mardi 16 novembre 2021

19 ans après son cataclysme, V838 Monocerotis dévoile sa structure grâce à ALMA


En janvier 2002, V838 Monocerotis (V838 Mon) a fait sensation dans la communauté astrophysique. En l'espace de quelques semaines, l'étoile a augmenté sa luminosité de plus d'un facteur 1000, donnant lieu à un écho lumineux rare qui a été immortalisé par le télescope spatial Hubble. On a compris depuis qu'avait eu lieu une collision entre deux étoiles, mais aujourd'hui, c'est grâce au radiotélescope ALMA que des astrophysiciens polonais, états-uniens et indien mettent en évidence de manière claire la présence d'une autre étoile dans le système, à côté du résultat de la fusion... Une étude parue dans Astronomy & Astrophysics.

L'éruption stellaire de 2002, due à la collision de deux jeunes étoiles, était extraordinaire. L'écho lumineux très intense qui s'en est suivi a été produit par la diffusion de la lumière de l'éruption sur des grains de poussière interstellaire qui se trouvaient autour. Les images semblant montrer une expansion rapide ont fait le tour du monde. Au maximum de sa luminosité, V838 Mon était l'une des étoiles les plus brillantes du Groupe local de galaxies. 
Il a fallu plusieurs années avant que les astronomes se mettent d'accord sur l'origine de l'énorme augmentation de luminosité. C'est Romuald Tylenda et ses collaborateurs qui ont les premiers proposé l'idée d'une fusion stellaire. Cette hypothèse est largement acceptée aujourd'hui, et les objets similaires à V838 Mon sont connus sous le nom de novas rouge. Nous ne connaissons aujourd'hui qu'une douzaine de ces objets dans notre Galaxie et dans d'autres galaxies proches.
Des images récentes obtenues avec ALMA montrent le site de la fusion 17 ans après la collision stellaire et expliquent partiellement les circonstances du cataclysme.  V838 Mon est située dans la zone extérieure de la Voie lactée, à 5,9 kiloparsecs (environ 20 000 années-lumière). Comme le vestige de la fusion est relativement froid pour un objet qui vient de subir une explosion stellaire, il est possible d'observer V838 Mon aux longueurs d'onde millimétriques (entre les régimes radio et micro-ondes). On sait depuis quelques années que le voisinage de V838 Mon est riche en molécules et en poussières, et des observations effectuées avec ALMA en 2019 avaient déjà montré le vestige de fusion dans toute sa complexité. 

