24/08/23

Des étoiles hypervéloces éjectées par les amas globulaires


Un duo d’astrophysiciens publie une étude dans The Astrophysical Journal montrant comment les rencontres entre étoiles au sein des amas globulaires peuvent mener à des éjections d’étoiles à très grande vitesse, plus de 2000 km.s-1. Mais les amas globulaires ne produisent par là qu’une infime fraction des étoiles hypervéloces de notre galaxie…

Les environnements denses au cœur des amas globulaires facilitent de nombreuses rencontres dynamiques entre objets stellaires. Il a été démontré depuis longtemps que ces rencontres peuvent éjecter des étoiles de l'amas globulaire hôte, qui deviennent alors soit des étoiles fugitives ou soit des étoiles hypervéloces si leur vitesse est telle qu’elles ne sont plus liées au potentiel galactique. Elles sont alors vouées à quitter définitivement la galaxie.

L’éjection d’étoiles hypervéloces a été théorisée par Hills en 1988, où il avait montré que leur origine était la perturbation dynamique d'une binaire stellaire par un trou noir supermassif. Le mécanisme de Hills serait capable d'accélérer les étoiles à des vitesses considérables allant jusqu'à 4000 km s-1. Depuis la première découverte d’une étoile hypervéloce par Brown et al. en 2005, une poignée d'objets candidats ont été identifiés dans la Voie Lactée, notamment l'objet S5-HVS1, arborant une vitesse de 1700 km s-1 (mesurée par Koposov et al. en 2020). S5-HVS1, ainsi que plusieurs autres, est bien expliquée en acceptant une origine au centre galactique, mais des études récentes entre 2018 et 2021 ont aussi trouvé des exemples d'étoiles à grande vitesse dont la trajectoire passée n’intersecte pas le centre galactique. De nombreuses étoiles précédemment classées comme hypervéloces sont en fait encore liées au potentiel galactique, et beaucoup de ces étoiles fugitives sont plus susceptibles d'avoir été éjectées du disque ou d'une galaxie satellite plutôt que du centre galactique.

Hormis le mécanisme de Hills, parmi les autres mécanismes d'accélération capables de produire des étoiles à grande vitesse figurent les scénarios de supernova binaire et les scénarios d'éjection dynamique. Dans un scénario de supernova binaire, l’étoile primaire la plus massive d'une binaire stellaire subit une supernova, qui accélère ensuite la compagne ; ce scénario a été prédit pour accélérer les étoiles à des vitesses de quelques centaines de kilomètres par seconde (Renzo et al. 2019 ; Igoshev et al. 2023), et si la compagne est exceptionnellement légère, cette dernière peut potentiellement atteindre une vitesse supérieure à 1000 km s-1 .

Le scénario d’éjection dynamique, quant à lui, concerne les interactions gravitationnelles fortes qui ont lieu entre trois à quatre objets stellaires et qui produisent un effet de fronde sur l’une des composantes. En 1991, Leonard avait étudié ces rencontres à l'aide de méthodes numériques et avait constaté que la limite supérieure de vitesse des produits de ces rencontres correspondait approximativement à la vitesse d'échappement de la surface de l'étoile la plus massive impliquée. Pour une étoile semblable au Soleil, cette vitesse d'échappement est de ∼620 km s-1, tandis que pour une étoile de 60 M de la fin de la séquence principale, elle est de ∼1400 km s-1.

Les amas globulaires sont des objets candidats évidents pour les deux mécanismes du scénario d’éjection dynamique en raison de leurs densités stellaires élevées, et ces mécanismes pourraient être exceptionnellement amplifiés en raison de la présence de trous noirs dans leur centre. Kremer et al. en 2018 et Giesers et al. en 2019 avaient montré qu’il devait exister des centaines de trous noirs par amas. Les trous noirs jouent des rôles importants dans l'évolution macroscopique des amas globulaires en dominant les interactions gravitationnelles dans le cœur des amas globulaires. Les trous noirs stellaires ont donc une position privilégiée lorsqu'on considère le scénario de l’éjection dynamique dans les amas globulaires, en particulier lorsqu'on cherche quelles peuvent être les vitesses maximales atteignables par ce mécanisme.

Tomás Cabrera et Carl Rodriguez (Carnegie Mellon University) se sont intéressés à la capacité des amas globulaires à produire des étoles hypervéloces, en se concentrant sur les rencontres entre étoiles binaires et uniques, car c’est le type le plus abondant de rencontres fortes, et plus particulièrement sur celles qui impliquent des objets compacts (c'est-à-dire la rencontre d’un couple d’étoiles avec un trou noir stellaire, une naine blanche, ou une étoile à neutrons).

Les chercheurs ont étudié les éjectas stellaires à grande vitesse provenant des amas globulaires en utilisant des modèles à 3 corps par simulation Monte Carlo. Ils ont ensuite couplé les populations discriminées par le modèle avec les catalogues d'observation des amas globulaires de la Voie Lactée afin de composer la population galactique actuelle d'éjecta stellaires à grande vitesse. Dans leurs calculs, Cabrera et ses collaborateurs trouvent que ces types de rencontres stellaires avec des objets compacts peuvent accélérer les étoiles à des vitesses supérieures à 2000 km s-1, ce qui est au-delà des limites précédemment qui avaient été prédites pour les éjectas provenant de rencontres d'étoiles seules (quelques centaines de km.s-1), et donc dans le même régime que les éjectas du centre galactique.

Les étoiles éjectées évoluent ensuite pour être largement indiscernables des autres étoiles de la Voie Lactée en termes de position, mais Cabrera et Rodriguez montrent que ces étoiles à haute vitesse se révèlent capables de conserver certaines informations sur le mouvement de leur amas globulaire d'origine, en particulier dans le cas des amas globulaires avec des orbites presque circulaires : La population globale d'éjecta est généralement concentrée autour du mouvement propre moyen de l’amas globulaire tout au long de son orbite.

Enfin, en évaluant le nombre d’étoiles fugitives et hypervéloces qui seraient produites par les amas globulaires et en le comparant avec leur population totale dans la galaxie, Cabrera et Rodriguez déterminent que les amas globulaires n’en produisent qu’une petite fraction. Pour les étoiles fugitives, ils en seraient à l’origine pour seulement 20% d’entre elles au maximum, et pour les étoiles hypervéloces, ce taux ne serait au maximum que de 1%.

Afin de donner des billes pour de futures observations, qui pourront plus facilement associer des étoiles hypervéloces avec des amas globulaires, Cabrera et Rodriguez fournissent une cartographie des régions crédibles pour les éjectas de 149 amas globulaires de la Voie Lactée.

Le mécanisme de Hills associé au trou noir supermassif Sgr A*, même s’il reste très majoritaire, n’a plus le monopole de la production des étoiles accélérées à plusieurs milliers de kilomètres par secondes qui quitteront la galaxie pour errer dans le milieu intergalactique, à la recherche d’une galaxie plus massive pour s’y accrocher…

 

Source

 

Runaway and Hypervelocity Stars from Compact Object Encounters in Globular Clusters

Tomás Cabrera and Carl L. Rodriguez

The Astrophysical Journal, Volume 953, Number 1 (2023 July 28)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/acdc22



Illustrations


1. L'amas globulaire M15 imagé par Hubble (NASA/ESA)

2. Tomás Cabrera (université de Caroline du Nord)

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