Parmi les étoiles qui tournent très vite sur elles-mêmes, on connait les étoiles à neutrons. Mais il n’y a pas qu’elles... Les étoiles naines blanches, beaucoup plus grandes que les étoiles à neutrons, même si elles ont une taille seulement comparable à celle de la Terre, peuvent aussi arborer une vitesse de rotation très élevée. Le record de rotation pour une naine blanche vient d’être observé : elle fait un tour sur elle-même en 24,9 secondes ! L’étude est parue dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society Letters.
LAMOST J0240+1952 est ce qu’on appelle une variable cataclysmique. Il s’agit en fait d’une naine blanche de 0,7 masse solaire qui vit dans un système binaire situé à 2 016 années-lumière. Ingrid Pelisoli (Université de Warwick) et ses collaborateurs britanniques l’ont observée avec le plus grand télescope actuel à miroir unique, le Gran Telescopio Canarias de 10,4 mètres, situé dans les îles Canaries. Avec l’instrument HiPERCAM, une caméra CCD à haute vitesse multibande, les astrophysiciens ont pu repérer un point chaud sur la surface de la naine blanche, et c’est en suivant comment évoluait ce point chaud dans le temps qu’ils ont pu mesurer directement sa vitesse de rotation. Ils détectent une variation périodique de la luminosité qui n’a qu’une amplitude que de 0,2%, qui n’avait pas pu être décelée auparavant par manque de sensibilité des instruments. Pelisoli et son équipe déduisent que la température moyenne de la naine blanche ne dépasse pas 25000 K et que le point chaud plus lumineux a quant à lui une température de 30000 K. Cette « tache » brillante sur la surface doit couvrir environ 2% de la surface de J0240+1952 selon les chercheurs. C’est en tout cas le plus probable, même s’ils ne peuvent pas exclure une tache plus petite et plus chaude ou plus grande et plus froide.
C’est grâce à la présence de l’étoile compagne massive que la naine blanche a pu acquérir dans le passé une aussi grande vitesse de rotation selon les chercheurs. Le champ gravitationnel de la naine blanche attire vers elle du plasma provenant de l’étoile compagne. En tombant à grande vitesse au niveau de l’équateur de la naine blanche, le phénomène produit une accélération de la rotation de la naine blanche. La période de rotation qui est mesurée est très précisément de 24,9328 secondes. C'est presque 20 % plus rapide que CTCV J2056-3014, la naine blanche qui détenait le record, avec une rotation en 29,61 secondes. La rotation de LAMOST J0240+1952 est si rapide que la naine blanche doit avoir une masse supérieure à une certaine valeur pour rester intègre et ne pas être disloquée. En effet, un corps sphérique en rotation uniforme et de période P doit avoir une masse minimale qui est proportionnelle à son rayon au cube et inversement proportionnelle au produit de la constante de gravitation G par la période au carré : M > 117,5. R3 / GP². C’est à partir de cette expression que Pelisoli et son équipe trouvent une masse minimale de 0,7 masse solaire. Elle est légèrement plus élevée que la masse moyenne des naines blanches classiquement rencontrées qui est de 0,6 masse solaire, ce qui est cohérent étant donné que la plupart des naines blanches tournent moins vite sur elles-mêmes.
J0240+1952 a aussi développé un fort champ magnétique au fil de son évolution qui a maintenant pour effet de rejeter le plasma de l’étoile compagne sauf au niveau des pôles magnétiques où son interaction avec la surface produit les points chauds qui sont observés sporadiquement, et qui permettent d’en déduire la rotation de l’astre résidu d’une étoile trop peu massive pour exploser. Pelisoli et ses collaborateurs expliquent qu’à mesure qu'on se rapproche de la naine blanche, le champ magnétique doit commencer à dominer sur la gravitation et le plasma provenant de l’étoile compagne, qui est formé de particules électriquement chargées, prend alors beaucoup de vitesse dans ce processus. Les astrophysiciens observent en effet qu’une grande quantité de plasma est propulsée loin de l'étoile dans le milieu interstellaire. Il ne peut plus participer à une accélération de la naine blanche. Ce type de phénomène est appelé par les spécialistes un « propulseur magnétique» (magnetic propeller). Et chose intéressante, c’est seulement la deuxième fois que l’on observe une telle naine blanche à propulseur magnétique, la première avait été observée il y a près de 70 ans ! Il s’agit de AE Aquarii.
En résumé, J0240+1952 a acquis une grande vitesse de rotation grâce à son potentiel gravitationnel qui a attiré du plasma de l’étoile compagne au niveau de son équateur. Mais en prenant de la vitesse, elle a développé un fort champ magnétique qui a eu pour effet de défléchir la plus grande partie du plasma vers le milieu interstellaire excepté au niveau des pôles magnétiques. Cela produit des points chauds un peu plus lumineux que le reste de la surface, qui sont observables à mesure que l’étoile tourne sur elle-même, ce qui permet de mesurer sa vitesse de rotation. L’observation simultanée d’un effet de propulseur magnétique et d’une vitesse de rotation record se confortent l’un l’autre.
Cette observation/découverte montre donc que le mécanisme de propulsion magnétique dans les naines blanches est un phénomène générique qui peut apparaître dans un système binaire si les circonstances sont favorables. Le modèle théorique du propulseur magnétique prédisait que la naine blanche doit être en rotation très rapide, et c’est vraiment le cas qui est observé. Il reste maintenant aux chercheurs de tenter de voir comment la rotation de J0240+1952 décroit dans le temps, pour comparer avec ce que l’on sait de la seule autre naine blanche de ce type, AE Aquarii.
Source
Found: a rapidly spinning white dwarf in LAMOST J024048.51+195226.9
Ingrid Pelisoli et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters, Volume 509, Issue 1 (22 November 2021)
Illustrations
1.Vue d’artiste de LAMOST J0240+1952 (Mark Garlic/University of Warwick)
2. Le Gran Telescopio Canarias (Instituto de Astrofísica de Canarias)
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