mardi 2 novembre 2021

Un pulsar binaire à l'origine de neutrinos et de photons gamma très énergétiques en coïncidence


Le 4 août dernier (voir ici), les chercheurs russes de l'expérience Carpet-2, menée par Dahir Dzhappuev publiaient l'observation d'une émission gamma coïncidente avec un neutrino ultra-énergétique détecté par IceCube en Antarctique. Cette observation indiquait une provenance du Pevatron du Cocon du Cygne, une première pour une détection à multimessagers sur une telle source. Aujourd'hui, une autre équipe de physiciens russes publie une explication pour la production de neutrinos ultra-énergétiques dans un Pevatron impliquant un système binaire d'étoiles. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal Letters.

L'équipe de l'expérience Carpet-2 a détecté un excès significatif du flux de rayons γ au-dessus de 300 TeV provenant de la région de Cygnus, associé à un neutrino de 150 TeV détecté par IceCube et très probablement cohérent avec une éruption qui a duré quelques mois. Le flux d'énergie γ pendant l'éruption était de 10-9 erg cm-2 s-1, soit 10 fois plus élevé que le flux en régime permanent qui était obtenu pour la même source par Carpet-2. Ce flux d'éruption est bien supérieur aux flux dans le régime du TeV qui sont détectés dans la région. Il dépasse aussi largement les flux provenant d'autres sources de rayons γ connues, y compris les pulsars γ, les restes de supernova vus notamment par Tibet ASγ, ou les binaires γ, ainsi que des sources candidates au titre de PeVatron mais non identifiées. 
Les système d'étoiles binaires à rayons gamma ont été proposées comme sources de neutrinos de haute énergie il y a 20 ans déjà. La résolution angulaire de Carpet-2 et d'IceCube ne permet malheureusement pas d'identifier une source particulière avec certitude dans la région du cocon du Cygne. La variabilité temporelle à l'échelle de quelques mois et la grande quantité de photons γ observés dans la région de Cygnus rendent toute association de la source avec des restes de supernovas étendus très improbable.
Et un certain nombre de sources galactiques compactes produisant un rayonnement de haute énergie sont situées dans la région de Cygnus, notamment les binaires γ Cyg X-3 et PSR J2032+4127. Les sources binaires de rayons gamma LS 5039, PSR B1259-63, LSI +61° 303, PSR J2032+4127, et d'autres peuvent être considérées comme des candidats possibles. Le puissant microquasar Cyg X-3 bien connu a aussi montré des éruptions γ géantes en 2012. Dans toutes ces sources, l'objet compact a un compagnon massif, le plus souvent une étoile de type précoce.

Andrei Bykov (Institut Ioffe, Saint Petersbourg) et ses collègues présentent un modèle de sources compactes de rayons γ qui peuvent convertir une fraction substantielle de leur luminosité (fournie par le freinage magnétique d'un pulsar, la reconnexion du champ magnétique dans un magnétar, ou l'accrétion sur un trou noir) en rayons γ et en neutrinos dans la gamme énergétique du PeV par le mécanisme de production de mésons dans les collisions proton-photon. 
Le modèle de PeVatron développé par Bykov et ses collaborateurs suggère l'interaction d'un flux rapide provenant de l'objet compact relativiste avec le vent stellaire de étoile massive compagne. Ils montrent que les flux magnétisés qui entrent en collision constituent un site plausible d'accélération rapide par le mécanisme de Fermi de particules pré-accélérées dans le voisinage de l'objet au niveau du TeV (1012 eV), qui les amène jusqu'à des énergies de l'ordre du PeV (1015 eV). Le mécanisme d'accélération au niveau des flux de vents collisionnels peut en effet former un spectre très dur de particules dans la gamme d'énergie TeV-PeV.

En plus du rayonnement γ produit dans les collisions proton-proton, les protons accélérés à une énergie de l'ordre du PeV interagissent aussi efficacement avec les photons optiques de l'étoile massive par le mécanisme de production de mésons fournissant une conversion rapide en photons γ et en neutrinos. Pour développer leur modèle, Bykov et son équipe prennent pour exemple la production de rayons γ et de neutrinos dans le pulsar binaire PSR J2032+4127, un modèle qui pourrait être appliqué à d'autres sources binaires, y compris les vents de pulsar (PWs) ou les jets des trous noirs accrétants.
Les physiciens russes montrent qu'une fraction importante de l'énergie cinétique des flux de l'objet compact peut être convertie en protons très énergétiques grâce à la courte séparation entre l'étoile à neutrons et l'étoile massive qui induit des flux magnétique élevés dans les chocs des plasmas (de l'ordre du Gauss). Ces protons ayant une énergie de plusieurs PeV produisent ensuite efficacement et simultanément des photons gamma et des neutrinos par le processus "photoméson" (ou processus pγ). Dans ce processus hadronique, les protons en interagissant avec des photons de basse énergie produisent des mésons pi (ou pions) neutres et chargés. Les pions neutres π0 se désintègrent très vite en deux photons gamma, tandis que les pions chargés π+ se désintègrent en µ+ + neutrino et le muon se désintègre à son tour en e+ + neutrino. Dans ce processus, les protons initiaux transfèrent in fine la quasi-totalité de leur énergie cinétique aux photons gamma et aux neutrinos. 

Le modèle de Bykov et ses collaborateurs prédit un caractère transitoire du rayonnement très brillant dans le régime du PeV. La raison principale est la présence de variations dans le champ magnétique, les particules et les densités de photons disponibles le long de l'orbite de l'objet compact en raison du disque d'accrétion (pour une étoile compagne de type Be) ou des vents stellaires anisotropes. Il doit donc exister une variabilité du rayonnement de très haute énergie le long de l'orbite de l'objet compact. L'échelle de temps pour traverser le disque de l'étoile Be pourrait être de quelques mois pour les paramètres orbitaux de PSR J2032+4127, ce qui pourrait tout à fait expliquer la durée estimée de l'éruption de rayons γ détectée par Carpet-2.
Un facteur important est également l'existence d'un seuil en énergie du processus hadronique "photoméson". En effet, l'énergie d'un photon dans le référentiel au repos du proton accéléré doit être supérieure à ∼200 MeV pour déclencher le mécanisme et la production de mésons pi, ce qui nécessite des protons de plus de 10 PeV pour interagir avec les photons du domaine visible intenses de l'étoile massive.
Finalement, selon les chercheurs russes, l'observation coïncidente de photons gamma et de neutrinos très énergétiques qui a été rapportée en aout dernier pour la première fois en provenance d'autre chose qu'un quasar peut donc avoir pour origine un système binaire incluant un objet compact, de type pulsar binaire. 

Source

PeV Photon and Neutrino Flares from Galactic Gamma-Ray Binaries
Andrei Bykov et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 921, Number 1 (28 October 2021)


Illustration

Schéma du processus de production de photons gamma et de neutrinos ultra-énergétiques dans un système binaire (Andrei Bykov et al.)

Aucun commentaire :