Les nouvelles cartes interférométriques qui ont été obtenues par Tomek Kaminski (Nicolaus Copernicus Astronomical Center) et ses collaborateurs montrent deux étoiles entourées de poussière. L'une des sources observées est identifiée comme l'étoile qui s'est formée à partir de la binaire fusionnée (et qui est désignée sous le nom de V838 Mon). Aux longueurs d'onde millimétriques, c'est la matière chauffée par son rayonnement qui est visible. Dans les longueurs d'onde visibles, cette étoile ressemble aux supergéantes rouges d'une température de 3500 degrés Kelvin (et est très similaire à Bételgeuse). Cette supergéante rouge est par ailleurs la source d'un vent stellaire très dense.
La deuxième source repérée par Kaminski et ses collaborateurs avec ALMA est associée par les chercheurs à l'étoile compagne de V838 Mon. Le monoxyde de carbone (CO) est principalement observé à proximité de V838 Mon, tandis que les molécules contenant du soufre (dioxyde de soufre, SO₂, et sulfure d'hydrogène, H₂S) sont détectées plus près de cette compagne, où une onde de choc doit se former. Les données recueillies par ALMA montrent également la distribution du gaz moléculaire qui a été dispersé lors du cataclysme de 2002. La plupart des détails sont visibles dans l'émission de molécules simples, telles que CO, SiO, SO, SO₂, et AlOH. La matière éjectée lors de la collision stellaire se déplace rapidement, avec des vitesses supérieures à 200 km/s. Des observations antérieures avaient montré que les éjecta devaient avoir atteint la compagne aux alentours de 2005. Comme les éjecta étaient abondants en poussière, ils ont complètement obscurci l'étoile compagne de sorte qu'aucune observation visuelle n'a été possible au cours des 14 dernières années. Mais heureusement, ALMA peut "voir" à travers d'épais nuages de poussière et la présence de poussière chaude à proximité de cette étoile très chaude a permis à Kaminski et son équipe d'identifier son emplacement.
Les astrophysiciens déduisent des données qu'il s'agit d'une étoile de type B (avec une température de 18 000 Kelvin). Certes son existence était connue depuis plusieurs années, mais c'est la première fois que sa position par rapport à V838 Mon est directement déterminée. Cette compagne est une supergéante bleue de 8 masses solaires qui est située à 250 unités astronomiques de l'étoile fusionnée. On estime que la fusion de V838 Mon c'est jouée entre des étoiles de masse 8,0 et 0,4 masses solaires.
La nature triple (au départ) du système est très intéressante car on a longtemps prédit que certains systèmes triples ou à multiplicité plus élevée subissent un type particulier d'instabilité orbitale, causée par les cycles dits de Kozai-Lidov, qui peuvent ensuite conduire à des fusions. Mais Kaminski et ses collaborateurs ne vont pas jusqu'à affirmer que c'est le cas ici car l'étoile compagne se trouve sur une orbite très grande. Ils calculent que si l'orbite est circulaire, la période orbitale de l'étoile compagne est proche de 1000 ans et dans ce cas de fortes interactions au sein des systèmes triples seraient peu probables. Mais si l'orbite est fortement elliptique (forte excentricité), une forte interaction de marée entre les étoiles peut avoir eu lieu dans le passé, conduisant éventuellement à la collision de la binaire interne. Quelle que soit la forme de l'orbite extérieure, le cas de V838 Mon est en tous cas la seule collision connue dans un système triple dit hiérarchique (le plus petite étoile fusionne avec une plus grosse).
En 2019, les éjectas de la fusion s'étaient étendus bien au-delà de l'orbite de la supergéante bleue compagne et ont formé une nébuleuse grossièrement sphérique autour de V838 Mon. Les astrophysiciens estiment la masse d'hydrogène moléculaire et de poussière qui se retrouve entre les deux étoiles du fait de la collision : 0,1 masse solaire d'hydrogène et 0,0083 masses solaires de poussière. Pour les chercheurs, les changements qui sont détectables dans la composition chimique du gaz entre les deux étoiles sont causés par les ondes de choc imposées dans le flux de matière par la compagne. Il s'agirait d'un effet connu en astrochimie, mais qui a rarement été observé directement. Comme les modèles actuels de ce type d'interaction manquent d'un bon pouvoir de prédiction, surtout en ce qui concerne la composition du gaz après le passage du choc, ces observations d'ALMA vont s'avérer très utiles pour ce type d'études. 
Moins de vingt ans après avoir assisté en quasi direct à une fusion cataclysmique de deux étoiles, une nova rouge, nous sommes en mesure aujourd'hui d'étudier de fins détails dans le site de fusion, de quoi en savoir plus sur les circonstances qui en étaient à l'origine. Il reste maintenant à vérifier si V838 Mon est bien une étoile en rotation rapide à fort champ magnétique comme le prédisent les modèles théoriques, et si une compagne supergéante bleue peut avoir un effet sur elle.

Source

V838 Monocerotis as seen by ALMA: A remnant of a binary merger in a triple system?
Tomek Kaminski et al.
Astronomy&Astrophysics 655, A32 (2021)


Illustrations 

1. Image du système de V838 Mon obtenue par ALMA (poussières et molécules de CO et SO2 et H2S) (Kaminski et al.)
2. Images de l'écho de lumière qui a suivi l'éruption de 2002, obtenues avec le télescope spatial Hubble (ESA/NASA and H.E. Bond (STScI) ) 

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