mercredi 3 novembre 2021

Un recul de trou noir supermassif, source indirecte de destruction d'étoiles par effet de marée


Existe-t-il un lien de cause à effet entre fusion de galaxies et nombre accru de destruction d'étoiles par effet de marée gravitationnelle du trou noir supermassif ? Il existe en tous cas une nette corrélation observée entre les deux. Une étude vient de trouver le lien très probable entre les deux phénomènes via l'apparition d'un noyau d'étoiles fortement excentrique qui doit se former autour du trou noir supermassif nouvellement créé après fusion. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters

Les événements de destruction stellaire par effet de marée (TDE, Tidal Destruction Events) se produisent lorsque des étoiles passant trop près sont disloquées par la gravité de marée d'un trou noir. On a observé à partir de 2014 que les TDE apparaissent plus souvent dans les galaxies montrant des signes de fusion passée que dans les autres types de galaxies. Ces signes de fusions galactiques sont le plus souvent des bouffées de formation stellaire.
Et on sait d'autre part, depuis 2018 et les travaux de Ann-Marie Madigan, que les populations stellaires dans les noyaux d'étoiles excentriques qui orbiteraient autour d'un trou noir supermassif peuvent produire des taux de TDE 1000 à 10 000 fois supérieurs à ceux d'une configuration de noyau stellaire bien sphérique et isotrope.
Aujourd'hui, Ann-Marie Madigan et Tatsuya Akiba (Université du Colorado) creusent l'idée pour chercher si les noyaux d'étoiles excentriques autour des trous noirs supermassifs pourraient avoir un lien avec une fusion galactique passée. Et ils ont si bien cherché qu'ils ont trouvé ! 
Pendant la fusion de deux trous noirs supermassifs, qui est la résultante naturelle de la fusion de deux galaxies comportant chacune son trou noir supermassif, l'émission d'ondes gravitationnelles peut être anisotrope. C'est surtout vrai dans un système binaire de masse inégale, où le trou noir le moins massif a une vitesse orbitale plus élevée et est donc plus efficace pour transmettre le rayonnement de ses ondes gravitationnelles. 
Cette émission non symétrique doit entrainer une impulsion sur le trou noir résultant, comme l'avait montré Bekenstein en 1973 : il acquiert une vitesse de recul et se met donc en mouvement dans une certaine direction. Dans de rares cas, la vitesse de recul peut dépasser la vitesse d'échappement de la galaxie, conduisant alors à l'éjection du trou noir, mais même pour des vitesses de recul plus faibles, les conséquences dynamiques peuvent être importantes. 
Akiba et Madigan ont modélisé ce qui se passe lorsqu'un noyau stellaire est initialement circulaire autour du couple de trous noirs supermassifs rapproché et que la fusion des trous noirs a lieu, produisant une impulsion brutale sur le trou noir résultant. Ils font de multiples simulations à N corps appliquées sur un groupe de 400 étoiles orbitant autour d'un trou noir qui subit une impulsion de vitesses différentes, s'étalant entre 0,1 et 1 fois la vitesse circulaire des étoiles et regardent ce qui se passe au cours du temps. La vitesse du trou noir peut aller ici typiquement jusqu'à 400 km/s.

Les chercheurs montrent qu'il apparaît un phénomène peu intuitif : lorsque le trou noir se met en mouvement dans le plan du disque d'étoiles, les orbites des étoiles initialement circulaires, deviennent elliptiques, avec une excentricité de plus en plus prononcée au fil du temps. Et ces orbites ont toutes la même direction pour leur grand-axe: la direction orthogonale à celle du mouvement du trou noir. Un tel noyau stellaire excentrique devient alors propice à l'apparition de destructions d'étoiles qui finissent par s'approcher trop près du trou noir. 
Les chercheurs montrent néanmoins que l'impulsion du trou noir ne doit pas être trop faible, car sinon, l'excentricité des orbites n'apparaît pas suffisamment. Dans l'autre sens, si la vitesse du trou noir est trop importante, peu d'étoiles resteront liées à lui gravitationnellement. Par ailleurs, Akiba et Madigan se sont intéressés uniquement au cas où la vitesse du trou noir a une forte composante dans le plan du disque d'étoiles formant le noyau stellaire. Il reste à investiguer ce qui se passe quand l'impulsion du trou noir se trouve très en dehors du plan d'étoiles, une prochaine étude d'ores et déjà prévue par Akiba et Madigan, qui planifient aussi d'étudier différentes structures de noyaux stellaires et l'effet du gaz dans le système.

Ces résultats encore préliminaires suggèrent que si un disque stellaire excentrique se forme de la sorte, les taux élevés de TDE peuvent être maintenus pendant une longue période de temps (plusieurs dizaines de millions d'années). De tels taux élevés pourraient alors avoir un impact significatif sur la durée de vie même du disque stellaire excentrique formé par l'impulsion de recul du trou noir. Mais ces disques stellaires excentriques vont aussi évoluer dynamiquement au fil du temps. Ils peuvent par exemple attirer dynamiquement de nouvelles étoiles et augmenter en masse au fur et à mesure qu'ils vieillissent.

Enfin, les deux chercheurs précisent que ce travail s'applique à de nombreux autres scénarios astrophysiques, par exemple, lorsque l'impulsion de recul est due à une perte de masse anisotrope d'une étoile ou à son effondrement gravitationnel non sphérique en un trou noir de masse stellaire ou en une étoile à neutrons, ce qui amène à envisager l'apparition d'orbites excentriques de planètes. Dans le cas des étoiles à neutrons, il a été montré en 2006 que les vitesses d'impulsion sont de l'ordre de ∼380 km/s, ce qui signifie que seules les planètes les plus étroitement liées seront retenues par l'étoile à neutrons après un kick dans le plan orbital. Les impulsions des naines blanches, par contre, ont une vitesse beaucoup plus faible. Des impulsions de 1 km/s peuvent tout de même conduire à la formation de disques excentriques sur des petits corps jusqu'à ∼1000 unités astronomiques selon Akiba et Madigan. Dans notre système solaire, cette région de masse relativement faible est peuplée d'objets épars sur des orbites à forte excentricité. Une telle configuration à faible vitesse de déplacement et à forte excentricité orbitale sera également utile à explorer dans des travaux futurs...


Source

On the Formation of an Eccentric Nuclear Disk following the Gravitational Recoil Kick of a Supermassive Black Hole
Tatsuya Akiba and Ann-Marie Madigan
The Astrophysical Journal Letters, Volume 921, Number 1 (29 october 2021) 


Illustration

Schéma de principe de l'évolution de deux étoiles initialement sur une orbite circulaire perturbée par le mouvement du trou noir central et résultats de la simulation à N corps correspondante (Akiba et Madigan)

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