Une équipe d'astrophysiciens rapporte la découverte d'un couple de quasars très serrés, séparés d'à peine 30 000 années-lumière, ce qui équivaut à la distance qui nous sépare du centre de la Voie Lactée. Son petit nom est J2037-4537 et il est situé 1,1 milliard d'années après le Big Bang. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.
Lorsqu'ils ont vu ces deux noyaux actifs de galaxies (AGN) très proches l'un de l'autre dans les images obtenues avec la télescope spatial Hubble, Minghao Yue (Université de l'Arizona) et ses collaborateurs ont tout de suite pensé à une lentille gravitationnelle produisant un dédoublement de l'image d'un quasar lointain. Mais les images ne montraient aucune trace d'un objet massif en avant-plan susceptible de produire une déflection gravitationnelle. Le suivi effectué ensuite en spectroscopie avec le télescope Magellan s'est révélé formel : il s'agit bien de deux quasars différents, qui non seulement sont très rapprochés en projection mais qui ont aussi le même décalage vers le rouge, à une précision de 0,01 près, z=5,66, ce qui signifie qu'ils sont bien à la même distance. Leur lumière met 12,7 milliards d'années pour arriver dans nos télescopes. Les deux quasars sont bien distincts car des différences significatives sont visibles dans la forme de leur spectre (la pente du continuum) et dans les propriétés de leurs raies d'émission.
Ces deux noyaux actifs de galaxies propulsés chacun par un trou noir supermassif ne sont séparés que par 10 kpc, à peine plus que ce qui nous sépare de Sgr A* tapi au centre de notre galaxie. Ils sont donc très proches l'un de l'autre. Il faut préciser que plusieurs dizaines de paires de quasars très proches ont déjà été trouvées mais toutes à un redshift inférieur à 3, donc plus de 2 milliards d'années après le Big Bang.
A partir de leur observation, Yue et son équipe peuvent donner une contrainte observationnelle sur la fraction de paires de quasars resserrés qui existent à un redshift supérieur à 5. La limite inférieure pour cette fraction de quasars qu'ils estiment vaut 0,3%. Il y a au moins 0,3% des quasars qui vivent dans le premier milliard d'années post Big Bang qui doivent former des couples resserrés.
Yue et ses collaborateurs comparent également les propriétés de J2037-4537 avec celles des paires de quasars qui sont déclenchées par les fusions de galaxies dans les simulations hydrodynamiques. Ils trouvent que ces propriétés sont tout à fait cohérentes, ce qui est plutôt rassurant pour la validité de ces simulations.
En 2017, Capelo et al. avaient exploré les facteurs qui contrôlent l'émergence des paires d'AGN dans les fusions de galaxies. Ils avaient conclu que les paires de quasar serrées apparaissent généralement dans les fusions de galaxies dont les trous noirs supermassifs ont un rapport de masse proche de 1 et des séparations inférieures à 10 kpc.
Il est donc plausible selon Yue et ses collaborateurs que le double quasar J2037-4537 soit déclenché par le processus de fusion galactique. Il ne fait pas de doute que de nouvelles observations seront effectuées dans le futur, que ce soit avec ALMA ou avec le télescope spatial James Webb et elles pourront révéler plus de détails notamment sur la cinématique du gaz et permettront d'étudier comment ce gaz alimente les trous noirs dans ce système.
Yue et ses collaborateurs ont aussi remarqué une chose : malgré leurs différences dans la plupart de leurs raies spectrales, les deux quasars montrent des similitudes dans certaines raies d'émission (la raie Lyman alpha de l'hydrogène, la raie NV de l'azote et la raie SiIV du silicium). Pour les chercheurs, c'est peut-être une preuve supplémentaire de l'association physique des deux quasars et cela pourrait encoder des informations critiques sur la manière dont les activités des quasars sont déclenchées. Car il n'est pas exclu que ce soit le rapprochement qui transforme les trous noirs supermassifs en noyaux actifs très brillants qu'on appelle quasars.
Source
A Candidate Kiloparsec-scale Quasar Pair at z=5.66
Minghao Yue et al.
The Astrophysical Journal Letters, 921, (10 November 2021)
Illustration
Le double quasar J2037-4537 imagé par le télescope spatial Hubble (Yue et al.)
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