comment cette émission de rayons gamma code énormément d'informations, notamment comment sont accélérés les rayons cosmiques, et comment ils interagissent avec la matière dans la galaxie hôte. A partir des données gamma et grâce à des simulations pour calculer comment les particules sont accélérées dans les environnements astrophysiques, notamment au niveau des puissantes ondes de choc produites par les vents, les chercheurs en déduisent l'évolution de ces écoulements ultra-rapides. On constate que ces UFO affectent les galaxies qui les entourent de multiples façons. Par exemple, ces éruptions ultra-rapides injectent de l'énergie dans la galaxie, ce qui a pour effet de briser les nuages de gaz qui pourraient autrement se transformer en étoiles et alimenter le trou noir supermassif.
Il s'agit donc d'un processus autorégulateur, qui lie physiquement les trous noirs supermassifs à leurs galaxies hôtes, les amenant à croître ensemble. Les écoulements ultra-rapides peuvent ainsi être à l'origine de la relation d'échelle qui est observée entre la masse du trou noir supermassif d'une galaxie et la dispersion de vitesse des étoiles de son bulbe galactique (la zone centrale d'une galaxie).
Les résultats de cette étude pourraient aussi aider à comprendre ce qui s'est passé dans notre propre galaxie il n'y a pas si longtemps avec le trou noir supermassif Sagittarius A*. En 2010, le télescope Fermi avait permis la découverte de deux gigantesques structures de gaz chaud qui s'étendent de part et d'autre du plan galactique; ces "Bulles de Fermi" comme on les appelle désormais, semblent être des vestiges d'une forte activité passé du trou noir central, de même type que les écoulements ultra-rapides qui sont révélés aujourd'hui par leur émission gamma. Le résultat publié aujourd'hui soutient en tous cas cette hypothèse pour ses auteurs.
Source
Gamma Rays from Fast Black-hole Winds
M. Ajello et al.
The Astrophysical Journal, Volume 921, Number 2 (10 november 2021)
Illustration
Vue d'artiste d'un écoulement ultra-rapide dans une galaxie à noyau actif (en gris) ESA/AOES Medialab
1 commentaire :
Bonjour,
Les jets polaires des AGN sont connus pour leur responsabilité tant dans la génèse des rayons cosmiques extragalactiques et la production hadronique de gammas que dans la rétroaction/coévolution avec leur galaxie hôte ; il est intéressant de noter que les UFOs pourraient largement participer aux 2 phénomènes. reste à savoir leur part respective moyenne, et pour chaque AGN ?
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